h LSDreams - 35: Bribes:O1: Une crise de foie

   
  LSDreams
  35: Bribes:
O1: Une crise de foie
 


01

 
   L’effet du LSD est multiple et riche en variations au point que la plupart des évènements et des visions colorées ne peuvent être mémorisés : il en résulte que, parfois, seules des bribes en subsistent encore dans le souvenir.
   En voici quelques-unes qui sont  mentionnées ici à cause de ce qu’elles peuvent ajouter à la connaissance des drogues hallucinogènes.
Une certaine nuit, peu après avoir absorbé une dose de LSD, je ressentis des pulsations dans le foie. Elles augmentèrent peu à peu d’intensité et, l’effet de la drogue se poursuivant, je perçus nettement la contraction et la décontraction répétitives et régulières d’un vaisseau sanguin du foie, qui semblait réguler un épanchement de liquide qu’il laissait s’écouler par à-coups.
Eprouvant l’envie d’uriner, je me rendis aux toilettes et je restai planté debout devant le siège.
La douleur assez légère et assez supportable que causait chacune de ces pulsations irradia en se répandant verticalement tout le long du côté droit de  mon corps, à la manière d’un fil tendu qui vibrerait aussi par à-coups.
Cette sorte de corde vivante s’allongea, jusqu’à la plante de mon pied droit  et, inversement, jusqu’à traverser verticalement mon œil droit en vibrant comme la corde d’un instrument qu’on pincerait une fois sur deux.
Puis cette corde vibrante sembla ouvrir tout le long de mon corps une très longue entaille par laquelle la douleur, devenue plus lancinante, s’échappait en frémissant hors de mon organisme. La douleur causée par les contractions du vaisseau sanguin devint plus aigüe et, de mon œil droit douloureux en conséquence, je perçus chaque pulsation visuellement en dehors de moi, de telle manière que l’espace qui existait entre le mur et moi en frémissait à la même cadence.  
   Stupéfait et triste à la fois, je quittai les toilettes et me rendis à la salle de bains pour me laver les mains. Lorsque j’ouvris le robinet pour laisser couler un mince filet d’eau, ce fut comme si un rayon de soleil venait réchauffer mon cœur qui se trouvait dans une sorte d’obscurité naissante. C’était une merveilleuse torsade de diamant liquide qui avait jailli de la fontaine et qui se brisait en mille éclats de lumière irisée sur le fond d’un lavabo qui était plus blanc que la neige et plus lisse que l’ivoire.
   Véritables joyaux éphémères, les fines gouttelettes, véritables perles lumineuses, qui éclaboussaient ses parois, s’y fixaient pendant l’espace d’un instant, puis elles tremblotaient soudain et ensuite elles fondaient en un mince filet luisant qui disparaissait dans le fond de la cuvette éclatante de clarté.
Enfin, je finis de me laver les mains sans quitter des yeux ce spectacle scintillant et, voulant maintenant les sécher, je frémis d’horreur en voyant les bras que je tendais vers la serviette de bain.
Saisi par la crainte, je lançai un regard en coulisse vers ces bras qui semblaient appartenir à quelqu’un d’autre que moi, quelqu’un qui serait étranger et familier à la fois et qui se tiendrait à côté de moi et qui s’essuierait mes bras en même temps que moi.
Avec un sentiment de répulsion et de distance hautaine, j’observai dubitativement mes bras qui étaient devenus si minces que je pensai :
— Non, ce ne sont pas mes bras ! Ils ressemblent à des branches d’arbres fines et noueuses et ces petites mains, qui sont si maigres et si sombres, ressemblent  à des rameaux, elles ne sont pas les miennes non-plus.  
Les reniant ainsi, je me déresponsabilisai d’elles et, tenant mes bras ballants le long du corps, je ne voulus plus les voir.
   Enfin, je retournai dans ma chambre qui était devenue maintenant sombre et inhospitalière.
Me sentant mal en point, je déployais un petit tapis de prière en laine épaisse sur le sol et je m’étendis dessus en gémissant un peu.
Me tournant sur le côté droit, recroquevillé sur moi-même en chien de fusil, je déplorai l’échec de mon expérimentation. Au lieu de vivre quelque chose de merveilleusement stupéfiant, j’étais là, couché et tordu par la douleur.  Tout était devenu sombre en moi et autour de moi. L’ambiance dans cette pénombre était sinistre et si le mal qui me torturait n’était pas trop grave, il ne m’en accablait pas moins de désolation.
