h LSDreams - Itinéraire 4

   
  LSDreams
  Itinéraire 4
 
 
Itinéraire
préalable qui m'a conduit aux drogues hallucinogènes
et qui représente ici une brève autobiographie
pour compléter LSDreams.


Itinéraire, suite 4.



Suite de 10.

Enfin il baissa son regard
sur le pot à lait que je tenais encore dans
ma main. Je le secouai alors pour l'assurer
que je ne tenais que du lait. Il me regarda
encore une fois dans les yeux puis il se
tourna légérement pour voir l'homme
en bleu qui était toujours couché devant lui.
Je regardai cet homme à mon tour et
constatai avec surprise qu'il ne me
quittait pas de son regard anxieux.
Je compris qu'il me surveillait lorsque
je vis que son bras droit était à moitié
engagé dans un égoût dont l'intérieur
était haut et parfaitement éclairé par
les rayons du soleil. Au centre du sol
de cet égoût se trouvait une ouverture
d'écoulement pour les eaux et au-dessus
de laquelle l'homme tenait un revolver.
Il me surveillait anxieusement et je compris
que, s'il ne lâchait pas son revolver dans
le trou, c'était parce qu'il attendait de
voir ce que j'allais faire après avoir
compris que c'était lui l'assassin que
traquaient les soldats. M'assurant
d'un regard que le CRS n'avait rien
remarqué de là où il se tenait, ce dernier
surpris mon regard et se détourna de
l'homme pour me
surveiller. A présent, l'homme qui
était couché pressait le revolver du
bout de ses doigts contre l'arête du trou,
comme s'il ne se décidait pas encore
à l'y laisser choir. Mon attention fut
soudain attirée par un mouvement
insolite qui se produisait à l'autre
bout de la ruelle. Des militaires de
l'Armée régulière avaient surgi à cet
endroit et disposaient fébrilement des
chevaux de frise pour barrer le chemin.
Une multitude de gens venait de la
direction du Marché et se pressait,
sans le laisser apparaître, de quitter
cet endroit qui était devenu
extrêmement dangereux.
Puis je regardai une nouvelle fois
l'homme en bleu de chauffe. Il s'était
enfin décidé à lâcher son revolver
dans le trou d'écoulement de l'égoût
et me regardait maintenant
avec un reste d'anxiété.
Soudain, la voix du CRS nous fit sursauter:
"vous deux!". Il pointa son menton vers
le barrage et intima: "allez là-bas!"
L'homme en bleu se releva prudemment
et nous allâmes, côte à côte, dans la
direction indiquée.
 L'un des militaires était très en
colère et vociférait des insultes
à l'égard de la foule qui se présentait
à ce contrôle d'identité. Il se campa entre deux chevaux de frise et fit
geste à la foule qui attendait, de s'approcher de lui. Un homme en gandourah, qui portait un lourd panier chargé de victuailles s'approcha le premier. "Ta carte!", hurla le soldat. L'homme la lui tendit en silence.
Le militaire l'ouvrit en la tenant
devant ses yeux, mais en lançant
un regard furieux vers l'homme,
puis il fit mine de la lui rendre et
lorsque l'autre tendit sa main pour la saisir, le militaire la laissa tomber
exprès par-terre et quand l'homme
se pencha pour la ramasser, il lui
donna un violent coup de pied
au visage. Le pauvre homme tituba un instant en tâchant de garder son équilibre et en prenant garde au
militaire qui, du pouce tendu vers l'arrière, lui intimait l'ordre silencieux
de s'en aller. L'homme se faufila
derrière lui et s'éloigna sans
demander son reste. A notre tour, l'homme en bleu et moi, nous nous approchâmes, nos cartes d'identité
à la main. Il nous lança un regard
plein de colère et je m'attendis à
subir le même sort que l'homme
qui nous avait précédés, mais le
militaire sembla deviner ce qui
se passait en moi et, me rendant
la carte, il indiqua du pouce
derrière lui en me disant: "passe!".
Derrière mon dos, je l'entendis
interpeller l'homme en bleu:
"toi, approche!" Je m'étais éloigné
déjà de quelques pas, lorsque l'homme
en bleu me rattrappa et marcha à
mon côté jusqu'au boulevard que nous étions prêts d'atteindre. Une fois
arrivés, je me tournai vers lui et
lui dis: "je dois aller par là."
Il tourna vers moi un visage radieux
et, d'une voix un peu chevrotante
qui trahissait son émoi, il répondit
avec reconnaissance: "oui, au revoir."  
Près du commencement de la rue où j'habitais, il y avait un camion de militaires qui stationnait et des
soldats agités qui couraient ça et
là pour soumettre les passants à un contrôle d'dentité. L'un deux
m'interpella: "toi, là-bas, viens ici!"
Je sortis ma carte d'identité de
ma poche et je la lui trendis en disant:
"je viens tout juste d'être contrôlé."
En vociférant de colère, il se précipita vers moi et me  gifla de toutes ses forces. Etourdi et mortifié à la fois,
je titubais légèrement en m'efforçant
de garder mon équilibre  lorsqu'il me saisit par l'épaule et me poussa brutalement vers le mur d'une maison
en hurlant: "face au mur! Les mains
à plat sur le mur! Les pieds à un mètre
du mur! Les jambes écartées!"
Les oreilles encore bourdonnantes,
je m'appuyai contre le mur et il
arracha la carte que je tenais
entre mes doigts. Il la contrôla,
puis il me regarda en hurlant:
"ici, c'est moi qui commande, compris! Allez, fous le camp!"   
Je m'éloignai en ravalant ma peine et je rentrai tristement chez moi.



