La Vérité
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(Le texte qui suit est une réécriture plus condensée et plus détaillée de la narration originale que j'avais rédigée à la fin de cette expérimentation, laquelle narration , ayant été accomplie spontanément sous l'effet d'une forte émotion, s'est transformée en prière intense au fil du souvenir des événements spirituels que je remémorais au fur et à mesure que j'écrivais. Il me fut alors impossible de décrire ce que j'avais vu.
Cette narration manuscrite sera rédigée intégralement dans la page suivante.)
J’étais devenu un novice passionné par la religion lorsque je fis l’une de celles qui allaient être mes dernières expérimentations et qui fut essentiellement religieuse, indépendamment de ma volonté.
Ce fut un épisode très éprouvant qui me tint alarmé tout au long de son déroulement. J’étais secoué et ébranlé dans un monde dans lequel un tourment suivait l’autre, en me bouleversant et en me faisant craindre le pire pour mon salut éternel dans ce qui me sembla être une course effrénée de toute la Création vers Dieu, sur un chemin qui était semé d’embûches.
D’emblée, je fus plongé dans la vérité et confronté à des situations, lesquelles, même si elles se déroulaient sur un plan de réalité qui était perçue plus intensément que d’ordinaire, ne pouvaient être classées parmi les phénomènes paranormaux comme ceux, peut-être, que j’avais connues auparavant, mais elles devaient être perçues comme étant réelles et tout à fait cohérentes.
L’action de cet évènement se déroula dans un paysage semi-nocturne dont les couleurs étaient intensifiées et possédaient des tons chauds tandis que d’autres, lesquelles, quoiqu’elles fussent proches des couleurs connues, étaient d’une nuance tellement prononcée qu’elles en paraissaient irréelles.
Ce monde avait quelque chose d’étrange et de familier à la fois, comme s’il existait sur un autre plan, dans une autre réalité. Il était comparable à un monde vu en rêve dont une partie était cauchemardesque. Ce songe semblait être réel et je n’avais pas l’impression de rêver mais de le vivre vraiment et de tout éprouver comme à l’état d’éveil.
D’ailleurs, je n’étais pas endormi puisque l’effet des drogues hallucinogènes dissipe le sommeil pendant et longtemps après sa prise. Même s’il y eut au début un certain flottement de l’esprit qui est le produit d’un moment d’inattention ou d’inconscience passagère dont on ne se souvient plus après, il me sembla que je fus introduit de plain-pied dans cet étrange domaine et sans qu’il y eut de transition entre la réalité et lui.
Douze heures après cette introduction, le lendemain matin, vers huit heures, j’étais tellement impressionné par le songe que j’avais fait, je m’empressai de l’écrire, alors que l’effet de la drogue ne s’était pas encore tout à fait dissipé.
Le seul fait de le remémorer en l’écrivant me plongea dans une excitation telle que je ne pris que des notes en me promettant de le réécrire plus tard correctement. Je pensais que je pourrais me souvenir de tout, mais il me sembla plus tard avoir oublié certains évènements.
Sur la première page de mon manuscrit, la confiance en ma mémoire me dicta de lister les thèmes sur lesquels j’escomptais revenir, en ces termes :
Le meilleur trip que l'on puisse faire, c'est de le traverser en adorant Dieu.
Il n'y a rien que la vérité.
Puis:
Dieu, Sa Lumière, Ses Anges, Ses Prophètes, Ses miracles, Ses signes, la Vérité, la vie, la mort, la résurrection, l'Atome, l'Espace, les planètes.
Enfin, sur cette première page:
Un démon, en bas, lève ses crocs vers le Ciel, vers Dieu et l'implore.
Un croyant se voit atome dans la voie de Dieu, protégé par Dieu, la Vérité et les Anges de Dieu, immenses, nombreux, puissants, défendent la Vérité sur son passage.
Dieu guide vers Lui qui Il veut et celui qui aime la Vérité en dépit de toutes les tentations et de toutes les épreuves et y croit fermement et traverse les tourments et reconnaît la toute-puissance de Dieu et ne dévie pas de la Vérité est guidé par son Dieu et défendu par Ses Anges à son passage.
Sa foi en Dieu, son amour pour Dieu doivent être inébranlables.
Il ne doit jamais douter ou déséspérer de la miséricorde de Dieu.
Je me suis vu entrer au tombeau.
