h LSDreams - 30: La feuille ancienne

   
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  30: La feuille ancienne
 



 
La feuille ancienne

 
   Mes débuts en religion musulmane furent marqués par le zèle du néophyte que j’étais, lequel découvrait un monde nouveau ainsi que par la transition de la laïcité à la croyance. J’étais assidu dans mes prières obligatoires et surérogatoires. De plus, je hantais les mosquées et, au cours de mes nombreuses péré- grinations dans la ville et dans ses alentours, je visitais le plus grand nombre de maisons de Dieu possible. Cependant, il sembla que, malgré la bonne volonté que j’y apportais, je me comportais de manière maladroite dans ces lieux de prière. J’y fus assez souvent sermonné et critiqué, voire même raillé. Je ne comprenais jamais rien au prêche de l’Imam, quand celui-ci s’exprimait en Arabe littéraire que je n’avais jamais maîtrisé auparavant. En Afrique du Nord, on ne parle que l’Arabe dialectal qui est différent du premier car il n’est pas bien compris par les Orientaux.
   Ce n’est que lorsque l’Imam dirigeait la prière dans la langue qui était celle du Coran que je comprenais ses paroles, car je lisais souvent ce saint Livre de l’Islam. Au début, je l’étudiais rapidement en m’aidant d’une traduction française pour le comprendre et, par la suite, je finis par en comprendre le sens véritable.
   Dans ma chambre, je le lisais seul et à voix haute, malheureusement, comme je fumais encore du Haschich et que je souffrais des séquelles de l’abus des drogues hallucinogènes, j’avais tendance à scander ma lecture en tapant du pied sur le sol. A cette époque-là, j’étais devenu hyper nerveux et je tapotais fréné- tiquement d’un pied partout où je me trouvais obligé d’attendre, chez une administration, chez quelqu’un et même en taxi.
Cela me valut toujours des récriminations de la part de ceux que cela dérangeait.
   Me rendant compte que je me trompais en traitant le Coran comme s’il s’agissait de Rock and Roll, je m’évertuai, par la suite, à reconsidérer ma lecture. Finalement, je me mis à la psalmodier, mais à mon ouïe, cela ressemblait à la lecture de quelqu’un qui ne croirait pas en sa véracité. Ensuite, je m’efforçai de le faire comme quelqu’un qui reconnaitrait et admettrait que c’était la vérité. Enfin, au bout de quelques années, je parvins à le psalmodier aussi honnêtement que je le pouvais. 
   Il en fut de même dans mes rapports avec Dieu, surtout quand je priais seul chez moi et à haute voix. Au bout de peu de temps, je reconnus que je ne m’ex- primais pas assez respectueusement en Le priant. Au pire, je Le traitais de manière insensée car je me surpris un jour à user d’un ton de maître avec Lui, comme :
— Eh toi ! Je veux que Tu fasses ceci et cela pour moi...
Il va sans dire que, par la suite, j’appris à Le respecter et à m’adresser à Lui poliment d’abord et puis plus sincèrement avec Lui.      
   
          