11


A la vie.

A vrai dire, je m'amusais bien avec
mes amis du quartier d'Eckmühl où
nous avions déménagé entretemps.
La vie se déroulait gaiement dans la mesure où les évènements le permettaient et j'étais fiancé avec
une ravissante demoiselle de Mostagaem. Mais, un jour, quatre Zouaves de l'Armée française, portant chacun une mitraillette en bandoulière, vinrent frapper à notre porte.
Un seul d'entre entra dans le vestibule
de notre appartement et les trois
autres montèrent la garde au-dehors.
Le Zouave, mitraillette prête, tenait
une feuille arrachée d'un cahier
d'écolier dans son autre main.
Il vérifia ma carte d'identité et
me posa des questions. Ma mère
qui se tenait là debout près de
ma soeur me pria d'offrir un siège
au soldat. J'apportai de la chambre voisine une chaise de paquebot en acajou qui appartenait à mon père
sur laquelle il s'assit aussitôt en déposant la mitraillette contre le mur
qui était derrière lui. Enfin, il extirpa
de sa poche un stylo à bille dont
l'encre était rouge et je vis que
sur la feuille qu'il tenait était
inscrite une liste d'une douzaine
de noms dont certains étaient
suivis d'une croix rouge. Tenant
son stylo à hauteur de sa joue,
il me demanda:
- vous êtes de la classe 1960,
pourquoi ne vous êtes-vous pas
présenté à la caserne pour effectuer votre service militaire?"
- Moi? répondis-je. Je ne suis pas
de la classe 60 mais de celle de 61, parce que je suis né un cinq décembre, vers la fin de l'année.
- Non. Vous êtes né en 1940, donc
votre classe est celle de 60:
quarante et vingt, ça fait soixante.
Ne sachant que dire, je répondis:
- Ben, je ne le savais pas.
- Vous ne le saviez-pas?
- Non.
- Bon. Pourquoi n'êtes-vous pas allé
au recensement à l'âge de dix-huit ans?
- Ben, je ne le savais pas.
- Vous ne le saviez-pas, hein?
- Non.
- Bon. Pourquoi n'êtes-vous pas allé effectuer votre préparation militaire
à l'âge de dix-neuf ans?
Haussant les épaules, je répondis obstinément:
- Je ne le savais pas.
- Vous ne le saviez pas, hein,
dit-il avec humour.
- Ben, non.
- Bon.
Il se leva et, d'un geste qu'il ponctua théâtralement en me regardant,
espiègle, il posa délicatement la
pointe de son stylo derrière mon nom
et y traça soigneusement
une belle croix.
- Pourquoi faites-vous une croix
derrière mon nom? demandai-je,
intrigué.
Mimant un air faussement navré
et une innocente ignorance, il
répondit en susurrant ironiquement:
- Cela veut dire: insoumis!
- Insoumis?
- Oui. On viendra vous chercher pour
vous conduire à la caserne.
Il sortit en disant au revoir.
J'étais furieux et, en voulant ranger
la chaise, j'aperçus la mitraillette
qu'il avait oublié en sortant. Alors
je sortis de chez moi et le vis qu'il s'éloignait déjà avec ses compagnons.
Je lui rappelai son arme et il revint la récupérant en courant, puis il me dit
d'un air reconnaissant:-merci, mon ami."
Puis nous nous séparâmes et je jurai
en mon for intérieur que je n'effectuerai pas ce service militaire que je haïssais. J'avais aussi entendu dire qu'on armait les insoumis avec un fusil Lebel et
qu'on les envoyait, sans préparation
au front du maquis algérien.
On les plaçait en première ligne
des patrouilles afin qu'ils reçoivent
les premières balles en cas d'attaque soudaine des insurgés.
- C'est la mort certaine, dis-je à
ma mère.
Grâce à ses relations, je fus reçu
par un commissaire de police d'origine algérienne dont le poste se trouvait
en face de chez nous. Il me délivra un laisser-passer pour la France et me fit promettre de lui envoyer en retour
de Paris quelques exemplaires du
journal l'Humanité. En ce temps-là,
je n'avais aucune notion de politique et
je ne savais pas ce qu'était le communisme.  