J'ai vu la Lumière de Dieu.
Je l'ai vue aussi se retirer.
La vérité
D’emblée, un paysage nocturne s’offrit à ma vue. Sur un sol de terre brune, à moitié gisant sur le côté gauche, le buste élevé, le bras gauche raide et la main posée à plat sur le sol pour me soutenir dans cette position qui était celle d’un homme harassé qui se réveillait d’un sommeil lourd, les reins ceints d’une bande d’étoffe blanche et une auréole de lumière autour de ma tête, c’est ainsi que je me vis, un peu loin devant moi et ma vue devint celle de cet autre moi-même.
Le buste relevé, je vis donc devant moi une rangée d’hommes de haute taille qui ressemblaient à des guerriers en uniforme et qui se ressemblaient en tout point de vue comme des gouttes d’eau.
Ils étaient gigantesques et se tenaient si serrés, épaule droite derrière épaule gauche, qu’ils masquaient tout l’horizon. Les traits de leur visage étaient tous pareils et bien modelés, comme s’ils étaient sculptés dans la pierre et leur mine farouche était impassible et reflétaient une détermination sûre et implacable.
Ils portaient des mêmes vêtements qui ressemblaient à des uniformes inclassables et une longue épée fixée au côté gauche. Le tissu de leur vêtement passait sans transition sur leur cou et au bout de leurs bras, sans qu’il y ait d’interstice ni de séparation entre eux, comme s’il faisait partie d’une peau modelée qui les couvrait entièrement.
Ils étaient tellement impressionnants que je reconnus en eux des Anges qui s’étaient vêtus de l’apparence humaine.
Soudain pris d’espièglerie, je les taquinai en faisant allusion à leur taille imposante :
-- Est-ce tout ?!
Alors, sans proférer de parole ni changer de mine et sans que leurs pieds ne quittent le sol, tous les Anges s’étirèrent subitement et sans discontinuer en hauteur vers le ciel jusqu’à ce que leurs têtes disparurent au-dessus des étoiles.
Leurs pieds s’étaient allongés en conséquence et l’une des pointes de leurs chaussures, étonnamment propres et luisantes, était parvenue jusqu’en dessus de moi, si bien qu’au moindre mouvement, elle m’aurait écrasé comme on le fait pour une fourmi.
J’en fus très troublé et je ressassais encore ma déconvenue et ma surprise lorsque j’entendis une sorte de bruit confus derrière moi. Me retournant, je vis d’abord des flèches colorées comme celles des dessins qui voletaient à très faible hauteur et qui semblaient vouloir m’indiquer quelque chose qui se trouvait devant elles.
Il y avait là quelques sortes de caisses de couleur mauve, bordée de bandes bleues, dont les tons étaient si intenses qu’ils me déplurent presque. Ces caisses étaient disposées à la manière des wagons d’un train qui s’ébranla aussitôt et se mit en marche dans une direction que semblaient lui indiquer ces flèches qui l’escortaient dans la nuit.
Ils virèrent à gauche comme autour d’un pan de mur, mais ce mur n’était en fait qu’un pan de paysage qui en cachait un autre. Je me levai, comme malgré moi et comme mû par une force indéfinissable pour les suivre vers l’endroit où ils venaient de disparaître.
Cependant, j’aperçus à ma gauche et au loin à l’horizon, une ville qui avait été soulevée au-dessus du sol sur lequel elle reposait auparavant et elle flottait sans bouger de place dans le ciel qui était plus clair à cet endroit. Cette ville me rappela une mégapole que je semblais connaître et dont je me souvins de ce qu’elle recélait de plaisir, de joie, d’insouciance, d’amour, de musique et de danse.
Néanmoins, je ne pus observer à son endroit que de la réserve et de l’éloignement, car je sentais, en cette heure grave, que je ne devais plus prendre ses plaisirs en considération.
Surgissant de la droite, s’approcha un jeune homme qui était vêtu à la mode du moment dans cette mégapole. Il portait une casquette à longue visière sur la tête, des lunettes de soleil et une moustache fine au-dessus d’une bouche souriante. Sur son buste qui était revêtu d’un tricot blanc était imprimé un grand 5 rouge à larges ombres bleues et un pantalon de couleur bleue également. A ses pieds, il avait des chaussures claires comme des espadrilles. Il me regardait avec un air de connivence et ses yeux clairs, se méprenant sur le regard que je dirigeai vers cette mégapole, il m’indiqua du menton la ville afin que j’y aille pour y goûter à ses plaisirs vers lesquels il se rendait lui-même.
