h LSDreams - 11: Introcosmos

   
  LSDreams
  11: Introcosmos
 


Introcosmos


 
  
   Un beau jour, M.L., W.D. et moi, nous décidâmes de faire un trip ensemble. W.D. proposa d’aller acheter les pilules lui-même, car il connaissait un bon dealer qui vendait sa « came », c’est-à-dire sa drogue, dans l’un des passages souterrains de la station de métro Kurfürstendamm, en plein centre de la ville.  
 
   Nous lui confiâmes l’argent des pilules, M.L. et moi et nous nous donnâmes rendez-vous avec lui pour le lendemain soir chez lui. W.D. habitait juste au coin de ma rue, aussi rentrai-je, le lendemain plus tôt que d’habitude chez moi et je me rendis ensuite au lieu du rendez-vous. Après nous avoir offert le thé et le joint d’Afghani noir d’usage et, voyant qu’il ne mentionnait pas les pilules de LSD pendant notre conversation, je lui demandai s’il en avait acheté.
 
— Oui, répondit-i, les voici.
 
Il tire de la poche de son pantalon un petit bout de papier plié en enveloppe dans la paume de sa main gauche qu’il avança un peu vers nous, puis il l’ouvrit avec beaucoup de précautions et nous le présenta en souriant euphoriquement.
 
— Oui, sourit M.L. en hochant la tête.
 
Mais moi, je m’écriai :
 
— Quoi ?
 
— Qu’y a-t-il ?, s’enquit W.D.
 
— Es-tu sûr que ce sont des trips entiers ? Ils sont minuscules, répliquai-je.
 
— Oui, moi aussi, j’ai dit cela au dealer, répondit-il, mais il m’a dit avec conviction: tu m’en donneras des nouvelles !
 
M.L. et moi acceptâmes cette affirmation en hochant de la tête. W.D. s’éclaircit la voix et dit :
 
— Il y en a un qui est un peu plus long que les autres et qui doit sans doute être l’équivalant d’une dose et demie.
 
   De l’index, il indiqua l’un des trois petits parallélépipèdes de couleur violacée qu’il tenait dans le creux de la main ; effectivement, ce petit morceau était sensiblement plus long que les deux autres. Réjoui, j’acquiesçai en espérant en être l’heureux bénéficiaire.
 
— Prends-le, puisque tu crains que cela ne te fasse pas d’effet, dit-il en me l’indiquant de doigt.  
 
Je le pris avec plaisir parce que cela m’aurait contrarié de faire trip faible.
 
   Content, W.D. nous versa du thé et nous le bûmes en même temps que les pilules. Ensuite, nous fumâmes un nouveau grand joint d’Afghani noir et nous entamâmes une conversation joyeuse qui nous faisait parfois rire aux éclats. Pendant une demi-heure environ, nos propos joyeux se poursuivirent mais en déclinant peu à peu d’intensité et nous finîmes tous par garder le silence. Je réalisai tout à coup, que j’étais saisi par une crainte subite et inexplicable et j’en éprouvai un tel embarras que j’en baissai les yeux. J’étais confus d’éprouver de la peur devant mes amis et, après un petit instant de mutisme embarrassé, je levai les paupières très lentement pour regarder mes compagnons. Cela me permit de voir que mes amis en faisaient de même de leur côté et nous comprîmes immédiatement ce qui venait de nous arriver en le mettant sur le compte de la drogue. Nous éclatâmes alors, tous les trois en même temps, d’un même rire tonitruant.
 
   Le dealer avait raison, les pilules étaient petites mais leur effet s’avéra grand. W.D. était pondéré et calme de nature, mais ce soir-là, il bondit en riant et clama d’une voix forte :
 
— Ah !, et puis quoi, alors ! On va mettre de la musique.
 
   Bondissant sur les pieds, il esquissa un pas de danse et s’écria :
 
— On va mettre de l’ambiance !
 
— Ouiii !, hurlâmes nous en écho.
 