   Une nuit, après que j’eus nettoyé et rangé ma chambre avec un soin méticuleux, je pris une douche et je me vêtis de vêtements propres. Ensuite, je décorai une une petite table basse avec un bouquet de mimosa que j’avais cueilli le jour même au bord de la mer, avec aussi une assiette pleine d’oranges, une théière pleine de thé à la menthe, une bougie blanche et un bâtonnet d’encens. J’y dispoai encore une reproduction d’enluminure qui datait du XVème Siècle et, lorsque je voulus serrer dans l’armoire une ancienne feuille jaune qui était le résidu d’un ancien Coran dans ma bibliothèque, j’eus le bonheur de me raviser et de la déposer près de l’enluminure.
   Jugeant l’aspect de la chambre assez en- gageant, j’allumai la bougie et le bâtonnet d’encens, puis j’absorbai une dose de LSD. En attendant que son effet commence à se produire, je décidai de lire un peu dans le Coran pour m’occuper l’esprit pendant cette attente. L’effet de la drogue s’insinua en moi plus tôt que prévu et alors que je lisais avec beaucoup d’attention depuis un petit moment déjà. Lorsque je parvins à la descrition que fait Dieu du Paradis, j’en fus si enthousiasmé que j’explosai de joie en riant et en poussant des exclamations de ravissement.
   Un peu plus loin, je parvinsi au chapitre qui décrit les tourments infernaux que Dieu réserve aux damnés et, ne tenant plus de joie, je sursautai littéralement sur mon siège, en riant aux éclats et en clamant à haute voix :
— Oui Seigneur, bravo ! Punis-les comme ça, donne-leur ce qu’ils méritent !
Me rendant compte que je faisais beaucoup de bruit, je cessai soudain de rire et tendis une oreille inquiète vers les chambres où dormait ma famille, car je craignis que si l’on m’entendait rire si fort en lisant le Coran, on ne manquerait pas de crier à l’anathème. Je repris donc ma lecture en silence, mais l’écriture avait changé et je ne la reconnus plus. Je me demandai dans quelle langue cela pouvait bien être rédigé. En Chinois, peut-être ? Aussitôt, j’eus la vision d’un jeune homme asiatique qui était assis comme moi, mais sur l’estrade extérieure qui lui tient lieu de véranda, devant sa petite maison de bambou et de papier, comme celles qu’affectionnent les habitants de ces lointaines contrées. Il semblait aussi être du même âge que moi et, assis comme moi, il lisait, lui aussi, attentivement dans un livre qu’il tenait et il me sembla qu’il se trouvait dans le même état d’âme que moi. 
— Ah, ça... !, m’exclamai-je.
— Il est semblable à moi et, peut-être, lit-il la même chose que moi.
   Cela m’incita à m’émerveiller longtemps sur la similitude et l’égalité des gens dans le Monde. Enfin, je fermai le Livre en silence et je le rangeait respectueusement à sa place dans ma bibliothèque. Puis, je retournai à la place que j’occupais auparavant et je m’extasiai aussitôt sur les volutes de fumée bleuâtre que produisait la braise du mince et petit bâtonnet d’encens. Elles s’élévaient finement dans l’air ambiant et je fus étonné au plus haut point par cette création divine qui se dégageait d’une huilebrûlée. Elle décrivait une fine colonne qui se termine en panache en s’élançant vers le haut. Son panache s’était aplati peu avant de parvenir au plafond et, comme celui-ci était un obstacle infranchissable, il s’élargit en s’en-roulant comme un parchemin. Ce dernier produisit deux cornes divergentes qui s’effilochèrent et enfin disparurent mystérieusement dans l’espace comme si elles n’avaient jamais existé.
   Dans la pénombre brûnatre de la chambre qui semblait palpable, les boules d’or du mimosa brillaient comme autant de soleils, d’une façon éclatante à la seule lueur de la bougie qui les éclairait devant un fond très sombre.
   La théière était devenue une œuvre d’Art antique et, du petit verre à thé oriental, étroit et droit, émanait une sorte de charme étrange.
Au commencement de cette nuit, j’avais préparé un plat de sardines fraîchement pêchées que j’avais bien épicées et frites à la poêle, mais je les avais laissées dans la cuisine. Contrairement à mon habitude, je ressentis de la faim au cours de mon expérimentation et, me souvenant de cette friture, j’en éprouvai soudain un grand appétit.