Mais son sourire ne plût guère et je secouai la tête pour refuser. Il passa devant moi sans s’arrêter et s’éloigna vers cette ville en souriant à l’avance au plaisir qu’il en escomptait.
Dès qu’il eut disparu de mon champ de vision, je pus voir une grande surface colorée, verticale et translucide, qui était faite de lettres aux couleurs irisées et luminescentes, qui étaient séparées les unes des autres par le vide atmosphérique.
Elles semblaient être étalées sur une feuille invisible qui tournait dans l'espace comme le fait celle d’un livre qu’on feuillète. Une nouvelle page la suivit en tournant et si je ne pouvais pas connaître la signification de ces caractères d’écriture, j’observais, du moins, qu’ils étaient formés par une multitude de petits points lumineux qui brillaient de différentes couleurs irisées.
Cette feuille disparut en tournant dans l’espace et il n’y en eut pas de troisième. Je me mis alors en marche vers l’endroit où avaient disparues les flèches et les caisses et je vis en même temps jaillir de moi un atome qui s’illumina en me précédant et dont je fus aussitôt convaincu qu’il me représentait dans cette mystérieuse dimension.
Lorsque j’y parvins, le pan, ressemblant à un rideau épais ou un mur très mince, se déroba vers la gauche, tandis que je pénétrai dans un nouveau et vaste paysage nocturne dont le ciel était d’un bleu légèrement clair.
Devant moi, il y avait un sentier droit qui était fait d’une terre meule, dont la couleur était brune qui était aussi sèche que le sable. Elle était plane et pure de tout élément, tel un caillou, une plante ou toute autre chose que l’on voit d’habitude sur un sentier.
Sur ce sentier désert cheminait un croyant qui était vêtu d’une longue tunique blanche sur laquelle brillaient de faibles reflets soyeux et sa taille était ceinte d’une corde blanche.
Il marchait en priant, les mains jointes devant son visage qu’il levait vers le Ciel. Derrière lui surgit, en courant, une sorte de gnome qui était affublé d’un groin de porc duquel saillaient deux crocs supérieurs.
Il levait vers le croyant deux grands yeux globuleux, d’une couleur curieusement verte, en même temps qu’il tendait ses bras et ses mains aux doigts crochus terminés par de longues griffes, vers le tissu pendant de la tunique du croyant. De ses deux mains, il agrippa un pan de ce tissu et le tira, en même temps que le croyant, fortement vers l’arrière.
Il était clair qu’il voulait empêcher l’homme de progresser sur son chemin, mais ce dernier résista sans se retourner vers le démon ni de cesser de prier.
Le démon redoubla de force en s’acharnant à tirer fortement l’étoffe de la tunique et en sautillant derrière le pèlerin mais, celui-ci l’entraînait péniblement dans son sillage, sans cesser de prier.
A cet instant précis, surgit à l’horizon, un Ange gigantesque à visage d’homme, dont la partie supérieur du corps seulement était visible et occultait le ciel. De ses grands yeux limpides, il regarda le démon avec sévérité.
A sa vue, le monstre se figea soudainement et ses bras retombèrent en lâchant le croyant, comme s’ils étaient morts. Une expression d’épouvante se lisait dans ses yeux exorbités et son groin était grand ouvert de saisissement. Puis il baissa sa hideuse tête en refermant son museau et sa face porcine exprima du dépit.
L’Ange fronça le sourcil et le démon, vaincu par ce seul regard, baissa ses yeux en se tenant immobile et en adoptant une attitude de totale soumission.
Le croyant avait disparu de ce sentier droit et le ciel disparut également derrière d’autres Anges qui venaient d’apparaître subitement. Ils étaient tous aussi immenses que le premier et, leur torse, à fleur de l’horizon, remplissaient le ciel de leur gigantesque taille pareillement.
Ils portaient tous des armes mystérieuses, comme je n’en avais encore jamais vues, et ils regardèrent attentivement un paysage assez sombre qui était situé derrière moi et dont j’ignorais l’existence en ce moment-là.
Le premier des titanesques Anges auquel je faisais plus ou moins face, banda alors un arc immense et balaya latéralement tout le paysage d’une flèche tendue qui était prête à être décochée.
