h LSDreams - 41: Bribes:07: Au seuil de la mort

   
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  41: Bribes:
07: Au seuil de la mort
 


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   Parmi les pilules que m’avait envoyées S.T., il y en avait douze qui n’étaient pas de couleur bleu-violet ni de taille minuscule comme les autres, mais elles étaient plus grandes, plus rondes et de couleur vert-pâle. Comme il faisait chaud en cette période de l’année, je les avais placées dans un tube d’Aspirine vide que j’avais posé sur le carrelage froid, sous le fond de ma bibliothèque. De ces dernières, j’avais fait deux ou trois expérimentations qui furent satisfaisantes et, après avoir observé un délai suffisant, j’en repris une quelques jours plus tard, mais l’effet qu’elle produisit fut si faible que je décidai de patienter encore quelques jours avant d’en reprendre en doublant la dose. Quelques temps plus tard, le délai observé parvint à son terme et j’absorbai les deux pilules planifiées, mais leur effet fut presqu’aussi décevant que celui qui avait précédé et il me sembla être à moitié moindre que l’effet escompté. J’attendis encore quelques jours, puis j’en absorbai quatre desquelles j’espérais qu’elles produiraient l’effet d’une dose satisfaisante. Cette fois non-plus, l’effet ne fut pas concluant. Alors j’attendis encore quelques jours, puis, pensant que la canicule en avait peut-être séché la substance, je retirai les dernières cinq à six pilules qui restaient dans le tube d’aspirine et les absorbai toutes en une seule fois. Cette fois-ci, l’effet de la drogue fut pleinement satisfaisant et tout se passa comme à l’accoutumée jusqu’au moment où j’éprouvai cet irrésistible besoin habituel de m’allonger sur le dos et de laisser mes yeux se clore d’eux-mêmes. Les pilules que j’avais ingurgitées devaient sans doute avoir été toutes restées intactes, c’est-à-dire que chacune d’elles devait correspondre à l’équivalant d’une dose normale, car l’effet qu’elles produisirent fut si drastique et si intransigeant dans sa progression qui mène au-delà de ce qui est humainement supportable, que je dois en conclure que je m’étais administré une surdose de Psilocybine sans m’en être douté. Cette substance m’avait alors transporté superlativement à travers une série d’augmentations de la perception sensorielle qui allaient en s’amplifiant sans discontinuer ni s’en m’accorder de répit durant douze longues heures d’affilée. J’eus droit à une foison de visions colorées et de pensées surnaturelles qui se succédèrent rapidement et par milliards,comme si elles se bousculaient pour apparaître à leur tour. Lorsque mon esprit stressé parvenait à une limite qui me paraissait être impossible à outrepasser, la Psilocybine, à l’effet de laquelle j’essayais d’échapper de toutes mes forces, m’entraînait inexorablement au-delà de cette limite. Mes pensées se transformèrent en délire et je souffris d’un épuisement mental douloureux qui me fit craindre le pire pour moi, mais l’impitoyable substance m’entraîna toujours plus loin, bien au-delà de ce qui est insupportable. L’idée d’être devenu fou me tarauda l’esprit, je me sentis perdu et j’en souffris énormément, car ma tête me faisait horriblement mal, d’un mal suraigu et tout mon corps était lardé par d’étranges sensations cuisantes qui me torturaient. Enfin, survint le moment durant lequel se produisirent une sensation de flottement, une sorte d’apaisement de mes douleurs, durant lequel je restai étendu sur mon dos, épuisé, mais sans plus ressentir de souffrance. Puis je perçus physiquement, la vie qui était en moi sourdre jusqu’à la surface de mon épiderme. Puis cette vie, pareille à un fluide palpable, se mit à s’amenuiser uniformément et à affluer en rétrécissant comme une peau de chagrin vers l’intérieur de mon organisme. Je suivis attentivement sa progression, car elle se retira de toute la surface de mon épiderme, puis traversa mon derme et s’engagea lentement dans ma chair, dans mes muscles, comme si j’étais devenu une série de poupées russes qu’on aurait tronquées de leur base et de leur sommet, si bien que cette progression à rebours de la vie passait, en profondeur, d’une épaisseur de ma chair à la suivante, concentriquement, tout au long de l’axe longitudinal de mon corps et de la tête aux pieds, en se dirigeant vers mon ossature.
