h LSDreams - 06: Des siècles de parures

   
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  06: Des siècles de parures
 

Des siècles de parures

     
   Schackie et moi, nous avions un emploi du temps chargé : elle allait travailler à son bureau et moi à l’école où j’essayais de parer mon art qui était déjà satisfaisant, avec les artifices des visions lysergiques, mais le résultat fut décevant car mes images étaient à ces flamboiements incandescents de la drogue ce qu’est un imprimé sur papier par rapport à l’image lumineuse d’un écran d’ordinateur. Je renonçai donc assez rapidement à cette vaine tentative et retournai à mon modeste travail, puis, celui-ci terminé, j’allais faire un tour au centre-ville et, ensuite, en milieu ou fin d’après-midi, j’allais rejoindre les fumeurs au café Markt, pour y consommer un joint et encore , faire un petit tour en ville ou, comme il m’arrivait assez souvent, à aller à une invitation de l’un ou de l’autre des habitués.
   Le plus souvent, vers dix-neuf heures, j‘allais rejoindre Schackie et puis nous sortions en ville ou allions rendre visite à des amis. Un bel après-midi, O.S. et son épouse vinrent chez nous pour une courte visite au cours de laquelle nous en vînmes à parler du LSD. Les femmes s’entendaient bien et, comme O.S. appréciait la drogue autant que moi, sinon davantage, puisqu’il faisait un trip tous les vendredis soir, elles nous suggérèrent d’en faire ensemble. O.S. nous invita donc à une nouvelle soirée de trip chez lui le vendredi suivant. Après cette fois-là, cela devint une habitude de se retrouver tous les vendredis régulièrement pendant plusieurs mois. 
   Chaque vendredi soir donc, vers dix-neuf heures, Schackie et moi, nous nous y rendions pour passer la première partie de la nuit à converser gaiment tout en fumant des joints et en sirotant du thé vert de Chine ou fermenté des Indes. Puis le moment arrivait, comme à chaque fois, où les femmes se retiraient dans la cuisine pour nous laisser faire notre trip tranquillement. Un jour, j’émis mon regret à Schackie de lui infliger un tel passe-temps que j’imaginais ennuyeux pour elle, mais elle me rassura joyeusement :
 — Mais non, Schacky, nous ne nous ennuyons pas du tout, au contraire, nous restons installées toute la nuit devant une bière à parloter gaiment de choses et d’autres et cela nous amuse beaucoup.
   Nos compagnes, ayant gaiment pris congé de nous pour se retire dans la cuisine, O.S. et moi, nous absorbâmes une dose de LSD ou de psilocybine, puis nous fumâmes encore un joint en attendant que l’effet hallucinatoire se produise. Lorsque ce moment arriva, O.S. tamisa la lumière en ne laissant qu’une bougie allumée ainsi que la veilleuse multicolore pour tout éclairage. Comme de coutume, il me consulta pour savoir quel genre de musique de fond je voudrais entendre mais, comme de coutume, je lu en confiai le choix tout en étant sûr qu’il ferait le bon. En règle générale, si l’effet se produisait plus vite que prévu, O.S., pris de court, s’accroupissait devant sa pile impressionnante de disques, en saisissais quelques-uns dans une main et les feuilletait de l’autre, pour en choisir qui serait adéquat à la situation. Ensuite, il les rabattait tous ensemble, les approchait de son visage comme pour mieux les voir. Je ne pouvais pas m’empêcher d’en rire dans ma barbe, parce que je comprenais qu’il n’arrivait déjà plus à déchiffrer l’écriture des titres ni à les reconnaître à leur étuis et parce qu’il semblait se demander ce que pouvait bien être ce qu’il tenait les mains ni pourquoi. Cela vient de ce que, sous l’emprise de la substance hallucinogène, il n’est plus possible de déchiffrer une écriture ni de savoir dans quelle langue elle est rédigée. A cela s’ajoute que l’esprit devient comme s’il était congestionné et préoccupé par le changement qui s’opère en lui.
