h LSDreams - 07: Avant la préhistoire

   
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  07: Avant la préhistoire
 


Avant la Préhistoire

   Cela devint une habitude qui dura pendant plusieurs mois pour Schackie et moi de réserver tous les vendredis soirs pour aller chez O.S. pour une nouvelle expérience avec le LSD. Donc, au cours de l’un de ces jours-là, les femmes se retirèrent dans la cuisine parce qu’elles avaient par expérience qu’elles ne pourraient tenir aucune conversation avec nous lorsque nous étions sous l’emprise de la drogue. En effet, il est très pénible pour l’expérimentateur de supporter la présence de personnes qui n’ont pas pris la substance avec lui, parce qu’il ne peut pas se concentrer sur elles et qu’il lui est difficile de comprendre ce qu’elles lui disent. En outre il lui est encore plus ardu de suivre une pensée autre que la sienne et enfin, il lui est pratiquement impossible de parler, car, l’état d’esprit dans lequel il se trouve est quelque peu comparable à l’autisme.

   Lorsque les femmes furent parties, O.S. et moi, nous absorbâmes une dose de LSD et il me confia qu’il avait acheté deux nouveaux disques dont le contenu de l’un était une cérémonie vouée au Diable et celui de l’autre, une invitation de Timothy Leary à faire une expérimentation sous sa direction.

— Juste pour voir comment c’est, dit O.S.

— Entendu, lui avais-je répliqué.

La substance commençant à produire son effet, je m’allongeai à ma place habituelle en l’observant retirer un disque de sa pochette et le placer sur le plateau de la sono. Puis il s’en éloigna pour rejoindre sa place et une sorte de tintamarre cacophonique, spécieux, emprunté, faux, joué sans talent par des acteurs minables fusa des haut-parleurs. Déçu et agacé, je m’appuyai sur un coude pour regarder O.S. qui me parut alors étrangement éloigné, à l’autre bout de la salle qui était devenue beaucoup plus longue que d’ordinaire. Il me lança un regard compréhensif, lui aussi, puis il se leva et alla à la sono en me disant :

 

— Ce n’est pas…euh…  

— Non, lui répondis-je.

C’était d’un tel mauvais goût qu’il n’était pas possible de l’écouter plus avant.

—Je vais mettre Timothy Leary, dit-il, Il propose de suivre ses instructions.

—Oui, répondis-je, car ayant terminé sa pensée dans mon esprit, j’ajoutai que sinon, nous mettrions de la musique à leur place.

 

   Mon ami retourna à sa place qui était à l’autre bout de la pièce et qui semblait s’être allongée davantage. Elle baignait maintenant dans une lumière qui me sembla plus claire qu’avant. Elle avait gagé en largeur aussi lorsque j’entendis Leary commencer à parler prudemment. Il demandait si on voulait bien se laisser guider par lui sur ce trip et faire l’expérience qu’il proposait, mais comme je comprenais qu’il émettait en lui-même un doute d’être considéré ou même compris par quelqu’un qui se trouve sous l’influence de la drogue et qu’il ressentait aussi une certaine gêne, je ne l’écoutai d’abord que distraitement. Puis il poursuivit d’une voix qu’il s’efforçait de rendre plus grave et plus docte, à la manière d’un hypnotiseur qui douterait du succès de son influence tout en persévérant vaillamment:  

— Etendez-vous sur le dos et fermez les yeux. Mettez-vous à l’aise, détendez-vous, laissez-vous aller à un calme complet.

