h LSDreams - 08: L'arbre qui parle

   
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  08: L'arbre qui parle
 
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   Au cours de l‘un de ces vendredis soirs plus tard, après la courte réunion à quatre d’usage, O.S. me révéla qu’il avait mis l’équivalant de cinq doses de LSD dans la théière japonaise qui trônait déjà sur sa chaufferette.
   Il m’avait dit auparavant qu’il avait lu quelque part, de Timothy Leary, si mes souvenirs sont bons, qu’une bonne dose était évaluée à 350 milligrammes, ce qui signifiait que la théière en contenait 1750.
— Cinq ?, demandai-je avec étonnement.
— Oui, répondit-il, cela fera deux doses et demies pour chacun de nous. Nous pouvons prendre une tasse et attendre ensuite pour voir comment cela sera.
 — Entendu, répondis-je.
   Il saisit la petite théière sphérique de couleur brune et emplit ma petite tasse dépourvue d’anse, dont l’intérieur était verni et coloré d’un semblant de jade. Il en versa aussi dans sa tasse qu’il tendit ensuite vers moi e soulevant son coude en guise de souhait et me dit, avant d’en boire :
— A un bon trip.
— A un bon trip, répondis-je en soulevant la mienne et en ingurgitant tout le contenu.
Ensuite il me proposa de roule un grand joint d’Afghani noir en attendant que l’effet de la drogue se produise.
   Nous conversâmes gaiment pendant environ une demi-heure au bout de laquelle je ressentis un engourdissement et une léthargie qui étaient quelque peu agréables. Nous nous tûmes aussi, sans vraiment nous en rendre compte. Le silence qui s’en suivit était dû à la constations d’un changement radical mais indéfinissable de l’état mental, état qui était devenu étonnant et qui incitait à son observation.
Le LSD produisait sur moi et sur l’environnement son effet déroutant. Une bouffée d’angoisse me saisit au point que j’en eu la poitrine oppressée, mais cette appréhension soudaine disparut aussitôt et me laissa rêveur tandis que j’essayais d’en deviner l’origine. J’étais déjà parvenu au stade de la forte amplification de la perception des sens et des choses. Dépassé par ces nouveaux évènements, j’en avais la tête engourdie et l’air ambiant me parut plus chaud. 
J’observai ensuite l’espace de la salle où nous nous tenions et les couleurs de la lumières et celles des ombres m’apparurent plus belles et plus intenses. Une sorte de texture spatiale granulait l’atmosphère, à la manière de la poussière qui stagne dans un rayon de soleil.
   Je ressentis une soif soudaine. Elle était si intense qu’elle me préoccupa l’esprit par son intensité qui allait en augmentant jusqu’au point d’en devenir alarmante. Ma bouche était complètement sèche et le devenait de plus en plus. Je me pris à penser qu’il ne pouvait pas être possible que ma bouche, mes lèvres et mon palais puissent devenir aussi secs que du papier ou du carton ou du cuir séché ou encore qu’une pierre exposée a soleil. Je craignais déjà que cette épouvantable soif pouvait signifier un danger qui serait létal pour moi et je lançai un regard d’appel muet vers mon ami. Celui-ci ressemblait à un tableau vivant qui était peint sur plusieurs plans dans l’espace habituel de cette salle de réception. O.S. était en train de m’observer attentivement, les yeux bien ouverts, l’iris de l’œil ayant l’éclat d’une pierre précieuse et les cils, les sourcils et la barbe ainsi que la l longue chevelure comme faites de brins d’or véritable. Ses vêtements et les coussins sur lesquels il appuyait son dos, sur des plans qui étaient bien distincts les uns des autres, avaient la texture d’un riche velours aux reflets chatoyants. Je l’appelai :
— O.S. !? 
— Oui ?, répondit-il en approchant sa tête un peu vers moi.
— Pourrais-tu me verser un peu de thé, s’il te plaît ?
J’avais très envie de boire immédiatement n’importe quoi pour étancher cette soif intense qui m’importunait. Il me regarda en silence et d’un air un peu perplexe comme s’il réfléchissait, pus il me demanda :
— Tu veux encore une tasse ?
— Oui, lui répondis-je la bouche complètement sèche et en me demandant ce qu’il trouvait d’intrigant à ma requête.
Il réfléchit un bref moment, puis il reprit :
— Bon.
