h LSDreams - 16: Flash-back

   
  LSDreams
  16: Flash-back
 

Flashback

 
   C’était quelques temps après ma séparation d’avec Schackie. J’étais devenu solitaire, taciturne et je parcourais la ville dans tous les sens pour aller retrouver mes amis et faire la connaissance d’autres encore. Faire des nouvelles connaissances.
   J’allais partout où les gens fumaient ou s’adonnaient aux drogues hallucinogènes. Je ne fréquentais les bistrots que plus rarement, j’allais dans les fumeries privées ou publiques, dans les fabriques désaffectées qu’habitaient certains hippies pour y faire de la musique aussi fort qu’on voulait et dans tous les autres lieux qui étaient fréquentés par les gens qui se droguaient.
   Un beau jour, je fus à court d’argent. Je me levai tôt le matin, ce qui n’était pas dans mes habitudes et je descendis de chez moi pour acheter un journal volumineux. Je recherchai dans les petites annonces pour y trouver un travail et j’en découvris un qui me plut. On demandait un aide-jardinier et je fus enthousiasmé à l’idée de travailler dans la nature. Je patientai jusqu’à sept heures du matin et j’appelai l’employeur au téléphone.
— Etes-vous jardinier ?, me demanda-t-il.
— Non.
— Alors, pourquoi voulez-vous faire ce travail ?
— Parce que j’aimerais bien travailler dans la nature, répondis-je.
— Ah bon. Eh bien, allez à la caserne Napoléon et demandez qu’on vous indique les maisons des officiers mariés. Je vais téléphoner au contremaître pour le prévenir de votre arrivée.  
   Je connaissais bien la caserner Napoléon qui se situait dans le quartier de Reinickendorf, proche de celui de Wedding où j’habitais, pour y avoir travaillé pendant plusieurs mois, à en repeindre les bâtiments dans l’entreprise du beau-frère de Schackie. Je pris l’autobus et m’installai dans l’impériale et je ne sais pas si j’y avais fumé du haschich ou non, comme j’avais l’habitude de le faire. Lorsque je parvins au bureau de réception, le réceptionniste et moi qui nous nous connaissions bien, nous nous saluâmes amicalement et nous échangeâmes quelques propos cordiaux, après quoi, il me demanda la raison de ma visite. Je le lui exposai et il m’indiqua où trouver ce que je cherchais :
— C’est du côté de la sortie Ouest de la caserne. Une fois que vous serez là, le portier vous indiquera où se trouvent les maisons. Je vais vous donner un billet de libre circulation.
Il saisit un carnet de billets de passage et son stylo à bille. Machinalement, je portai la main à la poche intérieure de ma veste pour en tirer mon passeport, mais il m’arrêta en s’écriant :
— Mais non, voyons, nous nous connaissons bien.
   Je traversai la caserne dans le sens de sa longueur en biaisant vers l’Ouest, car j’en connaissais bien la topographie, et, après avoir contourné la piscine et les garages dont j’avais laqué les portes par le passé, je parvins à la Porte de l’Ouest.
Le portier et moi, nous nous connaissions bien aussi et, après les politesses d’usage, il me répondit en tendant son bras gauche vers l’horizon qui se trouvait à ma droite et m’indiqua de l’index, au-delà deux voies de circulation jumelles et parallèles qui flanquaient la caserne, un petit pâté de maisons blotties dans la verdure. 
— C’est là-bas, de l’autre côté de la route, les maisons grises que vous pouvez voir.  
Je le remerciai et le quittai après un dernier salut.
— De rien, au revoir, me répondit-il en souriant aimablement.
 
