h LSDreams - 33: L'intérieur indien

   
  LSDreams
  33: L'intérieur indien
 

 

   Après chaque expérimentation que je faisais régulièrement en fin de semaine, la vie reprenait tous ses droits habituels et je vaquais à mes diverses occupations pendant les autres jours de la semaine en me réjouissant à l’avance, dès l’approche du week-end, du prochain trip que j’envisageais de faire bientôt.
   Entretemps, j’avais rénové ma chambre. Le plafond était fraîchement peint en blanc et les murs en couleur bleu clair. J’avais poussé la bibliothèque jusqu’au salon pour pouvoir travailler aisément et l’armoire dans un coin de la pièce qui en fut ainsi devenue presque vide.
   Comme il faisait chaud, j’avais ouvert en grand les deux battants de la porte-fenêtre et baissé le volet roulant jusqu’à mi-hauteur.  La peinture à l’huile dont j’avais badigeonné les murs, n’étant pas encore tout à fait sèche, je plaçai le chevet de mon lit entre un battant de la porte-fenêtre et le mur pour y avoir plus d’air frais.
   Tout le monde dormait à cette heure de la nuit en cette fin de semaine et je profitai de la quiétude dans laquelle se trouvait notre appartement pour absorber une dose de LSD. J’avais baissé l’intensité de la lumière électrique grâce à interrupteur réglable et la chambre ne baignait plus que dans une sorte de clair de lune auquel la vue devait d’abord s’adapter avant de pouvoir distinguer quelque chose.
   Mais, les drogues hallucinogènes, possédant la
vertu de dilater les pupilles extrêmement, je pus y
voir comme en plein jour.
   Je fus pris d’un engourdissement tellement  anesthésiant, dès les premiers instants, que j’en éprouvai un irrésistible besoin de m’étendre, car mes paupières étaient devenues si lourdes que j’éprouvais beaucoup de peine à les garder ouvertes. Avant de m’installer à l’aise, j’avais placé une cassette du groupe japonais Kitaro, laquelle s’intitulait Silk road, dans le magnétophone que je mis en marche avant de m’allonger. J’avais pris soin de baisser la tonalité de telle sorte que la musique ne devait être audible que pour moi seulement, ma famille et notre voisinage étant endormis, à en juger par le total silence qui régnait à l’entour.
   Pendant un petit moment, je goûtai au plaisir d’être allongé, comme on le fait après une dure journée de labeur et en oubliant que j’avais pris du LSD.
Enfin, n’y tenant plus, je laissai mes paupières se
baisser toutes seules, mais je n’en discontinuai pas pour autant de voir la chambre comme si mes
yeux étaient restés grand ouverts ou comme si
mes paupières étaient devenues transparentes.
Mais la chambre était maintenant toute blanche et
dans ses murs étaient pratiquées des niches dans lesquelles on disposait jadis une source de lumière, bougie, quinquet ou encore lampe à huile.
   On eût dit que le style de cette salle était du genre hispanique, mais elle était aménagée avec des choses qui n’y concordaient pas, comme cette couverture de laine blanche dont les ornementations semi-géométriques dont elle était décorée relevaient plutôt du style amérindien et leurs couleurs étaient typiques pour ces peuplades : du jaune, du brun, de l’ocre, du rouge et du noir. Au beau milieu de cette chambre, je vis avec stupéfaction, trois grosses pierres rondes et grises qui étaient disposées en triangle sur le carrelage autour d’un petit tas de cendres grises et froides.
Etonné, je m’ébrouai en pensant:
— Ma chambre n’est pas blanche, je viens juste de la repeindre en bleu !
Pour m’en convaincre, j’ouvris les yeux avec un grand effort pour constater enfin que ma chambre était bien comme je le pensais.
— Eh bien voilà, je le savais bien.
Rassuré, je refermai les yeux, mais ce ne fut que pour revoir immédiatement cet intérieur indien qu’était devenue ma chambre.
— Mais…ce n’est pas possible !, me plaignis-je, ma
chambre n’est pas indienne et ne l’a jamais été !
 Je rouvris mes yeux avec peine pour constater de nouveau que ma chambre n’avait pas vraiment changé d’apparence.
— Voilà, pensai-je, en refermant les yeux
Mais ce fut en vain, car la chambre redevint de nouveau indienne, avec ses murs blancs, sa couverture bariolée et les trois pierres rondes sur le carrelage.
— Ah non !, clamai-je en moi-même, excédé par cette persistance tenace, ma chambre n’est pas blanche, elle est bleue et elle n’est pas indienne. Tiens ! J’en ai assez ! Je vais me redresser et garder les yeux ouverts jusqu’à ce que cette fâcheuse impression disparaisse.
L’effort que je consentis à faire pour me relever en gardant les yeux ouverts me parut presque surhumain tant il était pénible, mais je parvins à m’asseoir tant bien que mal sur le bord du lit et à poser mes pieds sur le sol, en me soutenant de mes deux mains sur le matelas.