Ce mot retentit dans l’espace comme un coup de gong et se propagea dans la salle en vibrant dans son atmosphère qui avait acquis une apparence étrange et féérique et en rebondissant des murs jusqu’au plafond. Je le regardai et je le vis soulever un bras vêtu de velours chamarré qui s’avançait dans la lumière qu’il surpassait en éclat, dans espace aberrant, de dimension indéfinissable et qui semblait être immense dans un endroit restreint. Sa main, étonnamment blanche, avait des nuances plus pâles et elle plana dans l’air avec la grâce d’une colombe et, enfin, elle se posa avec une délicate fermeté sur l’anse de la sombre théière. Elle garda cette position pendant un moment qui m’intrigua. Je regardai mon ami et il me regarda à son tour, puis il souleva la théière qui me parut s’élever comme une planète dans un espace nocturne, en décrivant une vaste parabole au-dessus de la table basse sur laquelle les objets n’étaient plus que des ombres anonymes. La boule brune marqua un temps d’arrêt puis elle inclina son bec verseur, courbé comme le col d’un cygne, duquel jaillit aussitôt une colonne torsadée, transparente et dorée qui scintillait de feux en plongeant en arc de cercle dans ce vide démesuré pour enfin, venir s’écraser, de très haut, sur le fond de la tasse. Celle-ci, était le fond d’un bassin vert pâle de jade à reflets d’opale et d’or dans lequel le liquide doré venait s’écraser et y exploser en gerbe luisante dont les perles émettaient des sons musicaux très cristallins en accompagnant de leur ravissante symphonie la propagation concentrique des vagues ondulantes du thé doré qui s’épandait tumultueusement dans ce et minuscule bassin qu’était devenue la tasse. Puis la céleste musique cessa brusquement quand la colonne liquide disparut et que les vagues de thé doré s’apaisèrent. Maintenant, la tasse était pleine d’une masse compacte qui ressemblait à une pierre précieuse et luisante. Cette subite disparition m’étonna et je levai de nouveau un regard intrigué vers mon ami. IL tenait la théière en suspens dans l’air et il me regardait en pensant à ce que je devinais déjà être sa curieuse attitude envers ma consommation de son thé, puis il dit :
— Bon !
Surpris, je le regardai sans comprendre ce qui le motivait, mais il m’étonna davantage en poursuivant :
— Si tu bois encore une tasse…
Sa phrase resta en suspens un bref instant et j’en attendis la suite avec perplexité.
— …alors, j’en reprends une moi aussi, finit-il par dire.  
J’en fus stupéfié de saisissement, je ne pus pas comprendre pourquoi mon ami parlait ainsi et je ne sus pas pourquoi il faisait d’une tasse de thé un problème qu’il était seul à connaître. Enfin, craignant de périr de sécheresse buccale je portant la tasse à mes lèvres comme si je sortais d’un four et la vidai lentement d’un seul trait décomposé en plusieurs petites gorgées successives afin que ce doux breuvage prodigue pleinement son action salvatrice. Enfin désaltéré, je posai ma tasse sur la table basse que je ne finissais pas d’atteindre, tant elle me parut être lointaine. Maintenant elle reposait comme un objet privé de vie parmi les ombres insignifiantes de la table qui stagnait en contrebas dans la pénombre. Je perçus soudain le son cristallin et bouillonnant du thé qu’on versait dans une autre tasse et je vis la main blanche reprendre son essor courbé dans cet espace clair-obscur vers la chaufferette qui brillait de sa propre lumière et sur laquelle, la ronde théière allait être reposée. La main d’O.S. reprit son périple dans les airs et saisit la tasse qu’il souleva un peu dans ma direction comme s’il allait boire à ma santé, puis, avec un mouvement qui me parut infini, il la porta vers sa bouche et enfin, la vida , par petites gorgées successives et sans reprendre haleine. Puis il la posa sur la table, se carra dans son siège et me regarda avec un calme triomphe qui le rendait goguenard. Je n’y comprenais rien du tout et je fus perturbé de le voir agir ainsi à cause d’une simple tasse de thé. Contrarié, je me détournai de lui et sondai les ombres et les lumières qui paraient somptueusement la vaste salle, mais tout en restant distrait par des mystérieuses réflexions et qui étaient d’une sagesse extrême, lesquelles, bien qu’émanant de très hautes et indéniablement véridiques de hautes sphères spirituelles, n’en étaient pas moins éphémères parce qu’elles disparaissaient de la mémoire sitôt après avoir révélé des révélations splendides et inattendues. En ce qui me concernait alors, elles disparurent aussi parce que je ressentis avec effroi, ma bouche s’assécher rapidement de manière inquiétante.     
   Atterré, j’affublai cette soif de superlatifs ascendants en force, selon l’augmentation de son intensité pour en finir par la qualifier de sécheresse de désert et, de guerre lasse, j’appelai de nouveau mon ami à la rescousse en le priant de me verser une nouvelle tasse de thé. Ahuri et comme frappé de stupeur, l me regarda droit dans les yeux et me demanda avec perplexité :
