18: Le temps de la confusion
La confusion mentale s’insinua en moi
insidieusement au cours
du temps qui suivit ma séparation de Schakie.
Peut-être avait-elle déjà commencé
en ce temps-là déjà et sans
que je n’y prenne garde, car c’est à
cette époque-là que
commencèrent à me venir des idées
plus ou moins saugrenues
qui ne concordaient pas avec
ma personnalité habituelle.J’avais essayé
par tous les moyens
de m’intéresser à ces idées
nouvelles qu'apportaient mes amis
dans notre relation et je dois
avouer que je n’ai essayé d’embrasser
ces nouvelles philosophies,
si j’ose dire, qu’afin d’être au courant
de ce que discutaient mes
amis et aussi d’éviter d’être un
partenaire silencieux qui ne
comprenait rien à ce genre de
discussions « ésotériques »
pendant nos fréquentes réunions.
C’est ainsi que j’épluchai sans grande
conviction les ouvrages qui
traitaient de ces sujets « passionnants »
dont mes amis étaient si
friands et, après Spartacus de J. Joyce
que je ne réussis pas à lire
entièrement, je m’attaquai au
Livre des morts égyptien pour lequel
je ne parvins même pas à mes concentrer
sur ses dix premières
pages que j’étais obligé de relire maintes
fois sans savoir ce que
j’avais lu exactement. Je le jugeai si ridicule
que je l’exilai sur la
plus haute planche de mon étagère
pour qu’il y soit oublié.
Et tant pis pour I.W. qui m’en avait
conseillé la lecture, elle devrait
me prendre tel que j’étais, sans ses
cadavres orientaux dont les
limbes satelliseraient avec ou sans
mon concours autour de la
lune après leur mort mal entamée.
Au cours des réunions avec mes amis,
je fus confronté au
Troisième œil de Lobsang Rampa et
à sa ligne Kunda, à la Voie Yakie de la
connaissance, de Carlos Castaneda,
au Bouddhisme Zen, à la Macrobiotique
d’Osaka, à la méditation
transcendantale du Maharischi
Mahesh Yogi, à Timothy Leary,
au corps astral et un tas d’autres
balivernes auxquelles,
a priori du moins, je n’avais jamais cru.
Mais il se passa quelque chose en
moi qui est en quelque
sorte indescriptible car je ne peux
expliquer aujourd’hui ce
changement sans penser que c’était
dû à une perte de
compréhension ou d’intelligence,
de discernement, voire de
mémoire, mais sans doute pas de raison,
car je continuai à
vivre apparemment comme auparavant.
Je ne fréquentais plus que les
gens qui se droguaient,
car le haschich nous rendait euphoriques
et nous nous amusions,
faisions de la musique ou improvisions
quelques sorties ou
randonnées dans la ville et dans la
nature environnante.
Je faisais beaucoup de nouvelles
connaissances et pouvais les
rencontrer souvent un peu partout
dans la ville, dans les cafés,
les bistrots, les discothèques,
chez des amis ou encore au bord
de l’eau du Tiergarten ou
du lac de Grunewald.
Nous passions pratiquement toutes
nos nuits, garçons et filles,
(Suite en prochaine page: un trou de mémoire)
Il m’arrivait parfois d’être victime d’hallucinations subites en pleine
rue, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et de croire
en des choses insensées dont j’aurais ri moins d’un an auparavant.
Ce que les gens me disaient me paraissait souvent énigmatique et
je recherchais longtemps après encore le véritable sens de paroles
qui, somme toutes, étaient le plus souvent banales.
Je me pris aussi à réfléchir à des croyances tierces auxquelles je
n’avais jamais cru auparavant et qui avaient sournoisement hanté
mon esprit quasi à mon insu.
Le pire était que je m’enlisais passivement dans ce nouvel état
d’esprit sans me rendre compte de sa gravité et bien que je
consentisse des efforts louables de réflexion, je ne comprenais
pas que je devenais tout simplement la proie de divagations
incontrôlables. Malgré tout, mon esprit était souvent habité par
cette incertitude qui surgit toujours lorsqu’on est en proie à des
phénomènes parapsychiques et par cette impression qu’il y a
quelque chose qui ne va pas, quelque chose qui « cloche » dans
toutes ces choses auxquelles notre esprit est livré malgré soi.
Mon instinct de conservation veillait à ce que, pour le moins,
j’oppose une certaine méfiance à toutes ces pensées
déconcertantes qu’accompagnaient des évènements
paranormaux inhabituels et inexplicables.