J'oubliai cette promesse dès que
je fus arrivé à Paris. Quelque temps
plus tard, ma mère m'apprit dans une lettre qu'on avait lancé une grenade offensive par dessus le mur du poste
de police où il habitait en même temps, mais qu'il ne se passa rien de fâcheux parce qu'il était absent ce jour-là.
Je vécus à Paris pendant cinq mois, durant lesquels je menais une vie
pauvre mais joyeuse. J'étais employé dans une fabrique de carton où je
fis la connaissance d'un curieux personnage, un Européen qui avait
habité à Alger durant sa jeunesse
et qui était un Français d'origine italienne. Il était haut de taille et filiforme, émacié, toujours pâle et
portait une chevelure rousse et une barbe courte qui était curieusement taillée à la façon des Berbères marocains. Il portait un éternel Blue-jeans, arpentait les rues d'un
pas nonchalent en tenant constamment un tout petit poste de radio à
transistors contre son oreille. Il s'exprimait à la manière des
Algériens:
"J'chuis d'Alger."
- Ah, bon?
Marquant un temps d'arrêt pour
réfléchir à ce qu'il allait dire,
il prononça:
- J'vais t'le dire, pourquoi j'chuis pas resté à Alger. J'ai été banni, trois ans d'exil et  interdit de séjour en Algérie.
- Pourquoi?
- J'vais t'expliquer. A Alger, j'habitais seul dans un petit appartement qui donnait sur une cour intérieure.
Un jour, tôt dans la matinée, j'ai
lavé tout mon linge, toutes mes
affaires, toutes. Puis je les ai toutes suspendues à une corde qui était
dans la cour. Tous mes pantalons,
mes chemises, mes pulls, mes slips,
mes chaussettes etc. Ensuite j'ai pris mon couffin et je suis allé faire mes courses. Au retour, j'ai éprouvé un
choc en pénétrant dans la cour:
tous mes vêtements avaient disparus!
- Tous?
- Ab-so-lu-ment tous!, scanda-t-il en faisant un geste las.
- - Alors?
- Alors? Ben, il aurait fallu me voir!
Je me suis précipité à mon
appartement, j'y ai déposé le couffin,
je suis ressorti en trombe et je me suis dit que celui qui les avait volés devait être en train de les écouler sur le
Marché aux puces, et puis, j'ai couru
et je suis entré au Marché à toute vitesse. Je l'ai tout de suite
remarqué parmi la foule.
- Comment pouvais-tu savoir que
c'était ton voleur?
- Ben, j'ai reconnu mes chemises
qu'il portait par-dessus son épaule
et mes pantalons qui pendaient à ses bras et mes chaussettes et mes slips qu'il tenait dans ses mains.
- Ah, en effet!
- Oui et il me tournait le dos. Alors j'ai couru vers lui à toute vitesse en criant: attends, toi, tu vas voir, je vais t'apprendre à me voler mon linge!
Et, sans ralentir, je suis arrivé à lui
et je lui ai envoyé un grand coup
de poing sur la nuque.
- Ah
- Oui et il s'est affalé de tout son
long sur sa face, à quelques mètres
de là. J'étais hors de moi et
je lui criais: lève-toi, salopard et défends-toi si tu es un homme!
Alors, des gens ont accourus et m'ont retenu par les bras mais le lascar ne bougeait pas.  En essayant de me dégager des bras qui me retenaient,
je lui criai encore: alors quoi? Tu n'as
pas le courage de te lever pour te battre. Femmelette! Lève-toi, tu vas voir
ce que je vais te faire.
Je me suis débattu pour que l'on me lâche, mais je commençai à trouver curieux que le mec ne se relève pas.  Alors, y'a un type qui s'est agenouillé près de lui et lui a touché la tête.
Puis, il s'est relevé en secouant le sienne. Tu sais quoi?
Ben, le type, il était mort.
- Tu l'as tué?
- Ouais, mais moi, j'savais pas. J'aurais pas cru qu'il allait mourir d'un coup de poing.
- Et alors?
- Alors la police m'a arrêté et je suis passé en jugement. J'ai écopé de cinq ans de prison et de cinq ans d'exil assortis d'une interdiction de séjour en Algérie.
Alors je suis venu à Paris.