 — Tu veux une autre tasse ?!
 — Oui, lui répondis-je en dissimulant ma secrète impatience, car je surveillais ma bouche qui était devenue tellement sèche qu’elle m’en sembla s’être solidifiée. Car enfin, qu’avait-il donc ? Pourquoi faisait-il tant de difficultés pour une malheureuse petite tasse de thé ? Il n’était pourtant pas avare, alors, pourquoi est-il si étonné quand j’en redemande ?
— Bon, finit-il par dire et ce mot sonore se répercuta en ondes à travers l’air ambiant et dans tous les recoins de la salle qui le revoyaient contre les autres murs. 
Pendant un court moment, je ne pus que le suivre dans ses répercussions froufroutantes contre les murs et le plafond et que celui-ci nous renvoyait. 
— Si tu en bois encore… et bien, moi aussi, j’en reprends…, prononça-t-il gravement avec un sérieux inexplicable. 
A cette phrase décourageante, je décidai de ne plus essayer de comprendre ses raisons. La même chose se répéta comme la fois précédente et je pus enfin, apaiser ma terrible soif.
  A vrai dire, cette soirée-là, je ne voulais que boire quelque chose, n’importe quoi, fut-ce de l’eau du robinet pour mettre fin à mon horrible soif, mais, contrairement à moi, O.S. n’avait pas oublié qu’il y avait cinq doses de LSD dans la théière et il croyait que j’en étais conscient. De là, son étonnement et son comportement qui me paraissaient incompréhensibles. C’est ainsi que j’absorbai,  à peu près, deux doses et demie de LSD sans m’en douter. 
   Lorsque l’effet de la substance eut pleinement agi, nous gagnâmes nos places habituelles et sombrâmes aussitôt dans un engourdissement léthargique. Quelques instants plus tard, je me trouvai soudainement de bout au centre de la salle qui était devenue curieusement sombre, d’une semi-obscurité de plein-air nocturne. Effectivement, j’aperçus, presque sans étonnement et agréablement surpris, deux ou trois arbres qui étaient dressés à quelques pas de moi. Ils se trouvaient à la lisière d’une forêt silencieuse que je pus distinguer dans l’obscurité de la nuit. Devant moi se trouvait un arbre qui attira particulièrement mon attention parce que son tronc était épais et que ses deux premières grosses branches arquées étaient en forme d’Y qui leur conférait une large base à leur ramification avec le tronc. Sa ramure et son feuillage touffu et sombre s’élevaient vers le ciel. J’eus l’impression que ses branches se tendaient en guise d’accueil et de signe d’invite. Je ressentis avec inquiétude, qu’il existait une relation entre l’arbre et moi qui laissait présager un évènement dont le déroulement commença à se manifester dans mon esprit. En même temps, je perçus une présence qui se tenait derrière moi, comme une force invisible et impalpable qui me souleva soudain, lentement mais fermement et me conduisit, en m’élevant vers la fourche de l’arbre.
Je pressentis la signification de cette manœuvre et, quand sa signification me devint évidente, je criai avec épouvante :
— Non !
Mais personne ne pouvait entendre ce cri et j’étais le seul à l’entendre. Je criai de nouveau en moi-même et je répétais mon refus, parce que je comprenais pourquoi cette force me portait vers la fourche de l’arbre. Finalement, je ne pus plus que geindre :
— Non ! Je ne veux pas être mis dans cet arbre.
Mais déjà, j’étais maintenu au-dessus de la fourche et, lorsque cette force mystérieuse que je présumais être un ange, me déposa dans le creux de la base, mes pieds ne rencontrèrent aucun obstacle. Ma désolation devenue à présent muette, je me sentis m’enfoncer tout entier dans le fût de cet arbre, comme s’il avait été creux, transparent et impalpable. J’en devins profondément triste et désespéré à la fois en craignait de devoir y rester prisonnier à tout jamais.
   Maintenant, je me tenais debout à l’intérieur du tronc, le dos appuyé contre sa paroi, la tête basse, et les pieds reposant sur un fond moelleux. Comme je pouvais voir à travers son bois et à peine avais-je sombré dans le désespoir, j’aperçus un autre arbre, à quelques pas de moi, qui avait une paire d’yeux sourieurs. Il me regardait avec bienveillance, puis, la voix de l’arbre dans lequel j’étais enfoui se fit entendre.
   Elle était agréable à entendre, son timbre était moyennement grave et son élocution était douce et paisible. Comme par enchantement, elle me tira hors de mon désespoir, aussi me mis-je à l’écouter attentivement, tout en échangeant un regard d’entente avec l’arbre qui me faisait face et qui semblait l’entendre, lui aussi :  