En tournant de la gauche, il s’immobilisa en pointant vers moi sa flèche dont la pointe sembla toucher mon front, tellement elle me parut longue à cet instant précis et me regarda sérieusement.
Alors, je m’écriai subitement :
- La Vérité !
Sans broncher, il détourna aussitôt la flèche de moi et continua à balayer le côté droit du paysage, puis, regardant au-delà de moi, il décocha sa flèche. Je tournai la tête vers l’arrière moi en la suivant du regard et je la vis atteindre l’un de ces démons, qui étaient nombreux maintenant, qu’elle fit éclater à la manière d’une tomate.
Du sang jaillit de lui dans toutes les directions, il éclata alors qu’il était suspendu en l’air par le choc de la flèche et il tomba sur le sol en un petit amas informe et indéfinissable.
Maintenant, je voyais ce paysage nocturne sur toute son étendue. Il ressemblait à une campagne qui était recouverte, par endroits, d’une basse végétation et qui se terminait, au loin, par des collines et des vallons.
Je pus distinguer, dans cette demi-obscurité, d’autres démons qui étaient de différentes tailles. Ils étaient tous semblables, mais pansus et joufflus et ils portaient tous, comme un uniforme, des vêtements collants qui étaient fait d’un tissu grossier dont la couleur tirait sur le vert et sur le brun et dont les bas se terminaient en pointe, comme celles des chaussures d’antan.
Tournant ma tête vers les Anges, je les vis tirer sur les démons avec des armes inconnues qui changeaient tout le temps entre leurs mains comme par enchantement et elles expédiaient différents projectiles à chaque changement. C’étaient, tantôt des flèches, tantôt de logues lames souples et vibrantes, ou encore des flammes claires et tant ‘autres que je n’avais jamais vues auparavant. A chaque fois, le projectile touchait la cible et la faisait éclater en éclaboussure de sang.
Cette guerre dura quelques temps encore tandis que je mis à marcher sur le sentier en clamant :
- La Vérité, la Vérité !
Je ressentais la présence de Dieu partout et dans le ciel et je courais dans une direction où je le supposais être, en implorant la Vérité. Mon esprit enfiévré me fit imaginer Dieu derrière le ciel sous forme d’homme vénérable qui conduisait un char tiré par un cheval, mais bien vite je reconnus mon aberration et j’appelai Dieu en quémandant la Vérité.
Dans un moment d’accalmie, je me tournai pour regarder derrière moi et je vis alors un énorme démon, qui était en tout point pareil aux autres, mais qui gambadait joyeusement dans la nature, à la recherche d’un croyant qu’il pourrait faire dévier de son chemin.
Le démon semblait se complaire dans cette chasse et il se réjouissait déjà à l’idée d’une capture qu’il semblait croire imminente. Il parcourait la contrée d’un pas rapide qui l’entraîna vers l’horizon. Alors Dieu rendit visible le parcours de ce chemin qu’empruntait le démon sans s’en douter.
A partir de l’endroit où je l’avais aperçu la première fois et tout le long de la distance qu’il avait déjà parcourue, puis jusqu’à lui et au-devant de lui, en tournant à angle droit, il y avait un parallélépipède, dessiné en lignes lumineuses, qui ressemblait à un tunnel et qui se prolongeait devant le démon qui courait. Je le vis gambader dans ce tunnel invisible, à l’aide duquel Dieu le menait dans sa progression insouciante.
Les quatre lignes lumineuses décrivaient un angle droit et prolongeaient ce tunnel dans une direction qui était opposée à celle d’où venait le joyeux démon. Il tourna docilement l’angle droit, lui qui ne le voyait pas et poursuivit son parcours qui se termina sur le flanc d’une colline. Mais le tunnel se prolongeait dans la colline et le démon s’y engouffra sans s’en apercevoir.