Nous fûmes pris d’une gaîté exubérante et j’observai W.D. qui se dirigeait d’un grand pas étrange et saccadé vers... vers quoi donc ? Dans cet espace... quel espace ! Une sono, une sono... je ne savais pas qu’il avait fixé sa sono sur une étagère surélevée contre un mur et, en effet, il avait saisi un étui de vinyle et en avait retiré un disque qui chuinta lorsqu’il le déposa sur le plateau. Puis il y eut un cliquetis de boutons qu’on actionne, un levier s’éleva et se posa sur le disque et une musique endiablée assourdissante éclata tout d’un coup dans le salon.
 
   Elle m’attira si fort que je bondis de ma place pour rejoindre W.L. qui exécutait une danse apparemment espagnole au milieu de la pièce, car, après avoir effectué quelques pas impétueux, il s’immobilisait dans la pose d’un hidalgo fougueux. Moi-même, je gigotais dans une danse frénétique et rythmée qui était à la mesure de mon contentement. W.D. me dédia un regard d’entente qui exprimait que nous avions fort bien nous amuser, sans nous laisser duper par la représentation que l’on se fait, en général, de l’amusement. M.L., quant à lui, était resté calme et droit dans un petit fauteuil, un genou posé sur l’autre qu’il tenait de ses mains croisées et il regardait farouchement devant lui sans broncher.


 
 
   Je reconnus dans son regard que l’effet du LSD avait atteint son paroxysme en lui et qu’il devait le trouver étrange, comme il l’avait jugé une fois par le passé. W.D. cessa tout à coup de danser et alla saisir un objet, que je ne pus identifier, sur un petit meuble, puis il nous lança un regard guilleret et taquin. Il secoua l’objet en l’air, comme on le fait avec un shaker de cocktail, ’approcha résolument du mur et fit, de son bras, un mouvement saccadé, bref et rapide, pour diriger vers le mur, à la droite de la console de musique, un jet mystérieux d’une vapeur colorée qui fit apparaître magiquement une sorte de mystérieux idéogramme inconnu.
 
Aussitôt après, j’éclatai de rire en comprenant qu’il avait agité une bombe aérosol qui contenait de la peinture pour asperger n’importe quoi sur le mur par esprit de liberté.
 
— Zen !, m’écriai-je alors en riant.
 
Mais il sembla ne pas comprendre mon hilarité et il me regarda d’un air ahuri et il sembla être un peu perturbé par mon intervention.
 
M.L., qui était resté assis roidement, tourna légèrement sa tête vers moi et bougonna d’un air farouche :
 
— Qu’as-tu donc à danser comme ça ?
 
Décontenancé, je crus déceler en lui de l’antipathie et je faillis me mettre en colère. Mais comme cela ne me fut guère possible, je lui répliquai un équivalent de sa stupide question en ne trouvant rien de mieux à argumenter que Sitting Bull avait dansé pendant trois jours et trois nuits pour fêter la victoire qu’il avait emporté lors d’une bataille. Puis W.D. et moi, nous continuâmes à danser comme des fous aux joyeux accords de cette captivante musique dont je ne reconnaissais ni l genre ni l’origine.
 
   Quelques jours plus tard, W.D. m’expliqua qu’il s’agissait de musique Latino-américaine, tango ou paso doble, un genre que je n’appréciais pas beaucoup d’ordinaire. 
 
   Nous dansâmes donc encore un peu et, un moment plus tard, je fus terrassé par une soudaine fatigue et je ressentis un fort besoin de m’allonger quelque part, aussi vite que possible. J’avisai un canapé sur lequel était posé un oreiller à quelques pas de moi et je m’y dirigeai aussitôt d’un pas qui ressemblait à une séquence de film tournée au ralenti. Chaque pas que je fis était le déroulement d’une action singulière car, au premier que je fis, je vis W.D. du coin de l’œil qui s’était immobilisé pour me regarder fixement. Ses yeux bleus étaient ronds comme des petits boutons et ils exprimaient un intérêt soudain devant cette situation et une perplexité quand à ma subite défection de cette danse endiablée. Au deuxième pas lourd que j’effectué avec un certain effort, je vis W.D. s’ébranler et marcher vers moi. J’avais peine à garder les yeux ouverts parce que mes paupières tendaient à vouloir se clore d’elles-mêmes. Mon troisième me mena devant le canapé que j’atteignis en défaillant. Je m’y assis avec un grand soulagement et j’entendis W.D. me demander d’une voix intriguée :
 
— Que fais-tu, maintenant ?
 
