h LSDreams - 26: Comme un voleur dans la nuit.

   
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  26: Comme un voleur
dans la nuit.
 


Comme un voleur dans la nuit
 
    
   Quelques peu de jours plus tard, peut-être trois ou quatre, je revins encore une fois vers mon atelier, avec le même vague à l’âme dans l’air frais de cet après-midi d’automne. Cette heure indue n’était pas dans mes habitudes. A vrai dire, je me rendais à n’importe quelle heure à mon atelier, même à des heures matinales ou vers midi, ou vers quatorze heures, dans un but bien défini : pour voir si j’y avais reçu du courrier ou pour y achever le seul tableau que j’y réalisais. C’était le tableau dans lequel je reconnus que j’étais passé maître et original dans l’art de peindre, car il incitait à de nombreuses comparaisons avec les grands peintres connus de l'Histoire sans que, toutefois, le style ni le genre employés ne  fussent semblables à ceux d'aucun de ces maîtres. Plus tard, il me fut volé en Algérie. 
   En général, je repartais aussitôt que j’avais accompli la tâche qui m’y avait conduit, mais cette fois-ci, je constatai moi-même que je m’y rendais sans aucune raison. Je me souviens d’avoir eu l’âme paisible et l’esprit allégé de ses pensées coutumières en gravissant l’escalier qui menait à mon appartement. Une fois sur place, je me rendis au salon et je m’y tins debout en pensant que je n’avais vraiment rien à y faire. Je m’apprêtais à repartir quand, en voulant sortir, je vis aussitôt Jésus qui se tenait au bord du ciel, à l'endroit où se trouvait mon plafond auparavant. L'adaptation à cette apparition fut instantanée, à peine avais-je eu le temps de m’étonner que ma surprise s’effaça immédiatement. Il me sembla tout à fait naturel qu’il fut là, comme si son calme et sa confiance m’avaient aussi gagnés. Il m’observa et sembla attendre que je réalise la situation. Il paraissait se tenir à faible distance de moi, mais en voyant qu’il se trouvait au bord du ciel, dont la limite s’estompait vers moi en ressemblant à l’écume d’une vague qui vient finir sur un rivage, je compris qu’il était beaucoup plus éloigné que je ne le croyais. Une plus longue observation m’aida à comprendre qu’il n’était pas vraiment debout, mais qu’il planait de telle manière qu'il me fut possible de le voir dans cette position verticale.
   Derrière et au-dessus de lui, le ciel était percé d’une grande ouverture conique qui était étagée en plusieurs autres ouvertures. Celles-ci devenaient d’un bleu plus sombre au fur et à mesure que leur étagement se succédait verticalement. Je compris donc qu’il était descendu du septième ciel jusqu’à moi. Il m’observait paisiblement et détournait parfois son regard de moi pour adresser au Ciel un regard grave mais empreint d’un immense amour. Il s’adresse à Dieu, pensai-je. Il paraissait être grand de taille et discrètement fort. Les muscles décontractés de son corps laissaient deviner une grande force insoupçonnée. Son visage était glabre et sa peau semblait être blanche. Ses yeux étaient clairs, ainsi que ses longs cheveux qui disparaissaient derrière ses épaules nues. Il était vêtu d’un pagne blanc qui le ceignait à la taille et pendait jusqu’à ses genoux. Ce vêtement était blanc et brodé de la même couleur d’un lacis de lignes presque lumineuses.
   Il se tenait nonchalamment appuyé sur sa jambe gauche et sa jambe droite, décontractée, était un peu proche de la droite. Son avant-bras gauche reposait légèrement sur une des barres horizontales d’une courte croix de lumière dont la section était carrée et la luminosité discrète. Celle-ci était blanche mais elle n’éblouissait pas. Je remarquai aussi un reflet de lumière sur le centre de sa poitrine, entre les muscles pectoraux, alors qu’il avait dirigé ses yeux vers le ciel et je compris qu’il s’adressait à Dieu sereinement.
Je baissai mon regard et pensai :
Quoi que me dira cet homme, ce sera la vérité.
Puis, je relevai mon regard vers lui qui m’observait gravement. Ensuite il détourna son visage un peu vers sa gauche et il attendit patiemment que je poursuive mon observation.
Je fus de nouveau attiré par le reflet de lumière qui brillait sur sa poitrine et je pus alors constater, que la couleur de sa peau n’était pas blanche, mais la translucidité d’une lumière qui brillait en dedans de lui. Cette lumière était aussi la couleur qui émanait de ses yeux et de ses cheveux.
   Seuls le pagne et la croix brillaient de leur propre lumière qui était blanche et forte sans être éblouissante. Etonné, je le regardai de nouveau. Il se tourna vers moi, puis  il leva son bras droit, à la hauteur de son épaule, la paume de sa main tournée vers l'avant, comme pour me prévenir de prêter attention. Puis, sans ouvrir la bouche ni remuer les lèvres, il parla et j’entendis sa parole, forte et claire, retentir dans mon esprit :
— Je n’ai fait que suivre mon chemin.
   Mon cou se fléchit involontairement et, la tête inclinée vers l’avant, je vis dans mon esprit un trait de lumière pointu comme le fer d’une flèche transpercer les ténèbres verticalement et venir se ficher dans mon esprit. Avant même qu’une pensée ne se forme en moi, je dis :
— Oui, je le ferai.
Un bref instant plus tard seulement, ce message se cristallisa dans mon esprit et une pensée tardive me traduisit que je devais quitter Berlin.
Je relevai la tête et je le vis se détourner quelque peu de moi en silence, comme s'il s'apprêtait à s'en aller et ce simple mouvement et toute son attitude étaient empreints d’une telle humilité, qu’ils lui conférèrent une majesté évidente. Surpris, je m’écriai en pensée :