   Je me levai donc pour me rendre à la cuisine et ce fut toute une aventurte, car, dès l’abord, je perçus mon environnement avec une grande acuité visuelle. Tout ce que je voyais, fut ce brièvement, m’impressionait très fortement, comme si tout avait exagérément gagné en importance. Tout d’abord, je perçus la souplesse féline de mon corps qui se déplaçait avec décontraction dans un espace troublant par la diversité de ses profondeurs, ses zones d’ombre veloutée, ses chatoyantes lumières,  son
défilement remarquable quand je le traversais et la richesse de ses couleurs. En même temps, je sentais l’odeur légèrement suffocante de l’air réchauffé par la flamme de la chandelle. Opérant une sorte de virevolte, je marchai en constatant un changement progressif du décor environnant sur mon passage. Il se mouvait à la manière d’une prise de vue effectuée par une caméra cinématographique qui opérerait le ba- layage d’un lieu surnaturel.
   Soudain, la porte de la chambre apparut devant moi et son évidence me frappa au point je tombai en arrêt devant elle et je l’observai, étonné, pendant un petit moment. Je l’ouvris, et, tout en observant son déplacement qui semblait être démesuré dans l’espace, je butai sur le contraste qui existait entre la clarté de la chambre et la pénombre qui régnait dans le couloir, comme si j’étais passé du jour à la nuit. Néanmoins, je m’élancai devant moi avec une vélocité qui me surprit et, en peu de pas souples et silencieux, je parcourus la moitié de sa longueur jusqu’à une ouverture sans porte qui menait vers le vestibule. Constatant, en passant dans le silence complet de l’appartement, que tous mes proches parents dormaient profondément derrière leurs portes closes, je traversai le vestibule. L’instant d’après, après avoir effectué quelques enjambées rapides, je fus devant la porte ouverte de la cuisine. Ma main surgit du néant pour s’envoler dans l’espace vers le commutateur afin d’allumer une lumière qui éclata soudain pour éclai- rer la cuisine abondamment.
   J’avançai prestement vers le plan de travail de la cuisine sur lequel reposait mon plat de sardines frites dont je perçus immédiatement le délicieux fumet.
A l’instant où j’allais m’en sai sir, éclata soudain la clameur d’une foule d’admirateurs invisibles qui m’avationnait en poussant des cris d’admiration. Sidéré, je me figeai sur place, la main encore tendue vers le plat, puis, me resaisissant étonnamment vite, flatté d’être l’objet de cette ovation inopinée, je m’inclinai profondément en souriant devant mes spectateurs invisibles, en guise de reconnaissance. Puis je saisis l’assiette avec un geste rapide et, la tenant très haut à la manière d’un majordome cultivé, je fis un élégant demi-tour sur moi-même pour sortir de la cuisine. Une seconde ovation s’éleva bruyamment pour saluer mon départ et, dès que j’eus franchi le seuil de la porte, je fis une virevolte et m’inclinai de nouveau bien bas pour remercier mon public.
   Enfin, d’un pas léger et guilleret, je retournai à ma chambre, parmi les ombres et les lumières silencieuses. Y pénétrant, je m’arrêtai net, interdit, car tout ce qui venait de se produire me sembla n’avoir duré que peu de secondes.
Je savourai ces ineffablement délicieuses petites sardines dont le goût me ravit l’âme et les papilles gustatives. Je terminai mon festin paradisiaque en dégustant une orange au sujet de laquelle je ne taris pas d’éloges concernant la sublime fragrance qu’elle dégageait et son goût infiniment exquis qui me transportèrent littéralement au septième ciel.
   Chose tout à fait surprenante et absolument exclue en de telles circonstyances, je voulus couronner ce succulent dîner en fumant une cigarette. Je la pris entre mes doigts et je l’observai d’abord, car elle me parut être étonnament blanche, d’une clarté irradiante, exagérément épaisse et d’un contour si flou qu’il me sembla la voir avec des yeux embués. La plaçant entre mes lèvres, je craquai une allumette qui n’en finit pas de s’allumer en
