h LSDreams - 28: Les fontaines clémentes

   
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  28: Les fontaines clémentes
 



 
Vue panoramique d'Oran
   A Oran, je vécus chez ma mère dans un état fébrile, en compagnie de mon frère L. qui était rentré au foyer trois ans plus tôt que moi, notre sœur Z. et son fils, un peu attardé mental, Y. Durant les premiers mois de mon nouveau séjour, je trouvai rapidement un emploi qui consistait à faire des clichés qui servaient à reproduire des affiches publicitaires. Je me rendis rapidement compte que la vie en Algérie était beaucoup plus dure qu’en Europe. J’étais un peu naïf de croire que tout allait pour le mieux dans ce pays que la nostalgie avait embellie dans ma mémoire. Les troubles de mon comportement avaient empirés parce que je n’avais plus aucun souvenir des règles de la bienséance algérienne. Par exemple, je tendais la main aux dames pour les saluer et elles me tendaient la leur avec hésitation tout en souriant d’un air entendu avec leur entourage.
— Qu’ont-elles donc à sourire ?, avait-je demandé plus tard à une collègue de travail que j’avais trouvé chez un cardiologue.
Elle me répondit en souriant elle aussi :
- C’est qu’ici, on ne serre pas la main des femmes pour les saluer. Elles t’ont tendu la leur parce qu’elles savent que c’est la coutume en Europe, mais pas ici. Ici, on ne tend pas la main aux dames et on ne s’entretient pas avec elles si on ne les connaît pas.
- Ah bon ! C’est vrai, je l’avais oublié.
Je ne savais pas, à l’époque, quelle réalité j’allais découvrir. Comme le travail était rare et mal payé, je fus contraint de vendre au marché aux puces tout le rebut que ma mère avait oublié dans un débarras. Puis, les temps se faisant plus durs, je vendis peu à peu presque tous les objets de valeur que nous avions pendant plusieurs années, tant et si bien que je devins brocanteur sans l'avoir voulu.
   Mais sinon, je rénovais des appartements ou je restaurais des tableaux à l’huile ou des statuettes pour les antiquaires. Je travaillais si bien par rapport aux peintres du pays qu’une sœur de la collègue de travail ainsi que l’épouse du cardiologue s’entichèrent de moi et voulurent m'employer pour refaire leur maison.
— Ma sœur m’a dit que, quand tu iras chez elle à M., (petite ville distante d’une cinquantaine de kilomètres), elle te garderait chez elle pendant un an, me dit ma collègue et elle poursuivit :
— La femme du patron m’a dit : envoie-moi l’Almani. On te nomme l’Allemand.
   Durant tout ce temps que dura mon martyr qui était fait d’incertitudes, de rêves et de cauchemars, d’hallucinations et de visions, de bien-être et de malaise, d’ignorance et de révélations, de distorsions de la réalité et d’évènements surnaturels qui hantaient mon esprit, cet esprit qui se muait, se transformait, de mon corps qui souffrait de maladies que nul thérapeute n’aurait pu cerner ni expliquer, j’exerçais, comme on dit, trente-six métiers et trente-six misères, de façon quasi-miraculeuse, à l’insu de mon entourage et des gens, sachant dissimuler ma souffrance sans jamais rien révéler à qui que ce soit de l’Enfer entrecoupé d’extases et de félicité inespérés que je traversais.
   Puis un jour, je me convertis à l’Islam dans lequel je fondai un espoir de guérison et dont je devins un membre assidu et moralisateur. Ce fut une passion, à tel point que, certaines nuits, je me surprenais pendant mon sommeil, à effectuer l’une ou l’autre des prières rituelles en dormant. Puis je me mis en devoir de lire le Coran que je ne comprenais qu’à l’aide d’une traduction française. Naturellement je fumais du Haschich à en perdre haleine et voici à quoi ressemblaient mes lectures : énervé par le Haschich, je scandais ma lecture en tapotant rythmiquement et frénétiquement le sol du plat de mon pied et un soir, je m’écriai soudain:
— Ça, c’est du rock and roll !
Stupéfait, j’avais alors cessé de lire en me disant que, décidément, quelque part, quelque chose devait clocher.