En cet instant même, mon attention fut attirée par une lueur blafarde qui luisait à quelques pas de là et elle se situait entre le démon qui avait disparu sous terre et moi. Puis j’y distinguai un muret circulaire qui était en pierres dont la couleur était d’un gris clair étonnamment beau. Ensuite, je vis une margelle à son sommet et je reconnus que c’était un puits qui luisait doucement comme s’il était éclairé par un clair de lune. J’étais encore plongé dans l’étonnement à cause de son apparence et de la beauté de ses pierres qui étaient bien taillées et ajustées dans un ordre parfait, lorsque je me mis soudain à flotter dans l’air et à voler très lentement vers le puits, comme si une force occulte me faisait subir cette action malgré moi. Ma lente progression dans l’air cessa lorsque je fus parvenu au bord de la margelle et que je fus immobilisé au-dessus du puits. Je vis l’intérieur de ce puits qui était tout éclairé par de faibles lueurs de couleurs différentes, bien qu’il n’y eut aucune source de lumière visible. Il n’était pas profond et les pierres de sa paroi circulaire étaient celles que j’avais vues de l’extérieur. Son fond était un sol plane et nu, fait de terre meule parfaitement vierge. La lumière qui n’émanait de nulle part et qui l’éclairait était d’un bel orangé d’un côté et d’un beau vert clair de l’autre.
Le démon déboucha soudainement hors de la paroi et l’ouverture par laquelle il entra fut aussitôt refermée dans un mur qui semblait ne jamais avoir possédé d’issue. Il s’arrêta net et son rire se transforma en étonnement, d’abord et après qu’il eut compris qu’il était enfermé sans espoir de pouvoir en sortir par ses propres moyens, il parut être surpris et désarçonné à la fois. Il lança des regards craintifs autour de lui et l’on pouvait lire dans son regard qu’il comprenait que seul Dieu pouvait disposer ainsi de lui.
Confus et la mine contrite, le démon se tordit les doigts en pressant ses hideuses mains sur sa panse rebondie et ceinte d’une corde brunâtre. Egaré, il regardait çà et là en tournant sa tête dans tous les sens et en semblant être désolé par ce qui lui arrivait. Enfin, il se composa une attitude conciliante et sa face porcine emprunta un air de douce soumission, puis, essayant de paraître aimable, il ébaucha un sourire forcé et commença à balbutier des paroles qu’il cherchait désespérément dans sa tête, d’une voix sifflante et chuintante de postillons qui giclaient hors de son groin monstrueux : - Ah, Seigneur, Vous savez combien je vous aime. Je suis obéissant et je suis innocent.
Il se tortillait un peu en malaxant ses doigts et, tantôt il levait un regard qu’il voulait aimant vers le ciel et tantôt il fronçait le sourcil en regardant autour de lui comme s’il cherchait quelqu’un sur qui passer sa colère. Puis il relevait la tête vers le ciel d’un air compassé et il continuait de se défendre, d’une voix sifflante et crachotante :
- Ce n’est pas moi, Seigneur.
Pui, s’interrompant, il regardait de nouveau autour de lui d’un air furieux comme s’il voyait d’autres démons perfides qu’il dénoncerait à Dieu :
- Ce sont ces vils démons, pas moi. Il continua son ignoble monologue en traitant les autres démons de tous les qualificatifs qui lui venaient à l’esprit et sans omettre d’être élogieux envers lui-même.
Je ne pus m’empêcher de m’écrier :
- Ah, Seigneur, quel monstre d’hypocrisie!
Mais soudain, je fus avancé et introduit quelque peu dans le puits, au-dessus du démon, puis mon corps fut immobilisé et laissé en suspens à cette hauteur-là. Redoutant d’être jeté dans ce réduit, je m’écriai avec effroi :
- Non, Seigneur, je ne veux pas être comme cette bête.
Tout à coup, un long cri tonitruant comme le roulement du tonnerre éclata comme une bombe dans le silence environnant et me glaça le sang dans les veines. Je me demandais encore ce que ce long « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA » pouvait bien être lorsqu’il fut suivi d’un non moins assourdissant :
»llllllllllllaaaaaahhhhhou akbar ». C’était l’appel matinal du muezzin qui, amplifié à outrance par un haut-parleur, s’engouffrait dans la cour de notre immeuble avec in énorme fracas.
A cette époque, j’étais encore un fervent novice, féru de l’Islam et je croyais tout ce qui se disait dans les mosquées.
C’est pourquoi je bondis pour saisir mon tapis de prière et l’étaler sur le sol avec agitation.
Je commençai d’abord ma prière à voix basse, mais au bout d’un instant, elle mua en cette vois sifflante et chuintante que j’avais entendue chez le démon. Abasourdi et bouleversé, je continuai malgré tout d’effectuer ma prière en suppliant Dieu, avec ferveur, de me délivrer de ce cauchemar. Lorsque, abattu et perplexe, j’eux terminé, je fus stupéfait de constater que ma prière avait été très rapide et qu’elle n’avait pas duré plus de deux ou trois secondes.