Il répéta :

— Détendez-vous, laissez-vous aller…

Je ne pus m’empêcher de sourire. Dire cela à quelqu’un qui se trouve sereinement sur le trip, qui n’a pas besoin de conseil quand il se trouve dans cet état d’âme dans lequel il se complaît, si on peut nommer ainsi cette totale absence de reconnaissance de cet état même que l’on ne tente nullement de définir, du fonctionnement de l’esprit dans ce monde inconnu et imprévisible qui maintient l’être sous son emprise, de manière presqu’absolue ; cela fait en outre réaliser que l’on est momentanément léthargique dans une sorte d’expectative qui s’ignore, tandis que rien d’autre que cela n’est intéressant et que toute ingérence extérieure est considérée comme totalement infondée et qu’elle est perçue comme extrêmement dérangeante et pénible à supporter. Mais, ce soir-là, cette ingérence me parut comique et je dus en rire discrètement. Une intuition me fit croire qu’O.S. en pensait autant que moi.

   Puis, Leary en vint au fait en nous suggérant de retourner dans le passé, vers des époques de plus en plus anciennes et reculées dans le temps. Cela éveilla quelque peu mon intérêt et je lui prêtai un peu plus d’attention.

— Détendez-vous complètement, vos commencez à retourner dans le temps.

   Naturellement Leary était aussi un connaisseur, il savait donc parfaitement que cette simple suggestion suffisait pour que l’expérimentateur se trouve immédiatement transposé dans la situation qu’on lui propose et qu’il s’y trouve aussitôt comme s’il y était réellement. Mais il savait aussi que cela ne pouvait pas se faire sans le consentement ni la bonne volonté de l’expérimentateur dont le quant-à-soi est inébranlable en pareille circonstance et c’est pourquoi il parlait avec tant de prudence et de sollicitation. Il savait aussi combien il est difficile de capter l’attention de l’expérimentateur en un pareil moment ou de pouvoir le convaincre de quelque chose, si jamais ce dernier devait être en mesure de lui accorder une quelconque attention pour l’écouter et si, toutefois, il était capable de comprendre le sens des paroles qu’on lui adresse. Cela vient de ce que, sous l’emprise de la drogue, l’expérimentateur est tellement absorbé par ce qu’il perçoit de surnaturel que sa façon de penser habituelle est quasi occultée par une autre façon de penser qui est adéquate à la situation supranaturelle avec laquelle il est confronté et que lui a imposé la drogue.

   Le processus d’adaptation à la compréhension de la pensée habituelle, quand lui parle une personne qui n’est pas droguée, est incroyablement ardu pour celui qui est drogué, car celui-ci doit abandonner, pour un moment, sa façon supranaturelle de penser en s’extirpant avec des efforts inouïs de la situation surnaturelle qu’il percevait, sans pouvoir la quitter. Un exemple de cette difficulté est fourni par l’écriture : sous l’emprise de la drogue hallucinogène, on peut lire d’emblée une phrase et la comprendre correctement, mais si on s’en détourne et, qu’après un court laps de temps, on y revient, le sens de cette même phrase est complètement perdu, sans espoir d’être retrouvé. A la seconde tentative de lecture, la phrase perd tout son sens et devient indéchiffrable. On ne peut plus savoir dans quelle langue elle a été rédigée. Quel que soit l’effort que l’on fasse, la phrase persistera à rester incompréhensible.

   J’étais très détendu et je consentis à suivre Leary dans son voyage dans le temps. Entrant dans son jeu, je me laissai entraîner sereinement dans le temps et l’espace en effectuant immédiatement un vol assez bas dans les airs, debout à la verticale, à peu de mètres au-dessus du sol, à contresens du temps et je me mus dans le temps et l’environnement qui défilaient à rebours devant moi. Bientôt, je vis défiler sous mes pieds une foule de gens qui m’apparaissaient se mouvoir dans le décor de leur époque et dans leurs habits d’antan, rapidement, à travers les siècles passés et disparaître    tout aussi vite, au fur et à mesure de ma hâtive progression. J’avais le loisir de reconnaître certaines de ces populations passées, comme celles du Moyen-âge et d’autres encore, qui défilaient éphémèrement sous moi, mais la voix de Leary se faisait pressante et nous exhortait :

 — Allez vers le passé le plus ancien, ne vous attardez pas dans les époques révolues, continuer à reculer dans le Temps.