   Depuis mon retour d’Allemagne et durant les deux ou trois années suivantes, j’avais gardé le contact avec quelques-uns de mes amis de Berlin. Ce fut durant cette période que Sigurd. T. m’envoya douze trips que je découvris avec surprise, au fur et à mesure que je lisais le livre qu’il m’avait envoyé, profondément enfouis entre les pages duquel il les avait dissimulés, isolés les uns des autres par quelques pages. J’étais tellement heureux que j’exprimai ma gratitude en lui envoyant des choses du pays et un graphisme que m’avait offert à Berlin, celui de mes enseignants qui m’estimait le plus.
Sigurd. T. m’expédia plus tard encore soixante-douze autres trips qui devaient être les derniers de ma vie.
   Ce fut aussi une période durant laquelle, solitaire pour la plupart du temps, je dévorais des centaines de livres, tout ce qui me tombait sous la main.
Assidu dans mes prières, je ne contestais pas un seul mot de la religion mais j’observais d’un œil très critique toute littérature étrangère qui déviait un tant soit peu de notre croyance.
J’avais beaucoup réfléchi au sujet de cette voix souveraine, laquelle m’avait révélé tant de merveilleuses choses qui furent aussitôt effacées de ma mémoire, à Berlin en 1981.
Longtemps après que je l’eue imputée en vain à Dieu, puis au Saint-Esprit, je ne pus que supputer qu’elle appartenait plus vraisemblablement à un Ange.
Pourquoi je devais oublier ses propos, comment je devais interpréter le message de Jésus et pour quelle raison je devais quitter l’Allemagne pour retourner en Algérie, je ne pus le comprendre que trente ans plus tard, après bien des souffrances.
   Notre monde semble être fait d’opinions contraires et de contradictions et dans tout texte on peut trouver un peu de vérité, mais aussi des invraisemblances et du mensonge.
Aussi cessai-je de prendre pour parole d’Evangile les suppositions d’Albert Hoffmann, ni d’Aldous Huxley que j’appréciais beaucoup auparavant. Albert Hofmann a présumé que c’est l’Esprit de vérité annoncé par Jésus qui nous visite, en se référant à Ephèse et aux mystères d’Eleusis et Aldous Huxley a présumé une Porte de la perception qui s’ouvre sur la mort.
Mais je reparlerai de ces choses-là plus loin, lorsque cela sera opportun.
   L’effet que produira la drogue sur l’expérimentateur est imprévisible et l’on n’a aucune influence sur son déroulement, à moins de l’interrompre à l’aide d’un sédatif puissant. On ne peut aussi l’éluder ni le contourner, ni le changer ni le guider à son gré. Mais, parfois, lorsque l’on reçoit une proposition d’un Tiers ou qui émane d’un « guide » comme, par exemple Timothy Leary, il est possible de la refuser et de l’occulter de son esprit pour revenir à sa propre perception de l’effet qui reprend alors son cours sereinement. Cela provient, en ce moment-là, de la propre raison qui revient à ce qu’elle sait de ce qui lui a été enseigné durant son existence, surtout lorsque la proposition d’un Tiers est différente ou contraire à ce que l’on a appris, surtout en matière de religion et lorsque cela ne concorde pas avec sa connaissance et sa propre expérience de la vie. Les tests qu’a pratiqués A. Hoffmann sur différents animaux comme les souris, les rats et un éléphant lui ont permis de conclure qu’une dose létale de LSD pour un être humain devait être 300 à 600 fois supérieur à la normale. Cependant, cet éminent chimiste s’exprime en quantités de drogue et semble ne pas tenir compte des facteurs psychiques qui pourraient entraîner des conséquences fâcheuses pour l’expérimentateur, voire, beaucoup plus rarement, son décès.
En effet, la drogue puise en nous des informations qui sont assez souvent antérieures à notre propre mémoire et elle extrait ces renseignements hors des neurones du cerveau humain qu’elle contrôle et dans lesquels ces données sont enregistrées.
   Il est possible que certains rêves ou cauchemars – que l’on fait pendant le sommeil habituel quand on est dans son état normal – pour lesquels on ne trouve aucune explication, proviennent de cette immense source d’enregistrements différents.
Car des évènements qui ont eu lieu à des époques antérieures immémoriales sont transmis de génération en génération sans discontinuer et il en est de tellement anciens qu’ils appartiennent parfois à nos premiers procréateurs, Eve et Adam.