   Effrayé, mais impuissant à y remédier, je crus, pendant un instant, que la vie ne se retirerait pas davantage de mon corps, mais, à peine avais-je commencé à l’espérer, qu’elle commença à progresser vers l’intérieur de mes os et je perçus très nettement, sa marche inexorable à travers leur épaisseur. La vie s’était presque totalement retirée de mon corps et, une fois mes os traversés, elle ne pourrait plus subsister que dans la moelle qu’ils contenaient. Sentant une froidure l’enrober, je pensai :
— Si la vie se retire de la moelle aussi, je mourrais.
Désespéré et alarmé à la fois, j’adressai une prière à Dieu :
— Seigneur, je te prends à témoin. Il n’était nullement dans mon intention d’attenter à ma vie. Seigneur Dieu omniscient, Tu sais bien qu’en prenant ces pilules, je m’étais promis du loisir. S’il te plaît, Seigneur, pardonne-moi cette erreur, pardonne-moi.
Puis j’attendis, attentif à ce qui se passait dans ma moelle, mais, par bonheur, la vie avait cessé de progresser et ne la quittait pas, quoique je ressentis du froid dans tout son pourtour et une sensation très désagréable qui était proche de la douleur.
Ensuite, j’éprouvai un moment d’absence après lequel j’eus une impression qui ressemblait à l’émergence du sommeil, mais, si je n’avais pas dormi et si je semblais me réveiller, ce n’était pas à la vie normale que je le faisais, mais à la reprise de cette effroyable confusion mentale qui m’avait fait croire que j’étais devenu fou à lier. Puis le tourment tumultueux de mon esprit s’apaisa peu à peu et fut remplacé par une autre confusion qui était plus calme, celle-ci, mais dont le calme lui-même était inquiétant. J’avais de moins en moins d’idées incohérentes mais je pensais de moins en moins. Ma pensée sembla s’amenuiser et il me sembla que je devenais de moins en moins capable de penser. De surcroît, je me vis affalé dans une position du corps qu’il m’aurait été, autrement, impossible d’adopter, car mon divan ne mesurait que soixante-dix centimètres de largeur et que je me voyais à-demi étendu sur le dos dans cette dimension, les genoux extrêmement repliés, mes tibias touchant le mur, mes épaules à son bord opposé et ma tête inclinée en arrière dans le vide, suspendue à quelques centimètres du sol. Malgré les vains efforts que je faisais pour changer de position, cette impression persista, tandis que je surveillais l’évolution de mon esprit. Je pensais de moins en moins, alors, avec ce qu’il me restait d’énergie intellectuelle, je m’adressai de nouveau à Dieu en balbutiant :
—   Seigneur, je ne peux plus penser…Vois…Je n’ai plus d’intelligence…je me sens…comme un mouton…
Le souvenir d’un mouton que j’avais un jour observé paître au sommet d’une colline qui était proche du mas d’une parentèle à laquelle j’avais fait une visite, s’imposa à ma mémoire. Les yeux vaporeux, il tondait savamment un petit carré d’herbe, en rasant par-ci quelques brins d’herbe et par là, une pâquerette, au passage et il répétait méthodiquement cette composition de son menu.
Il me sembla alors qu’il était plus intelligent que moi dans l’état où je me trouvais, alors, je m’adressai de nouveau à Dieu et Lui dis :
— Seigneur…Non…pas un mouton…moins intelligent…Seigneur, je ne peux plus penser…
 
   En réalité, c’était ce que m’inspiraitla Psilocybine, que je ne pouvais plus penser, car, maintenant que son effet s’atténuait, je commençais à percevoir ma pensée habituelle qui fonctionnait en sourdine, parce qu’elle n’avait jamais cessé d’exister, mais elle avait été seulement éclipsée et reléguée à l’arrière-plan par la drogue hallucinogène.

 



 
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