     
 
— Depuis le jour de ma naissance, à cet endroit précis et ma mère et mon père, mes frères et mes amis et tout mon peuple d’arbres qui est autour d’ici, nous tous, nous attendons chaque jour sa venue pour qu’il vienne déverser sur nous un peu de sa bonté.  
   Je ne compris pas de qui il parlait, mais, dans mon âme, je le sentis lever son regard vers le ciel et je vis la forêt qui était devant nous et qui nous tournait le dos en faire de même et lever aussi, elle aussi, un regard plein d’un heureux espoir vers les nues.
   Un murmure grandissant commença à s’élever de toute la forêt, puis il devint un ensemble de voix dont l’enthousiasme s’amplifiait et, les branches de tous les arbres, tendues vers le ciel comme des bras, l’expression de leur joie retentit comme un roulement de voix sonores et, enfin, un cri d’accueil unanime jaillit de leur poitrine :
— Le voici !
Je vis alors le ciel s’éclaircir un peu et son bleu d’aurore, qui palissait de plus en plus, fut transpercé d’une lueur fulgurante que jetaient les rayons d’une lumière dorée. Puis, un éclat d‘or envahit tout le ciel et fit naître le jour. Force calme et tranquille, le soleil se levait majestueusement et répandait avec prodigalité la chaleureuse bienveillance de sa vive lumière. 
   Une chaleur merveilleuse vint me réjouir en réchauffant mes jambes et aussi le tronc de l’arbre qui en soupira d’aise et mes pieds, tout près de ses racines, reposaient encore dans la fraîcheur souterraine. 
   Un doux vent s’éleva et remua les arbres et les arbres s’en ployèrent de contentement et la sève monta jusqu’aux plus hautes branches, jusqu’à la moindre brindille, en un flot de volupté et toute la ramure en fut secouée comme une abondante chevelure.
   Je me sentis alors envahi de bien-être et d’une pure joie de vivre, heureux comme les arbres et rassuré aussi. Puis, mon regard apaisé se baissa vers le sol et je vis, dès l’abord, entre l’autre arbre et moi, isolée dans l’herbe verte, une petite fleur qui s’éveillait de son sommeil. Elle avait une grâce féminine, soucieuse de sa beauté et elle se sentait visiblement observée. Une de ses longues feuilles qui naissait près du sol, remontait le long de sa hanche en décrivant une courbe jusqu’à son épaule pour redescendre, ensuite, en traîne vers le sol. Son long et mince bras était levé jusqu’à sa tête fleurie et sa petite main tapotait ses pétales pour y mettre de l’ordre.
Je l’aimais et je la regardais en souriant et aussi l’arbre d’en face qui en faisait de même. Il échangea avec moi un regard complice, rayonnant de bienveillante connivence, car nous savions tous deux que nous l’aimions beaucoup. Elle avait gardé sa bonne contenance devant ces regards qui la contemplaient et qu’elle aimait aussi, mais elle cacha son amour derrière une boutade et, sans nous regarder, elle dit d’une voix douce en inspectant sa floraison d’une main distraite :
— Pourquoi me regardez-vous ? Moi aussi je dois patienter.
Nous rîmes en nous-mêmes, l’arbre et moi, à son muet contentement et à celui de mon arbre qui avait participé en silence au charme de cet échange d’amour matinal.
   Il faisait grand jour, à présent et je portai mon regard au-delà de l’orée vers une proche clairière. Je vis, à l’horizon, un grand pan de ciel bleu et des nuages blancs.