Ces souvenirs particuliers expliquent parfois les visions paradisiaques que nous voyons et qui nous ont été transmises par nos prédécesseurs, car de telles visions ne peuvent être ni inventées ni surgir de nulle part.
Comme ce chat, par exemple, qui, sous l’effet de la drogue, cache sa tête sous le tapis afin de ne plus voir ce qui lui apparaît et qui a peur des souris, parce que ce qu’il voit peut dater de plusieurs millénaires, à une époque où les souris étaient peut-être énormes, ou encore cet éléphant qui meurt d’une crise cardiaque parce que la drogue l’a ramenée en arrière jusqu’à la Préhistoire, durant laquelle existaient des Mammouths beaucoup plus grands que lui et d’autres animaux féroces géants.
   Il m’a été donné, au cours de l’une de mes expérimentations ultérieures, de « voir », vraiment voir la localisation de ces souvenirs d’une mémoire antérieure à la nôtre. Naturellement, elle se situe en nous et elle reste là, inconnue et insoupçonnée tant que la drogue ne l’extrait pas de nos neurones. Je me suis vu dans une entrée qui s’ouvrait sur deux cavités : la première, qui était située à gauche, était grande ouverte, un peu à la manière d’une grotte et bien que je n’y pénétrai pas, je sus d’emblée que c’était celle qui recelait cette mémoire antérieure, celle qui garde en elle des souvenirs de temps immémoriaux qui nous ont été transmis par nos ancêtres.
   Cela pourrait être une explication de la prodigieuse intensité qu’octroie la drogue à l’érotisme et ce pourrait être un souvenir qui nous vient d’Eve et d’Adam, car l’acte sexuel qu’ils commirent au Paradis a dû forcément leur être resté gravé dans leur mémoire.
La seconde localisation était située un peu plus à droite, presqu’en face de moi, mais son entrée quasi-circulaire était obstruée par ce qui ressemblait à une roche lisse et grisâtre. Je m’en approchai et je sus instinctivement qu’elle cachait cette partie de notre être que l’on appelle l’Inconscient. Une voix en moi me demanda si je pouvais évaluer son épaisseur et, comme si je possédais une vue qui pouvait transpercer cette muraille, je répondis :
— Il me semble qu’elle est aussi épaisse que la base d’une montagne et elle me semble être plus dure que l’acier.
Elle est par conséquent impénétrable et je pensai que l’Inconscient recelait des informations ou plutôt des « programmes » qui ne sont pas destinées à celui qui les portes en lui, mais à un être futur qui naîtrait des reins de sa progéniture, lequel en hériterait et les transmettrait à son tour à sa progéniture et ainsi de suite jusqu’à ce que l’information ou « programme » parvienne à son héritier chez lequel elle passerait alors de son subconscient à son conscient afin de lui déterminer sa vocation. Par exemple, le métier qu’il exercera, avec son don et les capacités qui l’accompagnent.
   Peu après que l’on a absorbé une dose de drogue hallucinogène, on a la nette conviction d’avoir confié son âme à une force inconnue qui en disposera à son gré. On reste sur l’expectative, si l’on n’éprouve pas un soupçon d’angoisse, dans une calme appréhension en attendant d’être littéralement emporté, Dieu sait où et comment, par cette force inconnue. Ce qui motive cette appréhension, c’est le fait que l’on sait déjà que l’on va être livré à des situations qui dépassent l’entendement et dont ne peut s’extirper par sa propre volonté. L’expérimentateur, pour peu qu’il ait de l’expérience dans ce domaine, ne sait pas ce qui l’attend et il pressent qu’il va être transité vers une autre réalité dans laquelle il se trouvera aussi désarmé qu’un enfant en bas âge. Celui donc qui a déjà de l’expérience, se prémunit contre le mauvais sort éventuel en s’injectant, le moment intolérable venu, une dose de 50 mg de Chlorpromazine, médicament antipsychotique, comme l’a prescrit A. Hoffmann.
Mais comme on n’a pas souvent un tel médicament sous la main, le moment venu, on peut se contenter de 20 mg de sédatif, Valium de préférence, sous forme de pilule (s) que l’on aura soin de serrer dans un petit morceau de cellophane.