 
Sur le bord de la première des deux rues parallèles, je m’arrêtai pour observer le paysage qui s’offrait à ma vue. Un large terre-plein, en ilot, séparait les deux voies. Le long de leurs bords poussaient des arbres çà et là. Je traversai la première rue et remarquai une toute petite bâtisse qui était construite sur le terre-plein et qui semblait être une remise pour des outils de travail. Non, ce n’était pas un de ces condensateurs électriques qu’on peut voir au bord des routes, car sa porte, quoique métallique, ne comportait aucune inscription dans ce sens.
   Ensuite, j’avançai de quelques pas sur le terre-plein et je m’arrêtai aussitôt, stupéfait. Le paysage avait radicalement changé et ses couleurs étaient devenues irréelles. L’arbre que j’avais regardé auparavant et donc j’avais noté la couleur vert sombre était devenu violet, son tronc était plus sombre que ses feuilles qui étaient maintenant plus pourpres que lui. Le ciel était devenu vert et il était morcelé en un nombre infini de particules colorées et irisées et elles étaient si proches les unes des autres qu’elles formaient une grille qui emplissait tout l’espace. 
   Etourdi par le choc, j’en perdis la notion de la réalité. Me sentant soudain transporté ailleurs, je conclus à la vue de la couleur du ciel et un petit moment de réflexion, que je me trouvais sur la planète Jupiter.
— C’est mon corps astral qui est là-bas, pensai-je bizarrement, car, normalement, je ne croyais pas en l’existence d’un tel corps.
   Derrière moi, un bruit de pas feutrés sur la terre meule se fit entendre. Saisi par la crainte, je me tournai lentement et je vis s’approcher de moi, un quinquagénaire en vêtements d’été, des lunettes d’écaille et un chapeau de soleil sur la tête. Lorsqu’il fut devant moi, je vis que ses lunettes étaient de celles qui sont subventionnés par la Sécurité sociale pour aider les gens pauvres. Il donnait l’étrange impression d’être un provincial. Son teint blanc tirait sur le jaune et son visage était plissé de rides.
— Bonjour, dit-il d’une voix quelque peu euphorique et comme s’il allait secouer la tête, car il confondait ma réserve et mon hésitation avec la timidité.
L’état d’âme dans lequel je me trouvais me fit rêver qu’il était jupitérien et qu’il s’agissait d’un espion que son peuple extraterrestre avait envoyé en éclaireur pour se renseigner au sujet de ma présence sur leur planète. 
— Bonjour, lui répondis-je avec le plus grand calme possible.
Ses yeux étaient souriants, mais je lisais une certaine froideur dans ses iris bleus, car de tels yeux étaient faits de verre ou de métal, ceux d’une réplique d’être humain, fabriquée à l’aide de matériaux divers et probablement inconnus des Terriens. Derrière ses lunettes, les pattes d’oie qu’il avait au coin des yeux étaient faites de petits bourrelets jaunâtres qui ne pouvaient être que de matière synthétique. Ces cils non-plus n’étaient pas normaux mais ils étaient sans aucun doute fabriqués avec de brins de laiton. C’était un androgyne. Je dus garder mon calme, avoir du sang froid et parler paisiblement, afin de le rassurer au sujet de ma venue sur leur planète et aussi que je ne représentais aucune menace pour son peuple.
Son regard était froid et interrogateur :
 — Puis-je vous aider ? Cherchez-vous quelqu’un ou quelque chose ?, me demanda-t-il ?  
J’abandonnai l’examen de son apparence dans lequel j’étais plongé et lui répondis calmement:
— Oui monsieur, les maisons des officiers mariés.
Je savais bien où elles se trouvaient, mais je n’allais pas le lui dire afin qu’il ne crut pas que j’étais venu avec un mauvais dessein. Sinon, son peuple me tuerait car, comme je le crus, c’était le seul moyen qu’ils auraient employé pour m’éloigner de leur planète. 
— Ah, les maisons des officiers mariés !, s’exclama-t-il.
Il tendit le bras pour m’indiquer une direction  qui se trouvait derrière moi :
— C’est là-bas, ces maisons là, vous les voyez ?
— Merci bien, monsieur, au revoir.
Je me retournai et je les vis avec stupéfaction. Tout avait repris sa première forme. Elles étaient grises comme avant, le chêne avait retrouvé ses couleurs naturelles et le ciel, son bleu d’azur. Il était parsemé de petits nuages blancs à la lumière éclatante du soleil.