— Mais...c’est un roi !
Il me regarda en souriant avec des yeux brillants de bonté et de sagesse, comme s’il me faisait ses adieux.
Confus, je baissai les yeux pendant un bref moment et, lorsque je les relevai un instant plus tard, il avait disparu. Je ne vis plus que le plafond de ma chambre devenue plus sombre et que n’éclairait plus qu’un faible rayon de soleil couchant.
   Ensuite, le bas du mur qui jouxtait le canapé s’assombrit quelque peu et il se transforma en un vague paysage nocturne. Une partie de son sol ressemblait à un tapis de ciel étoilé dont un angle seulement était visible. Un homme s’y trouvait qui était à moitié allongé, appuyé sur un coude et sa joue appuyée contre la paume de sa main. Il était habillé d’amples vêtements qui semblaient provenir d’Orient ou qui pouvaient être comme ceux qu’affectionnaient certains Hippies. Au premier abord, sa stature et son flegme me rappelèrent ceux de Jojo le Martiniquais, mais comme je me trouvais encore sous l’effet de l’évènement précédent, je me complus à croire qu’il pouvait être  le Prophète Mohammed.
   Songeur, il m’observait avec réserve et nonchalance. Puis il parla sans aucun préambule en me demandant :
— Pourquoi les aimes-tu encore ?
Elevant alors mon regard vers l'horizon nocturne qui s'étendait au-dessus de lui, je vis une nuée de flèches qui volaient vers moi en traversant cet espace brunâtre qui surplombait la ville et qui tombaient autour de moi sans m’atteindre.
— C’est parce qu’ils ont voulu me tuer, répondis-je en souriant et bien que cette pensée fut étrangère pour mon esprit. 
Ensuite, il me reprocha de m’être confiné dans la solitude et, quand je lui répondis que je la préférais à toute autre compagnie, il ajouta avec reproche, des paroles qui me firent douter de son identité :
— Et bien, reste là à téter ton pouce tout seul.
   Cette dernière expression me déconcerta, car elle était semblable à celle qu’avait proférée un soir l’un de mes amis afin d’exprimer son amertume de ne pas avoir de Haschich à fumer. Certes, j’avais été cynique et parfois cinglant avec celles de mes victimes qui me tombaient sous la main, quand elles me déplaisaient, car je les accablais de sarcasmes et de cinglantes vérités. Leur manque de réaction me poussait à vouloir les gifler afin de les extraire de leur morne passivité.
   Un jour, ils se sont rebiffés. Alors, je les ai appréciés et je leur ai accordé sereinement de la considération, sans leur tenir rancune.
Mais j’avais décidé de les quitter.
   Puis, je fus de nouveau seul dans la chambre que le déclin du jour avait assombrie. Le soir-même, je reconsidérai ma promesse de quitter Berlin, puis le lendemain aussi et ensuite, le surlendemain également. Cette éventualité me plaisait de moins en moins, si bien que je finis par la rejeter sans appel après quelques jours d’hésitation. Peu de temps après, un samedi pendant lequel j’avais préparé mon repas du week-end, j’accueillis Righty R. qui était venu, comme d’habitude, me dire bonjour en passant et nous nous mîmes à table. J’avais mis le couvert sur une petite table carrée dans le salon, de manière que l’une des deux fenêtres se trouva dans mon champ de vision.
   Nous parlâmes à bâtons rompus, puis nous entamâmes notre repas et nous le poursuivîmes ensuite en silence. J’avais déjà consommé la moitié de mon plat et des lambeaux de viande étaient éparpillés sur mon assiette. Soudain, je perçus un point de lumière au milieu des débris de chair de poulet et je pensai qu’il était le reflet de la lumière qui provenait de l’ampoule électrique de la cuisine. Dérouté, je vis avec incrédulité que la table de ce repas se trouvait maintenant dans le couloir de l’appartement, juste devant la porte ouverte de la cuisine. Avant que je puisse réagir, la petite tache de graisse de mon assiette attira mon attention par le fait qu’elle était devenue bleuâtre et plus lumineuse. Fasciné, je la regardai fixement, pendant un moment, puis je commençai à discerner plus nettement la disposition des fragments de viande qui jetaient des petites ombres sur la blancheur étincelante de l’assiette.
   Enfin, avec une certaine émotion, je reconnus un front qui était fait d’un morceau de blanc du poulet, puis un sourcil qui était fait de son ombre, puis la courbe d’un nez, faite, elle aussi, d’un morceau de viande, puis une cavité qui était produite par le vide et, dans ce vide, je vis un œil sombre qui me regardait. Maintenant, je reconnus tout un visage qui était savamment sculpté grâce à des petits lambeaux de chair blancs  de lumière, d’ombres et de cavités. Le tout était élaboré en trompe-l’œil, comme ce que j’affectionnais en peinture artistique.
   Le Christ me regardait sévèrement, imperturbable et sans mot dire. Je compris la signification de son regard, mais comme j’étais déjà éprouvé par mes mésaventures passées, je perdis patience et je remuai rageusement ma fourchette sur l’assiette pour éparpiller les composants de cette image afin de les faire disparaître. En même temps, je criai en moi-même avec exaspération : oui, je le ferai !, en faisant allusion à mon prochain départ de Berlin.
A ce moment, Righty R. jugea mon attitude avec une calme réprobation en disant :
— Et bien ?!
Je le regardai sans rien dire parce que j’étais sûr qu’il ne savait pas ce qui venait de se passer.

 
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