Il est préférable de se préparer soi-même psychologiquement afin de l’utiliser vraiment quand cela s’avérera nécessaire, car, si on ne le fait pas, soit on l’oubliera, soit on se méprendra sur la nature des cachets, c’est-à-dire qu’on les confondra avec des pilules de LSD et on évitera d’en prendre.
   Il faut se préparer comme suit, même au risque que cela paraisse ridicule :
Primo : on garde les pilules emballées dans sa main et on les regarde pendant un long moment en se répétant dans son esprit, ce qu’elles sont et à quoi elles servent.
Secundo : on place les pilules dans sa poche - de pantalon droite par exemple – qui ne devra contenir rien d’autre – et on s’imprègne la mémoire de leur utilité.
Tertio : on les ressort de sa poche et on les contemple une nouvelle fois en gravant leur utilité dans sa mémoire, puis on le remet dans la même poche en procédant comme en Secundo.
Quarto : on répète cette procédure  autant de
fois – cinq ou six fois, si nécessaire –  jusqu’à ce que ce geste devienne un réflexe en cas de besoin imminent.
   Personnellement, je n’ai réussi à me souvenir, en plein cauchemar lysergique, de leur présence dans ma poche et de leur utilité qu’après avoir répété cette méthode plusieurs fois avant d’absorber une dose de LSD.
Dans un premier temps après l’absorption de la drogue, son effet ne se faisant sensiblement ressentir qu’au bout d’un laps de temps qui varie de trente à quatre-vingt-dix minutes, l’expérimentateur devient de plus e plus calme et silencieux, tout en guettant attentivement tout changement qui se produit en lui et autour de lui. Il peut ressentir une sorte d’engourdissement ou de torpeur de tous ses sens, qui est assez agréable, le gagner et à laquelle il s’abandonne. Son être habituel se métamorphose et change son mode de perception de ses sens et de son environnement. Au pis-aller, un goût de métal ressemblant à celui du cuivre peut lui empâter la bouche.
   Par ailleurs, tout dépend de l’état purement corporel dans lequel il se trouvait au moment d’ingurgiter sa dose de drogue : s’il n’était sujet à aucun malaise ou s’il était repu ou encore un tant soit peu à jeun, par exemple.
Quant à son état mental, quelle que fut sa nature, il n’en restera nulle trace et il sera remplacé par le nouveau.
L’état idéal dans lequel il doit se trouver est celui de quelqu’un qui ne souffre d’aucun mal, de crise de foie surtout, ni de rage de dents, ni d’aucun autre malaise qui lui infligerait de la souffrance, car cette souffrance se verrait amplifiée à l’infini sous l’effet de la drogue. 
Un mal de tête ou une migraine, par contre, disparaîtraient sans laisser de trace. Par ailleurs, il ne doit avoir rien planifié pour le lendemain, ni rendez-vous ni toute autre obligation qu’il devrait respecter sans faute, sinon cette obligation deviendrait obsessionnelle au plus haut point tout le temps que durera son expérimentation et cela pourrait s’avérer être horrible pour lui.
   Enfin, il doit être propre, de préférence fraîchement lavé, porter des vêtements propres et effectuer son expérimentation dans un lieubien nettoyé, bien aéré et, si possible, décoré de fleurs ou de fruits.
Quelque temps donc après l’absorption de la dose de LSD ou toute autre drogue hallucinogène, s’installe une sorte d’engourdissement mental qui ressemble à une distraction et un début d’oubli de la réalité, période durant laquelle l’expérimentateur se rend calmement compte qu’un changement s’opère en lui et dans son environnement immédiat.
Par contre et ceci dépend de son état de santé physique et moral tout autant que le genre de son caractère ou de sa personnalité, s’il est bon ou mauvais, il peut devenir nerveux et s’alarmer de ce changement d’état qui peut l’alarmer, parfois, jusqu’au plus haut point.
Mais lorsque tout se passe bien, il constate avec une légère stupeur que tout change autour de lui : l’apparence de son environnement reste la même, à la différence près que, maintenant, elle gagne en intensité, comme si tout devenait plus prégnant, plus lumineux, plus coloré et, éventuellement, mystérieux également. 