Je fis un effort suprême pour lui souffler en m’affaissant sur le canapé le premier mot qui me vint à l’esprit et fort à propos de Dieu seul sait où :
 
— Introcosmos...
 
Déjà, ma tête était tout près de l’oreiller et lorsque je la posai dessus, elle et moi rebondirent comme un ballon et je fus immédiatement et sans aucune transition, propulsé dans les airs.
 
Je m’envolai à la verticale à la rencontre d’un ciel nocturne qui n’était, étonnement, pas constellé d’étoiles.
 
   Ce ciel était sombre et ne contenait que quelques taches de lueurs rougeâtres, isolées çà et là et que je confondis avec des étoiles faiblement lumineuses. Ensuite, je reportai mon attention sur ma personne. J’observai ma longue chevelure qui encadrait mon visage et je vis que mon vol rapide ne la dérangeait pas. Puis, je regardai ma chemise blanche que je portais par-dessus la ceinture, mais son tissu ne frémissait pas. Enfin, je regardai les jambes de mon pantalon mais nul vent de course ne l’agitait.
 
   Scrutant de nouveau ce vaste ciel silencieux, je constatai que l’un de ces pâles corps célestes s’agrandissait et je pensai :
 
— L’étoile s’agrandit.
 
Mais sa dimension allait en croissant au fur et à mesure que le temps passait, mais je n’en pensai pas moins qu’elle grandissait parce que j’avais l’impression d’être immobile dans cet espace. Puis, comme cette sorte de planète grandissait davantage, je compris :
 
— Elle grossit parce que j’en approche.
 
Dès lors, j’observai sereinement son changement de taille, car, quoiqu’il advienne de surnaturel pendant l’action de la drogue hallucinogène, on accepte toute situation calmement et sans aucune crainte, comme si cela n’avait rien d’extraordinaire. Je ne fus donc pas surpris de la voir s’agrandir davantage et je me confinai dans l’expectative pour voir ce qui allait se passer ensuite. Plus j’en approchais et plus elle grossissait au point d’occulter derrière elle le ciel tout entier.
 
   Vint le moment où je la survolai horizontalement en lui présentant l’avant de mon corps, à la manière d’un oiseau. Enfin, je distinguai l’apparence de sa surface. Elle était faite de monticules et de creux presqu’uniformes. Sa couleur était celle d’un agrume bien mûr, les mamelons étant d’un orangé qui tire sur le jaune et les ombres de ses endroits creux se dégradaient de ce jaune en un vert clair qui s’assombrissait vers leur fond.  
 
   La courbe de mon vol déclina en angle aigu vers le sol dans lequel apparurent des craquelures qui s’étendaient à perte de vue. J’observai les ilots que formaient ces fissures et, pensai en choisissant l’un d’eux :
 
— Peut-être vais-je être posé sur celui-ci.
 
Il m’était venu éphémèrement à l’esprit que quelque chose de mystérieux maîtrisait mon vol et je savais que je n’avais aucune influence sur elle. Quelqu’un, je ne savais qui, me transportait ainsi. Soudain, je tombai, la tête la première, dans l’une de ces fissures dont les parois, semblables à de très hautes falaises, étaient agréablement grises et je les regardais encore en parvenant à leur base. La planète était creuse et elle s’ouvrait, dans son intérieur,  sur un nouveau ciel qui était semblable en tout point de vue à celui que j’avais traversé précédemment.
 
   Dans ce nouveau ciel apparurent également ces sortes de planètes éteintes que je me contentai de contempler jusqu’au moment où l’une d’elles se détacha des autres et grandit au fur et à mesure que je l’approchais. Tout se passa ensuite comme il en fut pour la première.
 
   Je passai par une de ses fissures comme cela arriva avec la planète précédente. Tout fut en tout point pareil et quand je pénétrai dans le ciel de celle-ci, il me parut être plus restreint.
 
Bientôt, je remarquai que son noyau était visible grâce à une lueur claire qui émanait de lui.
 