   Vers le milieu de la nuit, je revins à moi, si j’ose dire, car, même si on ne dort pas sous l’effet de la drogue, on a une sorte de réveil qui nous tire hors du monde du rêve paranormal.

Je me découvris allongé sur le matelas de mon ami, mais naturellement, il n’en était rien, car je n’avais pas quitté la place privilégiée qu’était le matelas surélevé sur son support de bois. Je vis cette sorte de petit couloir qui était aménagé à gauche de l’estrade. La salle toute entière était devenue très longue et un peu sombre. Mon corps aussi s’était démesurément allongé et mes pieds me parurent très éloignés. Ils étaient petits, étroits et sombres. En même temps, j’entendis une petite sonnerie. Je m’efforçais de reconnaître cette situation étrange et je n’en fis pas cas. Mais la sonnerie retentit une nouvelle fois, très proche et comme si elle retentissait en moi. En même temps, je sentis comme si un doigt appuyait sur ma vessie comme on appuie sur un bouton de sonnette et la petite sonnerie se faisait entendre. Cela se répéta jusqu’à ce que je sente et comme je ne comprenais pas, les petits coups de sonnette se firent plus impératifs en m’infligeant une petite douleur à la vessie chaque fois qu’elles retentissaient et ; enfin, je compris que j’éprouvais un besoin pressent d’uriner. A regret, je projetai de me lever pour me rendre aux toilettes, mais je découvris que mon corps s’était démesurément allongé. Après coup, je pourrais dire aujourd’hui, qu’il me paraissait mesurer deux à trois mètres de longueur, cependant, cette nuit-là, je ne pus naturellement pas définir cette mesure. Il me parut terriblement allongé et, de surcroît, mes jambes étaient devenues si maigres qu’elles ressemblaient plutôt à de fines branches d’arbre qu’à des jambes d’homme. Cela me causa un grand problème, car, me disais-je, comment vais-je pouvoir me lever sans qu’elles ne se brisent ? Mais comment pouvoir soulever ce corps qui me paraissait être d’une longueur interminable ? Le plus sage et le plus avisé était donc de me tourner d’abord sur le côté, puis sur le ventre, ensuite, de remonter les genoux jusqu’à moi et, enfin, de m’arcbouter sur mes bras tendus, mains  posées à plat sur le sol, et enfin, me soulever prudemment vers l’arrière. J’entrepris donc cette manœuvre consciencieusement afin de réussir à me mettre debout sans briser mes tibias qui semblaient être aussi ténus que des roseaux. Puis, comme par miracle, au fur et à mesure que je rétablissais mon corps à la verticale, tout mon être se raccourcissait en même temps et, finalement, lorsque je fus complètement debout, mon corps s’était rétréci à sa taille normale.