En ce temps-là, il se produisit un mouvement dit Hippie,
insouciant et bon-enfant qui avait vu le jour sous le chaud soleil
de la Californie et qui s’était propagé toute la planète.
Comme je ne suivais pas un mouvement proprement dit, je
n’essayais pas d’en approfondir la signification que certains lui
attribuaient et je me contentais de vivre au jour le jour
entre deux pipes de hachich et deux prises de LSD,
entre deux fêtes et deux filles.
Les drogues appauvrissent celui qui s’y adonne, mais ce que nous
gagnions comme argent grâce à des jobs sporadiques de courte
durée y était entièrement et régulièrement investi.
Pour les fixers, c’est-à-dire ceux qui dépendaient de l’Héroïne,
la vie était encore plus folle et plus dure. Nombre de mes
connaissances qui s’y adonnaient pérégrinaient d’une maison de
santé à l’autre et il en mourait beaucoup, le plus souvent à
la suite d’une surdose volontaire ou non.
Nous ne les fréquentions que très peu, avec méfiance et mépris,
car ils étaient imprévisibles et sournois et nous ne voulions pas
subir leur sort si peu enviable.
Si cette époque psychédélique fit beaucoup de victimes et
suscita beaucoup de délinquance, elle contribua par ailleurs
à l’essor d’une nouvelle expression artistique que je mis
moi-même à profit.
Mais les drogues sont incapacitantes et je ne travaillais que
très peu ou inconséquemment, laissant mes œuvres pour
la plupart inachevées pour mener à ma guise cette
nouvelle vie que j’avais choisie.
Contrairement aux autres artistes de mon temps, je ne faisais
rien pour ma renommée et je répondais évasivement
aux questions de ceux d’entre eux qui croisaient mon chemin
lorsqu’ils s’enquéraient de mon devenir artistique.
De plus, les drogues aidant, je devenais très oublieux et ne savais
que rarement le lendemain ce que j’avais fait la veille.
Parfois, lorsque je sortais de mon sommeil quotidien,
je m’amusais à garder les yeux fermés et essayais de deviner
chez qui et avec qui j’avais passé cette nuit.
Mais il m’est aussi arrivé de me réveiller tout seul dans
mon propre lit.
De temps à autre, il m’arrivait d’avoir des trous de mémoire
qu’aucun effort de souvenance ne parvenait à combler.
Comme en cette nuit-là, après que j'eusse abandonné à un ami
une pizza qui m’avait dégoûté au plus haut point.
à fumer du hachich, de l’herbe, boire du thé fait avec des pétales
de fleur du pavot ou encore à consommer du LSD.
Celui de cette époque-là était additionné d’amphétamines
qui nous stimulaient et nous empêchaient de nous tenir en place.
Je l’appréciai moins que celui qui n’en contenait pas car je préférais
l’isolement à la foule et le calme à l’agitation.
Chose étrange, j’avais en même temps beaucoup de succès
auprès des femmes, ou plutôt, j’étais souvent sollicité par les
femmes,car je n’étais pas assidu de leur conquête.
On me traitait de play-boy, de don juan, de Casanova,
mais en vérité, j’avais toujours été en quête du véritable amour
et quand je ne le trouvais pas chez une femme,
je le cherchais chez une autre et comme je ne le trouvai
chez aucune d’elles, je commençai à ne plus y croire
et mes relations amoureuses n'en devinrent presque plus
que charnelles.
Pourtant, en ce temps-là, je commençai à éprouver une certaine
confusion mentale et à souffrir de troubles du comportement.
Dans mes rapports avec mes semblables, j’étais le plus souvent
confronté à des situations tendues et pénibles et parfois à
d’autres qui étaient franchement cocasses.
Je crois que je devenais irrationnel et perdais le plus souvent
tout rapport normal à la réalité.
Je devenais maussade et critiquais le plus souvent le comportement
de mes semblables, lorsque je ne semais pas tout simplement
le trouble et la discorde chez les amis ou dans les établissements
publics. Je changeais aussi d’avis avec une rapidité extraordinaire
quelle que fut la décision qui était à prendre.
J’éprouvais de la difficulté à me concentrer sur un travail
quelconque et une nouvelle façon de percevoir les choses
visuellement provoqua en moi de l’angoisse.
Souvent je me présentais à des employeurs que j’avais glanés
dans les petites annonces d’un journal pour effectuer un travail
que je n’avais jamais fait auparavant,
dessinateur industriel, jardinier ou surveillant de machines
à tricoter dans une usine. Je n’y restais en règle générale
qu’une heure ou deux après lesquelles
je repartais tout simplement en disant que le travail
ne me convenait pas.
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