Je m’attendis à découvrir une petite planète, mais en m’en approchant davantage, je vis qu’elle était plus petite de taille que les deux planètes creuses que j’avais traversées antérieurement. Sa forme devint plus précise lorsque je m’en approchai davantage et, au lieu d’être une planète comme je le présumais, elle s’avéra être une lumière sphérique dans laquelle je pénétrai d’emblée et sans m’y attendre. Mon vol en fut subitement si fortement ralenti que mon arrêt au cœur de cette lumière me fit penser à un véhicule qui freine en pleine course. Enfin, je m’immobilisai en position assise confortablement appuyé sur un de mes mains contre ce qui paraissait être un sol transparent et brillant à la fois. Devant moi, dans le centre géométrique de cet espace lumineux, se trouvait quelque chose dont je ne pus pas distinguer la nature. Puis, cette forme qui m’était inconnue se précisa. C’était une sorte d’objet indéfinissable, oblong, posé à la verticale dont la base était moins épaisse que son sommet.      Cela ressemblait à un poignet humain qui serait surmonté d’un grand poing fermé. Sa surface était brillante sans excès et sa texture me fit penser à la pelure d’un poivron. Tandis que je l’observais, une montée de couleur la parcourut en progressant vers son sommet. Sa couleur avait été verte à la base et, au gré de la progression, elle passait à un brun rouge, puis bleuâtre et devenait bleue, puis verte, puis jaune et puis orange en montrant tour à tour un perpétuel mouvement de toutes les teintes du spectre de couleurs. Parvenues au sommet arrondi de cette chose, toute ces couleurs s’engouffraient, une à une, dans le centre de ce qu’on aurait dit être le sommet d’une orange pelée. 
 
   Cette procession de couleurs se répéta pendant un bon moment puis elles furent ponctuées par un son grave et comme étouffé, qui devenait de plus en plus audible et ces battements répétés devinrent ceux de mon cœur. Quelque peu effrayé, je me redressai brusquement sur le canapé de W.D. Je l’aperçus aussitôt qui balançait son corps comme s’il dansait, à proximité de M.L. qui n’avait pas bougé de place.
 
   Je ne me souviens plus de ce qui se passa à l’issue de cette soirée-là, mais je présume que, comme à l’accoutumée, nous avons dû nous séparer, tard dans la nuit, pour aller chacun de son côté. 
 
   Plus tard, je réfléchis sans arrêt à cette étrange chose que j’avais vue durant mon trip. Pour en avoir le cœur net, je me rendis chez O.S. dans l’espoir qu’il pourrait m’en fournir une explication. Lorsque je lui en parlai, il supposa que j’avais entrepris un voyage dans mon organisme et que l’objet que j’avais vu était une cellule à laquelle j’étais parvenu. Son point de vue ne me convainquit pas et il m’arriva d’oublier cette affaire par la suite.
 
   Quinze années plus tard, j’en découvris fortuitement l’explication. J’étais retourné dans mon pays et, un soir que je m’ennuyais seul dans ma chambre, j’ai feuilleté dans une encyclopédie ancienne, car elle datait des années vingt ou trente. En tournant une des pages que je parcourais éphémèrement afin d’y découvrir un article intéressant, je vis d’abord le visage d’un Amérindien qui était couvert de signes blancs, et, plus bas dans la page, quelque chose à laquelle je ne prêtai pas attention et je passai à la page suivante. L’instant d’après, je retournai à cette page parce que l’objet que j’avais vu me rappelait quelque chose. Le visage n’en était pas un, mais un masque d’Indien Tupamaro qui était orné de taches de couleurs. La photographie du bas qui avait retenu mon attention parce que, inconsciemment, je l’avais reconnue, s’avéra, selon la légende qui était inscrite en-dessous d’elle, être un plant de Peyotl, ce petit cactus du Mexique dont les vertus sont hallucinogènes. C’était la chose que j’avais vu durant le trip que je fis à Berlin en compagnie de W.D. et M.L. quelques années plus tôt. Je n’avais jamais vu de ma vie une photo, ni un dessin de ce cactus, je n’en avais jamais lu une description écrite ni entendu en parler. Il fut même un temps durant lequel je confondais le Peyotl avec le champignon mexicain et il a fallu que j’en absorbe une fois la synthèse pour qu’il m’apparaisse dans un rêve extraordinaire.
 
  
Sachant que Dieu est le Créateur de toute chose, et que c’est
Lui qui a créé les plantes hallucinogènes, serait-ce peut-être Lui qui m’aurait transporté là-haut ?
 


 

 
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