   J’en éprouvai un grand soulagement et je fis quelques pas vers la porte de la salle pour me rendre aux toilettes. Je vis alors mon ami qui était assis à sa place habituelle, là où j’étais censé être revenu à moi, un instant auparavant. Je m’immobilisai pour ne pas faillir la règle de la bienséance qui interdit à un invité de se déplacer dans l’habitation de son hôte sans en demander la permission. Je me tournai donc vers lui, mais il m’apparut aussitôt que lui et moi, nous savions qu’il était inutile de l’extraire de son trip et de le déranger pour qu’il se lève et qu’il aille jusqu’au couloir de l’appartement afin de décrocher la clé des toilettes extérieures de son clou pour me la remettre. Mais je vis O.S. faire un grand effort inutile comme pour se lever, mais il resta à sa place et fit un geste faible pour me demander avec peine :

— Tu…veux…aller aux toilettes ?

 

— Oui…mais…ne te déranges pas…je sais où est la clé… 

J’ouvris la porte de la chambre pour sortir et elle pivota sur elle-même avec un mouvement si grand dans l’espace qu’elle me fit penser à une immense voile de navire gonflée par un vent fort. La faible lumière suffisait pour éclairer le petit couloir et, déjà, je tendais mon bras vers la clé qui était suspendue à un clou que mon ami qui m’observait mollement, dit avec un effort visible et sans trop de conviction :

 

— Euh…tu sais…où elle…se trouve...?!  

 