   Excédé de ne plus savoir où il en était, O.S., avec un geste brusque, saisit un disque au hasard et le plaça résolument sur la platine du tourne-disque. Lorsqu’on se trouve sous l’emprise de la drogue, on devient très perspicace et on ne nécessite pas de parler pour comprendre ou exprimer quelque chose. Plus étonnent encore, on peut faire face à une personne silencieuse qui vous regarde et on peut dire à voix haute ce que cette personne pense tout bas, comme si on l’entendait penser à haute voix. O.S. me lança alors un regard quelque peu interrogateur et, comme je le comprenais, j’acquiesçai en opinant de la tête tandis que je reconnus le genre de musique qui jouait et aussi parce qu’il désigna d’un geste vague son matelas qu’il voulait rejoindre. Il était temps de se mettre à l’aise pour voir confortablement ce que la drogue nous réservait.
   Même quand on a l’habitude de consommer des substances hallucinogènes, on ne manque pas de se demander, au début de chaque séance, ce qui nous attend car on sait fort bien que ce qu’il en sera ne dépend pas de notre volonté, qu’il est imprévisible, souverain et impossible à imaginer ou à souhaiter à l’avance. O.S. avait rejoint sa place et s’y était à demi allongé en appuyant son dos contre le mur. Son attitude trahissait son attente de l’imprévu, auquel il s’abandonnait déjà, humblement  et fatalement et il émanait de lui quelque chose de touchant. Pour ma part, je m’étais allongé sur le dos, sur le matelas surélevé, la tête sur un oreiller et je ressentais cette sorte d’engourdissement e me demandant vaguement comment tout cela allait être. A ce moment-là commença l’imprévu à se produire de manière discrète mais inexorable en emportant son adepte engourdi, dont les sens de la perception changent lentement mais sûrement, dans ce domaine inconnu et jamais répété qu’est l’aventure de l’esprit dans des phénomènes insoupçonnés et irrésistibles.
   Déferlent alors des sensations psychiques étonnantes qu’on oublie par la suite mais qui mènent parfois à des situations surréelles, paranormales, stables et convaincantes. Des images hautement colorées et lumineuses, des paysages fantastiques, des visions fabuleuses et encore d’autres fantaisies hautement artistiques défilent pendant un temps indéterminé devant des yeux éblouis et ravis. Il arrive aussi qu’il se produise un dédoublement physique semblable à l’ubiquité lorsqu’on ferme les yeux et qu’on se voit soi-même physiquement ailleurs et de se retrouver à sa place en les rouvrant.
   Quoiqu’il en fût ce soir-là, après un certain temps indéterminé, je me trouvai, sans transition, assis tout seul sur l’un des deux matelas qui jouxtaient le mur où, d’ordinaire, O.S. aimait se mettre à l’aise.
Une lumière élevée attira mon regard vers le plafond et j’y vis, en son centre, une ampoule d’électricité nue qui pendait à un bout de fil électrique. Je connaissais suffisamment cette salle pour savoir qu’il n’y avait jamais eu d’ampoule à cet emplacement, mais sa présence indubitable était si réelle, que je doutai littéralement de ma mémoire. Lorsque je reportai mon regard vers le bas, j’y vis une sorte d’armoire large d’environ trois mètres qui ressemblait à une baraque foraine. Elle était ouverte à l’avant et sa moitié inférieure, haute d’environ un mètre ressemblait à la face frontale d’un comptoir. La moitié supérieure et haute d’environ un mètre était ouverte sur toute la largeur de cette armoire qui mesurait visiblement deux mètres de profondeur. La lumière qui éclairait curieusement la cloison du fond n’émanait pas de l’ampoule du plafond ni de nulle part ailleurs. Elle brillait discrètement à partir d’une sorte de gelée multicolore qui était étalée sur toute la surface de la cloison. Elle ruisselait tout doucement vers le bas en changeant constamment de couleurs irisées. Au milieu de cet étrange objet se tenait un jeune homme d’un aspect agréable doublé d’une belle prestance et d’un maintien irréprochable. Il me regardait en souriant d’un air très amical en attendant que je me concentre sur lui. Quand je lui prêtai mon attention, il leva son bras en l’air, la main décontractée et l’index pointant vers le haut. Il me fit un léger signe de la tête pour me demandait si j’étais prêt. Je hochai la mienne  en guise d’affirmation. Alors il baissa sa main et, la portant à sa gorge, il tapota de l’intérieur vers l’extérieur un jabot pour le faire tressauter. 