Lorsque la drogue commence à produire son plein effet, lorsque la lumière et les couleurs ont atteint l’apogée de leur beauté changeante, se produit un dérèglement des sens qui fait percevoir un bruit comme une couleur, une couleur comme un goût et un goût comme un bruit, nonobstant l’inverse qui peut aussi se produire ou changer l’ordre et le rapport de ces sens entre eux. Mais cela n’est pas fatal et ne se produit parfois pas. C’est aussi le moment où le son de la musique devient visible, depuis la source dont il émane jusqu’à sa propagation dans l’air dans lequel il se déplace pour disparaître enfin.
Personnellement, j’ai observé une note de musique qui se frayait un chemin à travers une maille du tissage de la toile qui obstruait une baffle, s’en extraire sous la forme d’une brindille en forme de brindille, à la manière d’une double- ou d’une triple-croche de musique, s’envoler à travers l’espace de la chambre dans laquelle je me tenais et enfin disparaître dans l’air, après un dernier tremblement.
A ce moment-là, l’expérimentateur sent qu’il n’est plus son propre maître et qu’il ne dispose d’aucun moyen qui lui permettrait d’influencer le cours des évènements qui vont suivre, mais ils sont tellement captivants qu’il ne songe même plus à se dérober ou à s’en extraire.
De toute manière, il se produit sporadiquement une alternance plus ou moins brève entre la réalité habituelle et celle qui est nouvelle, de manière telle que l’expérimentateur ne se sent nullement déphasé. Si tout se passe sans accroc, l’expérimentateur reste calme et un observateur le jugerait nonchalant et désintéressé de son entourage.
Par contre et surtout s’il est débutant, l’expérimentateur, s’il est excité par une vision qui l’inquiète, telle que celle de se voir dévorer par une multitude de petits insectes, sera terrorisé et hurlera de frayeur.
Confronté avec une pareille situation, celui qui a de l’expérience réagira plus calmement et patientera jusqu’à la fin de cet évènement, car il y sera plutôt intéressé et parce qu’il sait pertinemment que rien de tout cela ne lui arrive réellement.
Il existe une certaine différence entre un trip qui est fait dans un appartement et un autre qui est fait à l’extérieur, dans la rue, un établissement de loisirs ou dans la nature parce que les influences étrangères auxquelles on y est soumis sont de natures différentes. Cependant, si les expérimentations se ressemblent du point de vue diagnostique, elles sont par contre fondamentalement différentes, car jamais les mêmes évènements ne se répètent. Toutes les expérimentations sont différentes les unes des autres.
   Cette première phase de l’effet de la drogue, bien qu’elle soit perçue aussi en soi par l’expérimentateur, concentre toutefois l’attention de ce dernier sur la transformation qui se produit dans son environnement.
   Puis arrive le moment où l’aspect extérieur de l’environnement est doublé par une vue intérieure de ce même environnement et qui se juxtapose à la première vue. Désormais, ce que l’on voit grâce au dédoublement de ce monde extérieur est transposé ailleurs, sur une autre dimension, dans un autre temps, en d’autres circonstances et à une époque différente de l’époque actuelle. 
   Ensuite, l’expérimentateur entre dans une deuxième phase dont la durée peut différer, selon que l’expérimentation est effectuée à l’intérieur ou à l’extérieur de chez soi. Dans celle qui se manifeste intra-muros, l’expérimentateur, après avoir assez longuement contemplé la métamorphose de son environnement et, en de rares exceptions – personnellement une seule fois –, il ressent une indicible sensation de bien-être qui fait frémir tout son corps et ravit son âme au plus haut degré, à tel point qu’il lui  échappe des exclamations qui se limitent à la poussée répétitive de soupirs d’extase, des « ah ! » qui ne sont pas sans ressembler à l’expression vocale d’un orgasme sexuel. Il se sent si immensément bien qu’il éprouve de la compassion pour ceux qui ne ressentent pas un tel ravissement de l’âme et du corps et, dans un ineffable élan de générosité, il aimerait en offrir une part à autrui, mais toutefois sans y parvenir, évidemment. Lorsque cette sensation de bien-être infini disparaît ou en son absence également et parvenu dans cet état de deuxième phase qui est le plus intense du trip, l’expérimentateur ressent une insurmontable envie de s’étendre