   Avec quelque regret de ne pouvoir observer à mon aise ce que je voyais et comme si cela était en mon pouvoir, j’accélérai mon vol et me propulsai de manière si fulgurante que je ne pus qu’apercevoir très brièvement les époques différentes qui défilaient en dessous de moi, sans pouvoir les situer dans le temps. Leary se faisait de plus el plus pressant :

 — Ne vous attardez pas en chemin, n’attachez pas d’importance au temps qui défile devant vous, allez plus loin dans le passé, vers les temps les plus reculés sans vous attarder…

   Sa voix se perdit lorsque m’apparut une forêt préhistorique et ombragée  et, comme je volais près de la cime des arbres, j’aperçus, de loin, des silhouettes d’hommes qui étaient perchées sur l’une des branches horizontales.

— Des singes ?, me demandai-je en les approchant vélocement.

Je distinguai des jambes nues d’êtres humains dont le haut du corps était dissimulé par la ramée et qui semblaient s’adonner à la cueillette de fruits. Cependant j’eus le net sentiment qu’ils m’avaient vu approcher et qu’ils se tinrent aussitôt sur leur garde. J’eus un petit sourire à l’idée qu’ils chuchotaient entre eux et qu’ils s’efforçaient de passer inaperçus malgré leur jambes apparentes.

   Je les dépassai en silence et me rendis compte que l’ombrage de la forêt m’avait fait croire à un crépuscule, parce que j’aperçus  au loin la clarté d’un soleil radieux qui brillait dans un ciel pur au-dessus d’une chaîne de hautes montagnes dont la première était élevée et dotée d’une belle couleur jaune légèrement dorée avec des reflets orangés. Au-delà de celles-ci, je pus voir encore trois autres montagnes de couleurs différentes et dont l’une était bleue.

A ce moment précis, Leary disait :

—Reculez dans le temps, vers le temps le plus lointain, celui qui existait avant l’apparition des premiers hommes.

J’eus un soubresaut et m’écriai en mon for intérieur, tout en réfrénant ma course et en arrêtant mon vol entre les quatre montagnes :

— Non !, car avant les premiers hommes, il y a avait eu Adam.

   Retournant à moi-même et dans mon propre monde, je ne perçus plus la voix de Leary que comme un faible bourdonnement sans attachai d’importance à ses paroles et je laissai mon esprit se plonger vers ces autres sphères inattendues que la drogue ne manquait pas d’offrir à profusion.

   Naturellement ce fut peut-être bien dommage d’avoir interrompu ce voyage suggéré, car, qui sait que peut-être, après avoir dépassé l’époque préhistorique des dinosaures et de la première apparence d’une forme de vie sur la Terre, il ne se serait terminé dans le cosmos au temps de la formation du Monde.

   Quoiqu’il en fût, je tirai de cette expérimentation une découverte qui devait s’avérer bienfondée, quelques années plus tard. En effet, n’est-il pas aberrant de constater que ce fut mon éducation qui s’opposa à ce que je continue le voyage alors que je savais pertinemment qu’il y avait de la vie sur la Terre avant l’apparition des premiers hommes.

   Il en va aussi de même pour l’amour et pour la haine. Ces sentiments qui sont sélectivement enseignés dès la prime enfance restent à jamais gravés dans la mémoire de l’homme. On aimera toujours et on haïra toujours ce qui a été inculqué à qui n’avait pas d’expérience ni de connaissance de la vie parce que c’est venu de la part d’êtres bien-aimés.

   Mais, si on suppose que quelqu’un qui appartient à une ethnie se prenne d’amour pour une personne qui appartient à une autre ethnie sans toutefois savoir laquelle, on se demande quelle sera sa réaction s’il l’apprend.

Tout ne sera-t-il pas remis en question ?



 

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