flamboyant et en grésillant avec un étonnant et long chuintement. Finalement, j’allumai ma cigarette et en tirai une première bouffée que je recrachai aussitôt après, avec horreur, étouffé par la pestilence que l’âcre fumée chaude et le mauvais goût de brûlé avaient répandu dans mes voies respiratoires.
   Les yeux écarquillés, j’observai cette affreuse chose comme si la découvrais pour la première fois et je suivis, d’un regard ébahi, l’incroyable abondance de la fumée qu’elle dégageait. Cette fumée s’élevait comme une colonne épaisse de cheminée vers le plafond et elle enfuma d’un seul coup l’espace entier de ma chambre dont je ne distinguai presque plus le contenu. J’osais à peine croire ce que je voyais tant cela m’ébahissait. Horrifié au plus haut point par le mauvais goût et l’odeur pestilencielle de la ci- garette, ainsi que par la brume dont elle m’ avait enveloppé, je la regardai avec fureur et l’ écrasai rageusement dans le cendrier en m’exclamant :
— Quelle horreur ! Comment peut-on fumer quelque chose d’aussi exécrable !
L’idée que l’homme pouvait fumer de la fumée de feu abominable m’apparut invraissemblable, irraisonnable et insensée à la fois.
   Ayant recouvré mon calme et, ne sachant que faire, je saisis les deux feuilles de Coran, l’ancienne et l’enluminure. Je reposai l’ancienne et accordai mon attention à l’autre feuille en en détaillant tous les riches détails. C’était un travail admirable, assurément, mais lus je l’observais et plus un sentiment mitigé se mêlait à mon admiration approximative. Glissant un regard oblique vers la feuille ancienne, je notai que, malgré son âge et la simplicité de son humble ornementation, elle n’en véhiculait pas moins la divine Parole avec ses lettres imprimées à l’encre noire sur un papier jaunâtre et sali par le temps. 
   En comparaison, l’élégance minutieuse et sa- vamment calculée de l’enluminure me parut vaine et dénuée de valeur primordiale. Je jugeai qu’il était inutile et vain de décorer préci- eusement les Saintes-Ecritures, alors qu’une modeste feuille non décorée pouvait en dire tout autant. Car, l’essentiel du Texte divin est le Texte lui-même et toute la décoration n’était qu’une œuvre artistique qui n’ajoutait ni ne re- tranchait rien au sens de la Parole. J’imaginai, aussitôt après ce jugement, que l’enlumineur avait peut-être spéculé sur une reconnaissance divine en retour de son zèle, bien que Dieu ne nécessite pas que l’on fasse de la publicité pour Lui. Doutant de la vanité d’une telle décorati- on, j’adoucis néanmoins ma critique en pen- sant, qu’après tout, un peu d’ornementation ne peut nuire à personne et, même si elle est pa- raît être superflue et ne pesant pas beaucoup dans la balance, elle ne pouvait être blâmable ni être rejetée. Pris de pitié pour l’auteur de cette enluminure, je pensai que je pouvais le complimenter pour son minutieux travail et la bonhommie ou pour la candeur de son intention, sans laisser paraître mon sentiment, plutôt que de l’attrister vainement et de m’entendre dire par autrui que les gens aiment ce genre d’Art.
   Pour ma part, l’humble feuille ancienne me suffit amplement et je l’ai gardée quelque part dans mes affaires personnelles. Quant à l’enluminure, je l’ai vendue à quelqu’un lorsque j’ai eu besoin d’argent.
 
 
 
 
 
 
 


 
Texte en clair du parchemin :
 
La feuille ancienne
 
Sur la table, il y avait un vase fleuri,
Un bâtonnet d’encens et une assiettée d’oranges.
Il y avait encore une blanche chandelle
Et une ancienne feuille abîmée par le temps.
Cette feuille était jaune, échappée d’un Coran
Et ses bords sinueux et ses angles brisés.
Elle portait les traces d’effeuillements
Qu’elle avait endurés pendant toute une vie.
La feuille reposait près d’une enluminure
Qui, entrelacs savants et fleurs de Paradis,
Encadrait les Saints Mots de diverses couleurs
Emeraude et rubis et or et diamant.
L’une avait survécu à son lointain passé
Et l’autre dispensait sa beauté au présent.
On aurait pu faire un choix et refuser la feuille
Mais la feuille parlait comme l’enluminure,
Car, lorsque l’on isole la sainte Ecriture
La Parole divine demeure inchangée.  
 
 
 
 
Gouache, 30 x 21 cm, 2005. 






 
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