Puis j’essayai d’écarquiller les yeux pour les garder ouverts. Mais mes paupières étaient difficiles à soulever et elles menaçaient continuellement de se refermer d’elles-mêmes. Comme elles y réussissaient parfois, il me semblait pouvoir voir au travers et je faillis considérer cela comme un miracle qui m’échoyait, cependant, je ne pus m’empêche d’être sceptique et m’évertuai alors à découvrir la clef de ce mystère. J’inspectai donc l’intérieur de mes paupières et, enfin, au bout d’un long moment d’investigation, je découvris qu’elles n’étaient pas fermées hermétiquement mais qu’il subsistait encore un espace entre elles qui n’excédait pas, en largeur, l’épaisseur d’un cheveu. Cet infime espace suffisait pour je puisse voir comme si j’avais les yeux ouverts normalement.
Cette enquête eut le mérite de faire disparaître cette chambre indienne et je pus enfin m’allonger et refermer les yeux sans la revoir.
   Je me sentis alors aussi bien que si un sommeil réparateur me gagnait et une semi inconscience me fit tout oublier. Absolument tout, comme lorsque l’on dort profondément. Alors seulement, je perçus le son de la musique instrumentale qui sortait du magnétophone. Intrigué par une certaine gravité qui émanait d’elle, je soupçonnai qu’elle relatait l’histoire d’un destin tragique. A l’époque du Japon ancien, du temps des Shoguns et des Samouraïs. Il y avait une très belle et sérieuse jeune dame et un brave jeune homme qui s’aimaient d’amour tendre. Elle était d’une très grande beauté et il avait une fière apparence. Tous deux étaient de modeste condition et projetaient de s’unir un jour.
Mais le Shogun de cette contrée était tombé amoureux d’elle et il la désirait pour lui-même, bien qu’il sache qu’elle en aimait un autre et qu’elle ne consentirait jamais à devenir reine. Le Shogun, escorté par son armée de soldats à pied et à cheval et de ses archers l’enleva et se mit en devoir de la mener vers son palais.
   Mais le jeune fiancé, armé de son épée, d’un arc et d’un carquois empli de flèches, s’était lancé hardiment à leur poursuite sur un cheval rapide.
L’empereur, en armure sombre et l’épée au côté,
avait réuni son armée autour de lui, sur la crête d’une colline qui était entourée de profondes crevasses et ils semblaient tous attendre que le jeune homme les rattrape.
A sa droite, le Shogun avait placé la jeune dame qui portait des vêtements somptueux, mais elle paraissait triste et chagrinée et il avait rangé ses archers à sa gauche.
Ses cavaliers armés étaient répartis sur les crêtes de toutes les crevasses. Tous regardaient dans la direction de laquelle allait apparaître le jeune homme.
   Il apparut enfin, torse nu sur sa monture et le front ceint d’un bandeau blanc. Il arriva enfin au pied de ces collines. L’Empereur l’observait d’un œil narquois et les soldats ricanaient, parce qu’ils étaient plus nombreux et mieux armés que lui. Certains des archers tenaient nonchalamment leur arc dans une main et dans l’autre, une flèche retenue mollement. Le Shogun et la dame se tenaient au centre de la troupe et il apparaissait clairement que le jeune homme mourrait s’il tentait d’approcher d’eux.
   Cette scène guerrière s’estompa dans la nuit et
la musique poursuivit de narrer que le jeune homme se retira, la mort dans l’âme et qu’il se morfondait en attendant de trouver un moyen qui lui permettrait de récupérer sa belle.
Puis, un silence s’établit dans la nuit de ma chambre mais il me semblait entendre un son si ténu qu’il en était à peine perceptible. Couché, les yeux fermés comme si je dormais, quelque chose me tenait en suspens sans manquer de m’intriguer. Je tendis donc l’oreille et je pus entendre, après un long moment d’attente, une sorte d’agitation de l’air qui était à peine audible, mais qui s’enflait peu à peu pour ressembler à un lointain souffle du vent qui bruissait lentement mais sûrement, en s’amplifiant, jusqu’à devenir un sifflement qui s’approchait de plus en plus de moi. 
— Le vent souffle, pensai-je.
Mais le sifflement pourfendit l’air en devenant de plus en plus strident et…Je tressaillis ! Le jeune homme lésé de sa fiancée, ne pouvant s’en prendre à toute une armée, s’était glissé, pendant la nuit, dans le palais du Shogun. Les pieds nus pour ne faire aucun bruit, il avait traversé la cour du palais et avait pénétré par la porte-fenêtre qui était grande ouverte dans la chambre à coucher du monarque qui dormait profondément dans son lit. Le sabre du jeune homme, fendant l’air, s’abattait déjà pour trancher le cou de son ennemi. D’un bond, je fus hors de ma couche et tombai sur la plante des pieds en face de la porte-fenêtre, les bras disposés en garde de combat, en hurlant :
— Scélérat ! Ce misérable traître a failli me trancher le cou pendant mon sommeil !  
   Mais l’instant d’après et malgré que je gardais encore du ressentiment pour une telle félonie et du mépris pour un tel agissement, l’absurdité de cette situation m’apparut dans toute son ampleur Alors, confus et contrit, je regagnai mon divan.
 

 
 
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