12
A la mort.

En dehors de cet exilé qui se
nommait Jean-Pierre, j'avais un
autre ami qui était Français mais d'origne kabyle et qui n'ambitionnait rien
de plus qu'à être un Français français. Avec lui, je m'amusais beaucoup car, comme moi, il avait le sens de
l'humour et nous nous amusions
comme des fous.
Par un beau soir d'été, alors que nous nous promenions dans les rues du XIV èmè arrondissement, nous fûmes pris dans une rafle de la police. Nous fûmes conduits dans un fourgon au poste de police de la rue de la Goutte d'or
qui était proche de Barbès-Rochechouard. Il y avait un grand
nombre d'Algériens qui attendait
dans la rue, devant ce poste de police dans lequel on les faisait entrter
au fur à mesure que se poursuivait
le contrôle d'identité.
Notre tour arriva et nous fûmes
introduits dans ce local  dont
les fenêtres étaient grillagées
et dans lequel se tenait un
homme d'âge mûr qui nous observait. Mains dans les poches,  je m'avançai nonchalamment vers les contrôleurs quand je ressentis soudain une
violente poussée dans mon dos.
L'homme d'âge mûr cria en
même temps: "allez, avance!"
Furieux, je me retournai et le frappai
des deux paumes de mes mains sur
la poitrine, si fort qu'il tituba et faillit tomber à la renverse. 
En même temps, je lui criai:
"ne me bouscule pas comme ça, toi!" Mais, d'un geste rapide, il porta la
main à son côté droit et, levant en
même temps son bras gauche le
mur qui était à ma droite, il hurla:
"Au mur! T'entends, au mur!"
Puis il agrippa mon épaule et me
poussa vers le mur, en même temps
que mon ami auquel il criait:
"au mur, toi aussi, allez, avance!"
Les dents serrées, les poings serrés,
je m'apprêtais à me retourner pour le frapper, lorsque mon ami qui avait
déjà posé ses mains contre le mur,
me cria: "non, arrête, ne le fais pas!
Il tient un pistolet à la main."
Je compris alors seulement qu'il
était un agent de police en civil.
Comme j'hésitai, le policier me
poussa en criant: "mains contre
le mur, les pieds à un mètre du mur!" Obtempérant avec réticence,
je posai mes mains contre le mur
mais n'en n'éloignai pas mes pieds,
car je ressentais une furieuse envie
de frapper l'agent. Mais mon ami m'appela et, en pleurant et en
secouant la tête lentement, il me
supplia en langue arabe, de me tenir tranquille: "je t'en supplie, écoute-moi,
ne te retourne pas, il a braqué son pistolet contre ta tête et je te jure
qu'il a envie de tirer... je t'en supplie,
si ta mère t'est chère, ne fais rien du tout." Convaincu par ses larmes et
son ton suppliant, je m'immobilisai.
"Dis encore un seul mot, un seul!",
hurla l'agent derrière moi.
Mon ami secouait lentement sa tête
en silence et des larmes coulaient
le long de ses joues.
"Dis encore un seul mot!", cria un peu moins fort l'agent de police.
Essayant de tourner ma tête vers lui,
je touchai soudain le canon de l'arme qu'il appuyait maintenant derrière mon oreille droite. Alors je m'immobilisai
et ne bougeai plus.
Derrière moi, j'entendis l'homme se redresser en faisant glisser une semelle sur le carrelage et, d'une voix un peu moins tendue mais toujours menaçante, il conclut: "ah, bon, parce que sinon..."
et sans achever sa phrase,
je l'entendis se détourner et
s'éloigner de nous.  