confortablement sans qu’il en ressente pour autant de la fatigue ni du sommeil. S’il avait cru bon de préparer de quoi écrire, dessiner ou encore peindre, excepté en de rares et brèves exceptions, une fois parvenu à cette deuxième phase, cette idée lui paraîtra incongrue car il ne verra aucune nécessité à faire de telles choses : il n’en aura plus envie et ne sera pas capable de consentir un tel effort pour les faire parce que, aussi, l’effet de la drogue commence à atteindre son paroxysme et qu’il est l’objet de différents évènements psychédéliques qui lui font vite oublier ce qu’il avait voulu entreprendre auparavant. Parvenu à ce stade-là, il devient pour ainsi dire muet et il ne voudra rien porter à sa bouche, ni aliment, ni boisson ni tabac, car le tabac le dégoûterait au plus haut point et il s’étonnerait que l’on puisse aspirer de la fumée, même s’il est un gros fumeur et la fumée qui se dégagerait de sa cigarette lui apparaîtrait abondante à outrance et polluante inutilement de l’atmosphère. Maintenant qu’il s’est étendu et qu’il a clos ses yeux, il a perdu toute relation avec son environnement et aussi avec, éventuellement les personnes qui devaient appartenir à son entourage immédiat ou lointain. Cet entourage, d’ailleurs, ne lui sera supportable que s’il est entouré de personnes qui se trouvent également sous l’effet de la drogue et qui se sentent comme lui. Sinon, il lui sera impossible et même insupportable d’essayer de se concentrer sur une personne qui n’expérimente pas et qui voudrait faire un peu de conversation avec lui.
   D’ailleurs, s’il lui prenait envie de parler, il serait horrifié par le son de sa propre voix qu’il ne reconnaîtra pas et qui lui paraîtra semblable à un chevrotement de bouc. Cela l’incitera davantage à garder le silence d’autant plus que toute parole lui serait trop fastidieuse à prononcer au moment où il est l’objet d’une multitude d’impressions psychédéliques qui déferlent dans son esprit sans discontinuer. Une fois étendu confortablement, il jouira de suffisamment de paix pour assister à tous les spectacles que lui offre la drogue. C’est une suite inépuisable de visions colorées de la plus belle et la plus achevée d’apparence qu’il n’avait jamais vues auparavant. Elles se déroulent dans un espace infini qui ne semble pas appartenir à ce bas-monde mais qui lui ressemble toutefois, pendant un temps tellement abondant qu’il contient des milliards de visions différentes, lesquelles défilent à un rythme rapide et qui ne sont jamais suivies par aucune autre qui leur serait semblable.
Sauf en d’autres circonstances durant lesquelles l’expérimentateur se voit subitement être le témoin d’évènements surnaturels qui le concernent directement, c’est-à-dire dont il est le spectateur et l’acteur en même temps ou encore spectateur et acteur supplémentaire d’évènements qui sont liés à son propre passé ou à un autre passé, qui est historique parce qu’il a eu lieu au temps de ses ancêtres et qui est puisé de cette mémoire séculaire qui est antérieure à la sienne propre.
   On peut donc ainsi assister, en y étant dans la peau d’un autre, à des conflits armés historiques ou revivre un rêve différemment que par le passé et assister à sa propre mort dans un abondant épanchement de son propre sang. On peut également y puiser des secrets évidents et des révélations qui sont d’une sagesse extrême pour, finalement, les oublier tout de suite après, alors qu’elles semblent avoir  duré pendant une très longue période. Il en est d’autres dont on ne se souvient peut-être plus jamais, mais dont on ne garde qu’un souvenir diffus mais non l’essentiel. On peut s’y reconnaître et se voir soi-même sans complaisance ni faux-fuyant et en accepter la vérité quelle qu’elle soit, bonne ou mauvaise, ou encore réjouissante ou encore affligeante. Quoi qu’il advienne, on y assiste et on l’accepte en toute sérénité et confiance, même si parfois la teneur de l’évènement est alarmante ou consternante.    
Cependant, en fin de compte, on garde toujours l’impression que quelque chose « cloche » dans toutes ces choses sans pour autant deviner de quoi il pourrait s’agir.
   Cela engendre un peu de mécontentement, de déception et de doute, mais passagèrement seulement, car ce qui subsiste encore de la deuxième phase accapare de nouveau l’esprit de l’expérimentateur et lui fait oublier cette mauvaise impression.