J’acquiesçai avec la même bienveillance que celle dont il faisait preuve en  ce moment-là, puis je me détournai de lui pour continuer mon chemin. A la droite de la clé se trouvait un compteur électrique qui accapara mon attention. Il était étrangement présent et il luisait de toute sa couleur noire dans ce petit vestibule. Il était composé de deux boîtes superposées, dont l’une était plus petite que l’autre, laquelle était de forme cubique mais je fus pris de doute  au sujet de la congruité de leur présence unicolore dans cet endroit précis. Passant devant la porte close de la cuisine, je me souvins de la présence de nos deux amies et surtout de la mienne avec beaucoup de tendresse et enfin, je sortis de l’appartement. L’entrée de l’immeuble était bien éclairée par une minuterie et son soubassement était décoré avec un faux marbre peint dans une couleur d’ocre sale qu’on avait striée d’une série de fausses nervures brunes à l’aide d’un torchon torsadé. L’observant d’un œil critique, je dus reconnaître que ce travail avait été exécuté par un amateur qui avait fait de son mieux. La porte qui donnait sur l’arrière-cour était à moitié ouverte et laissait voir un parterre enneigé. Je m’y rendis et me tins debout en-deçà de l’ouverture pour observer cette masse blanche qui recouvrait le sol. Sa vue en était réjouissante car elle me fit penser à un étalage de crème glacée multicolore au point qu’il m’en vint l’eau à la bouche. J’y voyais les appétissantes couleurs de la fraise, de la pistache, du citron, de l’orange et des petits granulés noirâtres qui évoquaient des granulés de chocolat. Cela me fit éprouver l’envie de m’installer dessus à quatre pattes pour en consommer, mais je me rendis soudain compte que je marchais pieds nus et je réfléchis que, si moi je ne ressentais pas la morsure du froid dans mes jambes parce que j’étais sous l’effet de la drogue, mon corps, lui, pourrait en tomber malade. Alors je me tournai vers la porte des toilettes qui étaient situées sous l’escalier de l’immeuble et je dirigeai la clé qui me paraissait énorme, vers le trou de la serrure. Le choc que cela produisit fit un vacarme si énorme qu’il résonna comme un coup de marteau assourdissant dans tout  le calme vestibule. J'eus un moment d’hésitation, puis je me résolus à pousser la clé qui produisit un bruit infernal en s’enfonçant dans la serrure. Je la retins en suspens durant un court instant en songeant au tintamarre que je venais de faire dans tout l’immeuble endormi. N’entendant aucune récrimination de la part des voisins, je tournai la clé dans la serrure dans un grand cliquetis de pièces métalliques qui s’entrechoquent. Lorsque le silence total revint enfin, j’étais sous l’escalier, le plafond de ces minuscules toilettes était fait d’une tôle ondulée et des murs bas qui étaient peints en bleu clair. J’avais aussi l’esprit bien clair lorsque j’observai  le siège qui me faisait face, dans le fond, à l’endroit où le mur était le plus bas de cet endroit et je calculai qu’il m’était donc impossible d’uriner en restant debout à cause du plan incliné du plafond qui m’empêchai d’avancer plus en avant. Nonobstant cette situation, tout le décor fut sublimé par l’effet de la drogue qui me le fit juger très beau et très lumineux car elle le revêtant  d’un peu de son mystère qui donnait de l’importance à n’importe quoi. 

   M’étant assuré qu’aucun passant ne pourrait me voir à travers la petite fenêtre surélevée qui donnait sur la cour, je m’assis finalement sur le siège. La substance agissait encore assez fortement lorsque j’aperçus à ma droite et fiché dans le mur, un assez grand clou noir qui contrastait fortement avec l’arrière-plan des toilettes qu’éclairait la lumière d’une ampoule électrique qu’on avait placée au-dessus de la porte d’entrée. Je parcourus de mes yeux sa longue tige qui était limitée à son bout, par une tête bien ronde. Comme par enchantement, je découvris, près de cette tête, le bout effiloché d’un nœud de ficelle dont les brins terminaux étaient hérissés et brillaient à contre-jour    comme une chevelure. Je poursuivis mon observation en suivant du regard la verticalité de cette ficelle au bout de laquelle la queue d’un long crayon était nouée. Sa longue pointe de graphite était bien aiguisée, son corps était rouge et cette teinte contrastait à merveille avec le bleu des murs et l’or de la lumière. Semblable à une flèche pointant vers le bas, il indiquait, en dessous de lui, une ellipse béante qui était l’ouverture de l’un de ces tonnelets de carton fort dans lesquels on achète, d’ordinaire, du savon en poudre.

 

   Il était tapissé de papier blanc et contenait une grosse liasse de feuilles de mots croisés vierges qui avaient été arrachées d’autant de magazines illustrés. J’en fus touché et pensai avec reconnaissance à mon ami qui avait eu l’obligeance d’offrir à ses invités un peu de distraction dans ses toilettes. N’étant pas intéressé par ce genre de loisir et ayant fini d’uriner, je quittai ce lieu en occasionnant un épouvantable vacarme de serrure que l’on ouvre et puis qu’on ferme avec un grand fracas de métal entrechoqué. Cela n’avait, semblait-il, gêné personne dans l’immeuble.  