13
A la vie.
Le lieu de travail de cet ami s'étant déplacé loin dans Paris et nos
rencontres se faisant plus rares,
je fréquentai de nouveau Jean-Pierre l'exilé. Celui-ci se prit pour moi
d'une amitié qui me devint bientôt encombrante. Peu de temps avant
que je n'obtienne de travail à la
fabrique de carton, Jean-Pierre fut touchant de sollicitude envers moi
et me vint à l'aide du mieux
qu'il pouvait. Malheureusement
il était sans travail, lui aussi, mais
c'était surtout parce qu'il était un peu paresseux. Grâce à lui, j'obtins
du crédit chez un brave homme de tenancier de bistrot et  sa gentille épouse et ils m'offrirent de garder
mon bagage chez eux et me
donnèrent tous les matins un petit-déjeûner à tempérament
de paiement. Par un beau midi
ensoleillé, Jean-Pierre et moi
sortîmes de ce bistrot pour flâner
un peu dans la rue du Cherche-midi.
A cette heure du jour,
elle était déserte. A une centaine
de mètres de là, Jean-Pierre
s'immobilisa tout-à-coup et,
sans se tourner vers moi, il me
dit à voix basse et conspiratrice:
- Tu vois cet appartement qui est
sur la droite du premier étage?
- Oui, qu'estce qu'il a, cet appartement?
- Chut, ne parle pas si fort.
- Pourquoi?
- Ecoute, tu vois les fenêtres
ouvertes de cet appartement?
- Oui, et puis?
- Gueule pas si fort, voyons! Ecoute.
Y a des peintres dans cet appartement.
- Mais, bon Dieu, qu'est-ce que
cela a d'intéressant?
- Tst, t'occupes! Ecoute-moi bien.
Il jeta un regard à sa montre et reprit:
- Il est midi et demi.
- Er alors?
- Alors, les peintres sont partis
bouffer au restaurant, tu comprends?
- Tu te fous de moi?
- Mais non ,mon con! Je vais
t'expliquer: toi, tu restes ici et tu
fais le guet. Moi, je monte à l'appartement et si tu vois quelqu'un arriver, tu siffles n'importe quel air de chanson assez fort pour
que je t'entende.
Je commençai à comprendre.
- Tu veux aller piquer quelque chose?
- Oui. Bouge pas d'ici et n'oublie
pas de siffler, en cas.
Avant que je ne puisse dire quelque chose parce que cette idée ne m'enchantait guère, il traversa la
rue et s'engouffra sous le porche de l'immeuble. Je restai donc là à
l'attendre, inquiet et je tournais constamment ma tête, tantôt à droite
et tantôt à gauche pour voir si
personne ne venait. Au bout d'un certain moment qui me parut très long, je vis jJean-Pierre sortir de
l'immeuble très calmement.
- On y va?, dit-il sans s'arrêter à ma hauteur et je compris que c'était une façon à lui de prendre le large.
- Oui, il était temps et je commençais
à m'inpatienter. Qu'es-tu aller faire là-bas?
Pour toute réponse, il tira deux billets
de 10 Francs et des pièces de monnaie de sa poche, puis il compta le tout et
en recompta la moitié qu'il me tendit.
Ahuri, je lui demandai:
- C'est quoi, ça?
- 25 Fracs. Ils n'avaient que 50 Francs dans leurs poches.
- Je n'en veux pas.
- Allons, prends je te dis. C'est ta part.
- Ma part!
- Ouais. Quand on fait quelque chose ensemble, on partage, tu piges?
Toute honte bue et en bougonnant
des paroles confuses, j'acceptai enfin
de prendre cet argent volé parce que
je n'avais pas un sou en poche.
- C'est pas tout, continua-t-il.
- Qu'est-ce qu'il ya encore?
Sans mot dire, il sortit une montre-bracelet de sa poche et dit, sans
grande conviction:
- Elle est en or.  
- Tu es sûr?
- Ouais, tiens, regarde et dis-moi
si elle est en or.
- Je ne sais pas, on dirait, mais je
ne peux pas l'affirmer.
- D'après toi, combien pourrait-elle rapporter?
- Ben, je ne sais pas, mais si elle est