   Enfin, la troisième phase est celle qui achève lentement l’effet de la phase précédente : tout effet s’estompe et s’amenuise avant de disparaître complètement en infligeant à l’expérimentateur de le la tristesse à cause de l’apparente brièveté de cette expérimentation, quand bien même celle-ci aurait duré douze heures et aussi de la mélancolie lorsqu’il commence à réintégrer la réalité de tous les jours.


La rue dans laquelle j'habite
   A Oran, j’entamai la dernière période d’expérimentation de ma vie, laquelle période s’étala sur une durée de plus d’un an au cours duquel j’absorbai plus d’une centaine de pilules de LSD, de Psilocybine et peut-être aussi de mescaline.
   Les savants ont constaté que les dernières molécules de la drogue hallucinogène ne sont totalement évacuées de l’organisme qu’au bout de cinq jours, c’est pourquoi il faudrait, en principe, attendre, au moins, que ce laps de temps soit écoulé avant de faire une nouvelle expérimentation, sinon cette drogue ne produit pas d’effet. Seulement, excédé de devoir attendre toute une semaine pour en reprendre, je tentai ma chance et découvris que je pouvais en reprendre à trois jours d’intervalle. Malgré ma souffrance psychique persistante, j’avais placé tout mon espoir en Dieu afin qu’il me guérisse, comme l’assure la religion musulmane.
Mais de toutes ces séances impressionnantes qui furent effectuées en un temps relativement court, je n’ai pu retenir que quelques-unes et des bribes de certaines autres.
   Pendant  toute cette période et les années qui suivirent, je pus, grâce à Dieu, reconnaître le mal qui me rongeait et qui commença à martyriser mon cerveau de la plus cruelle des manières. J’avais pris l’habitude de toujours m’étendre sur le dos au cours d’une séance, quand je la faisais en intérieur et  même après être rentré de l’extérieur. Mais, lorsque je n’étais pas sous l’effet de la drogue, je commençai un jour à appréhender le moment venu de me mettre au lit pour dormir. En effet, chaque fois que j’étais profondément endormi, je ressentais soudain un violent mal dans le lobe frontal du cerveau, laquelle ressemblait à une douleur aigüe et tremblotante qui transmettait à mes narines une insupportable odeur de brûlé. Me sentant mourir, je faisais alors de violents efforts pour me réveiller complètement et pour y parvenir, je me concentrais sur toutes les parties de mon corps afin de pouvoir en remuer ne serait-ce qu’un seul membre, sans toutefois y parvenir. Puis, je finis par ne plus me concentrer que sur mon pied droit que je parvenais à mouvoir violemment après de longs essais et cela me réveillait enfin. Ecœuré, déprimé, je passais un long moment à ressasser ma peine et je me rendormais quelque temps plus tard sans plus ressentir cette douleur jusqu’à mon réveil.
   Par la suite, je me complus à varier le cours de mes séances en sortant sitôt après l’absorption de la drogue, en pleine nuit, pour me promener dans les rues quasi désertes à cette heure tardive, pour n’entreprendre le chemin de retour qu’une fois que l’effet se faisait ressentir. Cependant cet effet commençait, la plupart du temps, à se manifester dès que j’avais mis le pied hors de chez moi. 
    Ainsi vadrouillai-je dans le centre de la ville en faisant, le plus souvent, un détour par le port avant de longer, d’un bout à l’autre, la très longue rue dans laquelle j’habite.
Puis un jour, l’envie me prit de passer ma séance dans une salle de cinéma, juste pour voir l’effet que cela ferait, mais pour cela, il fallait que j’absorbe la drogue juste avant de me rendre au cinéma, ou encore une fois seulement que j’étais bien installé tout seul, le cas échéant à la dernière rangée des fauteuils du balcon ou de la mezzanine pour qu’il n’y ait personne derrière moi qui put m’observer à mon insu. Afin de pouvoir faire des séances en toute tranquillité, j’attendais toujours que les soirées que je passais avec ma famille soient terminées et après que chacun de nous eut regagné sa chambre pour dormir. C’était, le plus souvent, vers minuit ou une heure du matin. Comme une dose normale n’offrait que six heures d’effet, mes trips se terminaient souvent dans la grisaille du petit matin. Au début, j’agençais mes séances comme je le faisais à Berlin, en musique et sans idée préconçue. Mais un jour, j’en fus sevré et mes expérimentations changèrent et devinrent encore plus impressionnantes que les précédentes.




 
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