 
   Après qu’il eut fait de nouveau un léger hochement de sa tête, j’acquiesçai et il leva son bras droit, l’index tendu vers le haut, la main gauche sur la hanche à la manière d’un mannequin qui présente élégamment un vêtement, puis il fit un quart de tour et me présenta son profil sans cesser de me regarder d’un air complice. Au même moment apparut sur la droite du comptoir un valet de chambre en bois qui portait un autre vêtement. Le jeune homme fit un très léger geste de sa main levée pour attirer mon attention et lorsque je la lui prêtai, le porte-vêtement fusa vers la gauche où il s’immobilisa tandis qu’un nouveau valet, affublé d’un nouveau vêtement, surgit du néant sur le côté droit et le jeune homme portait déjà l’habit qu’avait avancé le valet de gauche comme si c’eût été une rapide opération de prestidigitation.
   Le nouvel habit que portait mon ami maintenant était l’uniforme d’un hussard.  
Il lui allait si bien qu’on eût cru qu’il avait été confectionné sur mesure pour lui. Tout en contemplant ce nouvel avatar, une pensé pensée soudaine frappa mon esprit :
— Mais…c’est moi !
Puis je me ravisai et pensai que ce n’était pas moi, ce jeune homme qui remplissait le rôle de mannequin devant moi. Il m’apparut encore que ce fût moi et enfin, je pensai qu’il importait peu que ce fût lui ou moi qui étais l’acteur et qui le spectateur, car nous étions semblables au point que ce pourrait tout aussi bien être n’importe qui d’autre dans le monde pour jouer ce rôle.
 Son flanc gauche tourné vers moi, le jeune homme fit un nouveau geste de la main droite pour attirer mon attention,puis il leva son bras comme précédemment et, l’index pointant vers le haut, il m’indiqua nonchalamment de sa main gauche un nouveau valet qui était apparu subitement à la droite du comptoir. Le même manège se produisit et après que le valet se fût propulsé vers la gauche, mon présentateur portait déjà, comme par magie, cette parure nouvellement apportée. Après m’avoir fait face, il pivota lentement sur lui-même avec un mouvement de suprême élégance et tourna lentement sur lui-même afin que je le voie de tous les côtés.


 
 
   Enfin, il me fit face et, du même geste élégant il m’indiqua un nouveau valet de bois qui portait un nouveau costume d’époque qui venait d’un autre continent. J’eus droit au même programme et au même rituel durant lequel il me présenta, l’un après l’autre, un nombre incalculable d’autres habits de toutes les époques et du monde entier. Tous les accoutrements imaginables furent passés en revue.

 
 
   Il y en eut tant que pendant un instant, je cessai d’observer ce fabuleux spectacle et pensai avec enthousiasme :
— C’étaient des siècles de vêtements de toutes les époques du monde entier que je viens de voir !
   Un peu plus tard, quand l’effet du LSD tira à sa fin, j’ouvris les yeux à la même place que j’occupais au début de cette séance. Puis je jetai un regard scrutateur vers le centre du plafond, mais, comme je m’y attendais un peu,  je n’y décelai aucune ampoule électrique nue.
  



   Cette apparition fut la seule qu’il m’ait été donné de voir au cours de toutes les expérimentations que j’avais faites durant les années précédentes et elle s’était déroulée avec tant de réalisme que j’avais cru que le spectacle que je voyais alors était réel.



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