Mais cette expérimentation perdura en tout pendant douze heures d’affilée et, à peine avais-je terminé ma prière, que je fus de nouveau emporté par un tourbillon d’évènements surnaturels qui me firent croire que je les vivais réellement.
J’étais, à présent, vêtu d’une sorte de longue chemise blanche dont les pans me parvenaient juste au-dessus des genoux et je marchais, pieds nus, sur une étendue d’herbe fleurie. Puis, je dus regarder le ciel attentivement, car il fut tordu par une main invisible qui se tenait derrière lui, à la manière d’un drap tendu qu’on aurait pincé en son centre et auquel on aurait fait subir une torsion qui aurait engendré des plis qui rayonnaient dans toutes les directions.
Nul doute :
- C’est Dieu (qui fait cela), pensai-je alors.
Puis le ciel fut lâché par cette invisible main et il reprit son apparence habituelle. Les étoiles regagnèrent leurs places initiales après avoir semblé être des ornements que les pliures avaient déplacées de leur endroit.
Les nerfs tendus, je me dirigeai alors vers l’orée d’une clairière comme si je savais que je devais aller à cet endroit précis, sans que personne ne me l’eut dit auparavant. Là, je découvris une tombe fraichement creusée dans un sol d’herbe fleurie et le tas de terre qu’on en avait extrait était disposé derrière elle en forme de monticule.
J’y descendis et m’y assis tout simplement, sans surprise ni hésitation, comme si je savais que je devais le faire. La tombe n’était pas bien profonde, puisque mes yeux arrivaient à la hauteur e la surface du sol, puis je la contemplai avec admiration. Toutes les lignes qui délimitaient son bord et ses coins étaient rigoureusement droites, comme tirées à la règle et à l’équerre et ses surfaces intérieures étaient aussi planes que si elles avaient été de bois raboté. Les brins d’herbes et les fleurs qui la bordaient étaient tous saufs et suivaient parfaitement son pourtour.
- Cette tombe n’a pas été creusée par la main de l’homme, estimai-je.
Je posai mes avant-bras sur mes genoux et m’armai de patience, car je croyais que j’allais, peut-être, y être enseveli. Tournant légèrement la tête vers le monticule de terre qui était derrière moi, je ne pus m’empêcher de présumer la présence invisible d’un Ange qui avait une main posée sur le tas de terre et les yeux levés vers le Ciel, dans l’attente qu’un ordre, venant du Très-Haut, pour pousser sur moi la terre et m’enterrer dans cette tombe.
Résigné, je murmurai :
- Que la volonté de Dieu soit faite, qu’Il veuille bien m’absoudre ou qu’Il veuille me châtier.
Mais je fus libéré l’instant d’après. Je me levai donc et sortis de la tombe. Traversant la clairière en sens inverse de l’endroit où j’y avais pénétré, j’avais le cœur en joie et le pied léger. Parvenu jusqu’aux arbres qui bordaient l’orée de cette clairière, j’y constatai la présence de grosses racines extérieures. Alors, l’Atome lumineux qui me représentait, jaillit hors de moi et alla se poser sur l’une des racines. En même temps, mon esprit sembla devoir l’y suivre en étant tiré assez douloureusement pour être extrait de moi. Mûr de mon expérience pour avoir déjà pénétré, par le passé, au cœur d’un arbre qui parlait, je fus pris d’une forte appréhension et je m’écriai:
- De grâce, Seigneur, je ne veux pas entrer dans cette racine.
Mon esprit connut alors une détente après avoir subi une seconde secousse et j’éprouvai de la honte vis-à-vis de mon Seigneur, d’avoir eu peur d’entrer dans cette racine. Libéré une nouvelle fois, je repris ma déambulation à travers la forêt. Peu après, j’y entendis des voix basses qui chuchotaient entre elles.
Entre les arbres, parmi l’herbe et les fleurs, deux petites plantes extraordinaires. Elles ressemblaient à s’y méprendre à deux cosses d’arachide inversées dont la tige était plantée dans le sol. Je distinguai aussi dans ces formes grossièrement colorées par deux ou trois coups de pinceaux de couleur bleue luminescente, qu’elles avaient l’apparence d’êtres humains, la partie supérieure de la cosse contenant un visage d’homme, pourvu d’une grosse moustache de paysan.