 
   Je traversai la seconde voie et m’approchai d’une bâtisse qu’encadraient deux rangées de maisons basses. Un jeune homme blond en sortit et me regarda attentivement. J’allai jusqu’à lui, le saluai et lui dis que je venais pour travailler.
— Je sais, me répondit-il, le patron vient d’appeler au téléphone pour me dire de vous attendre.
   J’avais déjà oublié mon flash-back précédent et je me sentais comme à l’ordinaire ou, du moins, je le croyais. Heureux à l’idée de travailler parmi des fleurs, je l’écoutai me parler du travail que nous devions effectuer. 
— Nous avons taillé les haies que vous voyez là-bas, dit-il en m’indiquant les maisons qui se trouvaient derrière moi et un tas de brindilles coupées qui jonchaient le sol.
— Taillé des haies ?, lui demandai-je, étonné.
— Oui, nous les avons toutes taillées.
— Mais...votre patron m’avait parlé de jardinage ?
— Oui, nous allons effectuer des travaux de jardinage, mais d’abord, nous devons ramasser toutes les brindilles qui recouvrent le sol.
Il me les indiqua du bras, mais je ne les vis pas. Je pensai qu’elles devaient peut-être se trouver dans les jardins des maisons.
— Venez, je vais vous les montrer.
Puis il m’indiqua une brouette dans laquelle il y avait un petit tas de brindilles de couleur gris-vert, ainsi qu’une pelle et un balai qui étaient posés dessus.
— Balayer ?, m’enquis-je, quelque peu frustré.
— Oui, c’est pour rassembler les brindilles et les pousser sur la pelle et, ensuite, les déposer dans la brouette.
— Ah bon...
Nous allâmes un peu plus loin et il me démontra comment déplacer les brindilles que je ne vis qu’alors seulement. Je ne les avais pas remarquées parce qu’elles étaient de la même couleur que l’asphalte de la petite rue et je ne les en distinguai, à présent, qu’à cause de leur teinte verdâtre. J’en conclus qu’il n’y avait pas beaucoup à faire pour s’en débarrasser.
— Venez, commencez par ici, me dit-il en allant à quelques pas plus loin, sur un trottoir étroit qui menait vers le coin de la première maison. En effet, il y avait là aussi des brindilles que je pus voir après un bref effort de concentration.
— Ça ira ?, demanda-t-il.
— Oui, ça ira, lui répondis-je.
Il retourna à la bâtisse qui avait été aménagée en vue de servir de vestiaire pour les employés. 
   Je restai debout sur le petit trottoir en tenant le balai à deux mains à la verticale et je me mis à inspecter les environs du regard. Ici, tout était petit, les maisons, les jardins, les ruelles et les trottoirs. C’était verdoyant et fleuri, calme et désert en cette heure matinale. Je fus saisi d’attendrissement pour les familles qui y vivaient et j’imaginai fugitivement un couple d’amoureux qui traversait joyeusement le jardin en compagnie de leurs enfants, une fille et un garçon, gambadant à leur côté.
   L’amour, le bonheur, la joie et la quiétude dans un beau décor. Assurément, nous devions fournir du bon travail pour contribuer à leur bonheur. Hardiment, je brandis le balai et la pelle. Je ramassai un petit tas de brindilles et puis un autre encore que je transvasai dans la brouette. Puis je partis à la recherche d’autres brindilles en scrutant le sol du regard. Je fus de plus en plus sidéré en progressant et en constatant, au fur et à mesure de mon déplacement, qu’i y en avait partout, si uniformément répandues, qu’elles en couvraient totalement presque toute la surface de la ruelle et des trottoirs. Alors seulement, je compris pourquoi je ne les avais pas vues dès l’abord; elles cachaient l’asphalte gris en dessous d’elles et c’était la seule couleur que je voyais partout.
   Je regardai vers le bout de la ruelle qui se terminait en T et je vis qu’il y avait des autres ruelles, des autres maisons, des autres haies et aussi des autres brindilles. Découragé, je reposai la pelle et le balai dans la brouette et je la reconduisis jusque devant la bâtisse.  
Le contremaître était déjà sorti à ma vue et il avança un menton interrogateur.
Je secouai la tête et je lui dis que je m’en allais parce que je ne voulais pas faire ce travail. Il réfléchit un peu, il s’éloigna et rentra dans le vestiaire. Un instant plus tard, alors que je partais déjà, il en ressortit avec une feuille de papier qu’il me tendit de loin.
— Qu’est-ce que c’est ?, demandai-je.
— J’ai marqué que vous avez deux heures de travail, répondit-il en pointant de l’index un endroit sur la feuille, donnez-la au patron pour qu’il vous paie.
— Ah, pas besoin, lui rétorquai-je.
— Mais c’est pour vous rembourser au moins vos frais de déplacement, dit-il, comme pour me raisonner.
— Bah, non, je n’ai pas fait grand-chose, je vous en fais cadeau, finis-je par refuser en souriant.
Il sourit à son tour et je pris congé de lui. Ensuite je m’installai dans l’impériale d’un autobus qui devait me conduire jusqu’au centre de la ville, à proximité du Café Markt.
   Je ne me souviens absolument plus de ce que je fis ensuite ce jour-là. J’étais sujet, de plus en plus souvent, à avoir des trous de mémoire ; mais cela ne m’inquiétait guère car j’étais trop occupé à parcourir inlassablement la ville dans tous les sens et il m’arrivait souvent de passer la nuit chez l’une ou l’autre de mes petites amies ou encore chez des copains.
   Le matin, à mon réveil, j’étais parfois surpris de me trouver là où j’étais, à tel point que j’en fis un jeu, en gardant les yeux fermés après mon réveil et en essayant de deviner chez qui j’avais bien pu dormir. Ensuite j’ouvrais les yeux pour voir si j’avais deviné juste. Il m’est arrivé aussi de découvrir, avec surprise que j’avais dormi chez moi. 
   La plupart du temps, je ne repensais pas à ce que j’avais fait la veille et, si quelqu’un me le demandait, je ne pouvais que répondre que je ne m’en souvenais plu.  
Je ne pense pas que je souffrais d’une amnésie proprement dite, mais le haschich que je fumais du matin au soir, ayant la vertu de faire oublier, il m’ôtait tout souvenir du passé immédiat.


  
 
 
 
 
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