en or, elle devrait rapporter
au moins 25O Francs.
 - 250?
- Oui.
- Bon, alors on prend le métro,
au noir bien-entendu parce qu'y
a pas d'raison de s'acheter un ticket
et on va à Barbès.  
Arrivés à Barbès, juste devant la
station de métro, se trouvait une
petite place déserte mais parsemée d'arbres sur toute sa surface.
Un moment plus tard, nous vîmes
un homme qui paraissait curieusement gros et qui était emmitoufflé dans un manteau malgré la clémence
du temps, s'approcher de nous à pas circonspects. Nous nous dévisageâmes pendant un certain temps, pui l'homme, qui s'était approché de nous,
demanda d'une voix qui me parut lasse:
- Bon, qu'est-ce que vous avez à vendre?
Comprenant qu'il n'était pas un agent
de police comme nous le craigniions, Jean-Pierre lui tendit la montre en disant:
- Ele est en or.
- Bah, fit l'homme.
D'un geste las et ennuyé, il ouvrit en grand son manteau en écartant ses deux bras et nous vîmes avec surprise qu'il avait épinglé à la doublure et sur sa veste, une multitude de montres que j'estimai à une centaine.
- Ben, ça alors!, nous exclamâmes Jean-Pierre et moi en même temps.
- Ouais, alors, vous comprenez...
Il referma son manteau, fit demi-tour
et s'éloigna de quelques pas, puis il s'arrêta et se tourna vers nous.
D'un air morose, il souleva, l'une après l'autre, sa manche gauche, puis la
droite pour découvrir ses bras qui
étaient chargés d'autres montres
qu'il avait bouclées depuis ses
poignets jusqu'à ses coudes.
Enfin, il rabattit ses manches,
haussa les épaules et s'éloigna nonchalamment. Peu de temps
après, nous vîmes un jeune homme
vêtu d'un costume gris, venir de
l'autre bout de la place d'un pas
un peu rapide.
Jean-Pierre et moi, nous tressautâmes
et nous eûmes presqu'envie de nous sauver.
Je lui demandai:
- Dis, est-ce que tu crois que c'est un flic?
Il pâlit plus que de coutume en serrant ses mâchoires et en clignant des yeux pour mieux voir l'individu et, enfin, répondit:
- J'chais pas. Attends, on va voir.  
Entretemp, l'homme était arrivé
jusqu'à nous. Il avait le visage dur et paraissait être inquiet, un peu sur le qui-vive; Il nous demanda d'une voix énergique
- Qu'est-ce que vous avez à vendre?
Nous voyant garder le silence, il reprit :
- Allez, grouillez-vous, quoi! Je ne suis pas un flic. Si vous n'avez rien à vendre, alors je m'en vais.
- Une montre en or, lui dit Jean-Pierre en lui tendant l'objet.
L'homme saisit la montre, la regarda
de près, puis il foudroya Jean-Pierre
du regard:
- ... ça, de l'or?! C'est pas de l'or,
c'est du plaqué-or! J'vous en donne 50!
D'un geste brusque, il nous tendit la montre. Jean-Pierre et moi, nous nous consultâmes du regard.
- Qu'est-ce que t'en dis?
Haussant les épaules je me
contententai de répondre d'un air dubitatif:
- Ouais...
Jean-Pierre se tourna vers l'homme
et lui dit:
- Bon, d'accord.
L'autre plongea sa main dans sa
poche et en sortit un billet de
50 Francs qu'il fourra dans la main
de Jean-Pierre,  puis il se détourna
et s'éloigna de nous d'un pas rapide.
- Ouais, dit Jean-Pierre,
c'est toujours ça. Bon, Tiens.
Il extirpa les 25 Francs de sa part
qu'il avait dans une poche et me
les tendit en disant crânement
mais faiblement:
- Tiens, c'est ta part.
Je haussai les épaules:
- Comme ça, au poins, nous avons
de quoi bouffer.
- Ouais, répondit-il d'un air jovial.
Un instant plus tard, nous sautâmes
dans le métro en riant.




Suite: 14, à la mort.



 
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