Le personnage de gauche se tourna vers celui qui se trouvait à droite et d’une voix un peu rauque et critique, il proféra :
- Je me demande pourquoi il se trouve des gens qui croient devoir rire de nous quand ils nous regardent. L’autre approuva, mais sans trop abonder dans ce sens. Ils me lancèrent tous deux un regard plein de reproche et de désapprobation.
- Bah, soupira enfin le second homoncule, sans finir de traduire sa pensée.
J’éprouvais de la sympathie pour ces braves gens, mais, les laissant à leur conversation, je repris ma promenade nocturne à travers cette forêt.
Mais abruptement et sans aucune transition, je me retrouvai, comme si j’y étais tombé, assis au fin fond d’une faille terrestre qui était très profonde et très étroite. Ses deux parois étaient si raides et si hautes, que je ne pus distinguer entre elles, qu’une bande de ciel parsemée d’étoiles. Assis sur le sol, tête penchée sur un côté, la main gauche posée à plat sur la terre, j’attendis, sans me poser de question au sujet de cette nouvelle situation.
Peu après, un cercle de lumière très blanche apparut à ma gauche et à quelques pas de moi. Ce rai de lumière provenait directement du ciel et je reconnus en lui l’œuvre du Seigneur. Le cercle de lumière glissa sur le sol et m’approcha en m’arrachant une exclamation de joie. Continuant sa progression, il vint m’éclairer la tête, mais je fus surpris de voir sa clarté me traverser de haut en bas, comme si j’étais fait de verre et il toucha le sol, au-dessous de moi. Au bout d’un petit moment, il s’éloigna de moi et disparut aussi soudainement qu’il avait apparu, me laissant assis tout seul dans ces calmes ténèbres. Levant la tête au ciel, je déplorai la disparition cette lumière qui m’avait tant plu et je ressentis cette privation comme étant un châtiment.
Pire encore.
Une brusque secousse m’ébranla et transporta mon corps dans une étroite crevasse qui se trouver derrière l’endroit où j’étais assis. C’était une faille de rocher, une fente exigüe qui contint à peine mon corps. Résigné à ce nouveau sort, j’attendis patiemment en regardant l’étroite bande de ciel qui était très haute au-dessus de moi. Un instant plus tard, je réalisai que je me trouvais de nouveau assis dans ma chambre et le diable surgit aussitôt devant moi.
Il avait tout de cette image que l’on se fait de lui, à dessein peut-être d’être immédiatement identifié par celui qui le voit : tout en lui était pointu, les traits de sa face grimaçante comme ses vêtements et ce qui lui servait de mains aux doigts crochus et griffus qu’il tendait vers moi, comme pour m’agripper avec avidité.
J’en appelai aussitôt à Dieu et le diable disparut. A la place qu’il occupait devant moi apparurent alors des oiseaux de Paradis au plumage chamarré, mais dont la couleur verte était dominante. Ces magnifiques oiseaux battirent des ailes en volant sur place à la manière des colibris et commencèrent à disparaître partiellement jusqu’à ce que n’apparaissent plus que leurs ailes battantes et enfin seulement quelques plumes.
Lorsqu’ils eurent totalement disparu, je vis surgir de nulle part et s’élever dans l’air la Kaaba de La Mecque qui traversa le ciel et disparut à son tour dans l’Espace.
Un clin d’œil plus tard, je me vis assis dans une représentation du Ciel qui évoquait le Paradis. Derrière moi s’élevait un magnifique et grand château qui se dressait dans une réplique amoindrie du Ciel et il était entouré par un très beau mais très sobrement orné paysage, lequel, s’il avait été infiniment plus richement décoré, aurait pu être un très beau jardin du Paradis. J‘étais installé devant lui, en plein air, sur un magnifique divan d’apparat, devant une table garnie de mets et de boisson. Au-delà de cette magnifique table, également assises sur un élégant divan, se tenaient deux dames de très grande beauté qui se ressemblaient comme se ressemblent des sœurs jumelles. Elles me regardaient ensemble sans discontinuer et leurs yeux exprimaient un amour calme et sûr.
Quant à moi, les aimant d’un amour égal, je gardais mes yeux levé vers le Ciel en pensant à notre Créateur.
Fin