   Mais, à peine avais-je fait deux pas dans le vestibule que je m’immobilisai de stupéfaction en revoyant ses murs. Ce qui, à mon arrivée dans cet humble lieu, au couloir gris, sombre et pauvrement décoré, rayonnait maintenant dans une éclatante clarté et, ses surfaces, diversement badigeonnées de couleurs différentes, en carrés improvisés, çà et là jusqu’au palier du premier étage m’apparut comme un immense et sublime œuvre d’art. J’étais tellement séduit par ces couleurs intenses qui semblaient flotter en-deçà des murs que je ne tarissais pas d’éloges pour cette grandiose ouvre d’art abstrait qui éblouissait ma vue et m’arracha presque des cris d’enthousiasme. Déjà les bras s’étaient ouverts et je fus sur le point de crier à tout l’immeuble :

— Venez, braves gens ! Venez voir l’art le plus véritable, le plus étincelant, le plus grandiose, qu’on n’ait jamais vu auparavant !

Mais je me retins juste avant d’ouvrir la bouche, car je réalisai en même temps que les habitants de l’immeuble ne seraient pas contents d’être dérangés dans leur sommeil et me  le reprocheraient vertement. Je gardai alors le silence et, les yeux pleins de ce splendide spectacle, je me résignai à regagner l’appartement.           Arrivé devant la porte, je m’immobilisai car je me souvins que j’avais mis dans la poche gauche de mon pantalon un petit échantillon de parfum qu’un magasin m’avait offert dans un petit tube de verre. Le débouchant, je le portai à mes narines et en inspirai un peu. Sa fragrance envahit ma cavité nasale toute entière à la manière d’une vapeur faite de milliers de gouttelettes microscopiques qui se répandaient en continuant leur expansion et montèrent jusqu’à mon cerveau où je les sentis l’emplir complètement. En même temps, cette expansion aromatique se propagea dans ma gorge et continua sa progression vers toutes les parties de mon corps en passant dans mes épaules et puis dans mes bras et ensuite jusqu’ au bout de mes dix doigts. Etonné, je me demandai si ce parfum allait ressortir par-là, mais il n’en fit rien et sa course s’arrêta là. Mais en même temps que cela, l’arôme continuait à se propager dans tous les vaisseaux sanguins de mon cou, puis dans ceux de mon torse et continua à progresser jusqu’à aboutir au bout de mes orteils. La propagation de cette senteur terminée, j’eus un petit hochement de tête qui exprimait mon étonnement, puis, rebouchant le petit tube, je le remis dans ma poche et entrepris de pénétrer dans l’appartement.

   Je tendais déjà ma main vers la poignée de la porte pour l’ouvrir, mais je l’immobilisai en l’air, car il y avait quelque chose sur le mur qui attira mon attention. C’était un bouton de sonnette tout rond et tout blanc et très ancien aussi ; de l’un de ses côtés sortaient deux fils électriques torsadés qui étaient coupés à courte distance de lui. Il ne fonctionnait donc pas. Mon observation aurait pu s’arrêter là, mais je remarquai, tout près des fils, un petit cratère dans le mur. Quelqu’un avait visiblement tenté d’enfoncer, mais en vain, un clou à cet endroit. Cela n’aurait pas été intéressant en temps normal, mais j’y regardai de plus près, parce que j’avais décelé, dans le fond de ce minuscule cratère, un tout petit feu follet qui flamboyait en faisant pirouetter, comme une flammèche dansante, ses couleurs d’arc-en-ciel. J’admirai ces folles virevoltes pendant un assez long moment, puis je pensai, un peu amèrement, que c’est comme cela qu’ion devrait voir normalement.

   Après cela, je ne me souviens plus de rien, sinon que, une fois rentré dans la demeure de mon ami, j’avais ouvert la porte en observant si elle allait paraître aussi vaste qu’au moment de ma sortie. Mais il n’en fut rien de notablement tel. Je pense que cette soirée s’arrêta là, car il se faisait déjà tard dans la nuit  et que nous dûmes, ma petite amie et moi, prendre congé de nos hôtes et puis nous en aller.

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