— Ah, pensai-je. Ce mal ne durera pas, il me suffit d’être patient. Combien de temps encore ? Six heures environ. Ensuite, l’effet du LSD se dissipera et je me sentirai mieux. Oui, mais six heures, cela peut représenter beaucoup de temps puisque le temps n’est pas évaluable sur un trip. Il se pourrait même que ce malaise me semblera durer éternellement. Mais non, je suis lucide, je ne vois rien d’autre que ce monde noir.
Les ombres qui peuplaient la chambre la rendaient toute obscure. Par endroits, ce noir était de charbon. D’autres ombres étaient plus claires que les premières et le reste baignait dans une grisaille perturbante.
Repensant à la tristesse de ma situation, je me mis en devoir de regarder les choses en face :
— Ah, mais ce n’est après tout qu’une drogue. Comme l’opium, par exemple. Oui, une drogue comme une autre, sans plus, et comme toute chose, son effet a un commencement et aussi une fin.
Je dois attendre sa fin.
Etendu sur le côté, je restai immobile dans la position du corps qui me paraissait être la plus optimale pour atténuer ma souffrance.
— Je vais aussi devoir effectuer ma prière de l’aube, pensai-je. A quelle heure est-ce déjà ? Ah, peu de temps avant cinq heures. Et, quelle heure est-il maintenant ?
Péniblement, je tendis le cou pour voir le réveille-matin que j’avais disposé la veille sur le haut de ma bibliothèque. Il marquait quatre heures et cinq minutes.
— Quatre heures cinq, pensai-je.
Oubliant aussitôt qu’il s’agissait de l’heure, je me demandai :
—Mais…pourquoi, au fait ? Que voulais-je donc ? Ah, oui, savoir l’heure qu’il est. Mais…pourquoi donc ?
Je réfléchis peu et puis je me souvins :
— Ah oui ! Cela va bientôt être l’heure de la prière.
J’imaginai déjà la voix tonitruante du muezzin qui éclaterait soudain dans le silence endormi de l’aurore, une voix qui serait démesurément amplifiée par un haut-parleur et qui se répercuterait en vacarme infernal contre tous les murs des habitations avoisinantes  en faisant sursauter les gens hors de leur sommeil profond.
— A quelle heure s’effectuera cet appel ?, tentai-je de me souvenir. A quatre heures et vingt-cinq minutes ou un peu plus tard. Cela sera à …voyons quelle heure est-il maintenant ?
Le réveille-matin indiquait quatre heures et cinq minutes, ou peut-être six.
— Pourquoi donc ? Que voulais-je savoir ?...ah, l’heure de l’appel ! L’heure ? Et ensuite ?
Je redoublai d’effort pour savoir à quoi je faisais allusion au juste, à quoi je m’étais promis de faire… ?
Accoutumé malgré moi à la douleur qui me terrassait et qui m’ôtait toute force, je restais allongé sans presque bouger dans la pénombre, à attendre que le temps passe et me délivre de ce cauchemar.
Puis je me souvins :
— L’appel ! L’appel ? Quel appel ?
Faisant un effort de réflexion, je parvins à me souvenir :
— Ah oui, l’heure. A quelle heure est-ce, déjà ? A…voyons, ah oui, …quatre heures et vingt-cinq ou trente-cinq…Et… pourquoi donc ? Ah oui, je voulais savoir combien de temps il reste jusqu’à l’appel. Quel temps ? Ah, oui, le réveille-matin…
Il montre quatre heures et cinq ou six minutes ou peut-être encore sept…Donc, quatre heure cinq jusqu’à quatre heures et vingt-cinq…Cela fait, euh…voyons…cela fait… ?
Ne pouvant effectuer ce simple calcul, je me mis en devoir de compter par tranche de dix minutes pour me faciliter la tâche.
— Dix minutes. Quoi, dix minutes ? Ah oui…
Relevant la tête, je fixai le réveille-matin et comptai :
— Quatre heures cinq et dix minutes…cela fait…quatre heures quinze. Quatre heures quinze et…euh, mais, que voulais-je savoir ? Ah, oui…quatre heures quinze et dix minutes, cela fait…euh…, eh bien, voyons, euh, quatre heures dix, euh…non, quatre heures…quinze et…dix…cela fait…pfff, il faut recommencer ! Voyons, c’est simple, quatre heures, euh…quatre heures cinq et dix, cela fait quinze, Quinze et puis cinq, cela fait …euh…ça fait…ah, vingt ! Vingt ? Vingt quoi ? Mais…que voulais-je savoir ?
   Reprenant ma réflexion, je finis par me souvenir au bout d’un petit moment :
— Ah oui, l’heure ! Il va falloir compter soigneusement, c’est simple…jusqu’à l’appel, il y aura…euh, voyons quelle heure ?...Ah, quatre heures cinq, euh, dix, on dirait que c’est dix ...et … alors ?... ah, bah !
J’abandonnai l’impossible calcul et refermai mes yeux. Tout est si noir. En moi aussi, tout est noir.  Comme c’est effroyable quand la vie devient aussi sombre.
N’ayant pas de sédatif pour interrompre ce mauvais trip, je dus en supporter les affres jusqu’au petit matin.


 


 
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