h LSDreams - 43: La promenade nocturne

   
  LSDreams
  43: La promenade nocturne
 





49

Par une douce nuit d’été, vers la minuit, alors que toute ma famille dormait à poings fermés, j’absorbai une pilule de LSD et, pour ne pas devoir attendre que son effet se produise, je sortis pour faire une petite promenade dans le centre de la ville, tout en escomptant être de retour en temps voulu.

L’artère principale du centre-ville dans laquelle j’habitai était quasiment déserte à cette heure indue pour les habitants de cette contrée et l’appréhension coutumière qui précède chaque trip fit naître en moi une gênante inquiétude.

Je m’engageai dans cette rue en la prenant à gauche pour passer devant la Bibliothèque nationale et continuer vers une vaste place fleurie qui servait de rond-point au trafic automobiliste. Dès que j’en aperçus de loin les verts buissons couverts de rouges clématites, j’éprouvai l’envie d’y aller m’asseoir, mais à la vue de deux policiers qui étaient là de faction et qui m’observaient avec insistance,  je tressaillis de peur qu’ils ne me sachent drogué, car ceci est considéré ici comme étant un grave délit qui peut être sanctionné par plusieurs années de prison. En dehors d’eux, il n’y avait que deux ou trois personnes qui déambulaient nonchalamment.

Le LSD rend la vue très perçante, aussi pouvais-je distinguer les yeux des agents qui observaient davantage ma démarche que mon regard dans le but de déceler en moi un signe quelconque de nervosité ou d’hésitation, ce qui aurait pu signifier pour eux que je n’avais pas la conscience bien tranquille. Songeant qu’à cette distance ils ne pouvaient pas discerner la dilatation exagérée de mes pupilles, je continuai mon chemin le plus nonchalamment possible pour parvenir  enfin à cette place et tourner sur la droite sans leur prêter attention. Le LSD avait agi plus promptement que je ne pensais et son effet exagérait déjà l’importance des impressions et des choses les plus anodines.

Les deux agents de police à peine contournés, j’aperçus soudain un soldat de faction près de sa guérite, la crosse de son fusil au talon, devant un édifice militaire. Lui aussi m’observa curieusement, mais je continuai bravement de suivre mon chemin sur une cinquantaine de mètres, afin de tourner le coin de la rue qui menait à la Mairie et qui me redirigerait vers le centre de la ville, car j’avais décidé de faire un grand tour en forme d’ellipse, en passant par le Front de mer, avant de rejoindre mes pénates. Sur le côté gauche de la Mairie, il y avait un édifice dont les murs m’horrifièrent par la noirceur de leur crasse et je me demandai si les habitants de la ville étaient aveugles pour ne pas voir cette saleté-là.

Enfin, je débouchai sur la grande place, plus avenante, qui se situait devant la Mairie et qui été éclairée quasiment à giorno par des projecteurs dont la lumière était aveuglante. Il y avait là un grand bassin qu’égayaient quelques jets d’eau et autour duquel étaient affairés quelques employés de la voirie municipale dans leurs gilets rayés de couleurs phosphorescentes.

Curieusement, ils cessèrent leur travail et m’observèrent tous à la fois, de telle façon que je me demandai s’il y avait dans mon apparence quelque chose de remarquable, au point que je baissai mon regard afin d’inspecter mes vêtements pour voir s’ils ne portaient pas une tare quelconque. Constatant que ma tenue était irréprochable, je me détournai et poursuivis ma promenade, mais ce fut pour constater qu’il se trouvait là  un grand nombre de promeneurs que la lumière et la sécurité de la place avaient attirés.

 

Il y avait aussi, non-loin de moi, deux agents de Police qui étaient vêtus de vestes en matière plastique blanche striées de larges bandes rouges qui réfléchissaient crûment la lumière de la place.

Ces couleurs criardes détonaient avec celles, plus harmonieuses, de la nuit et me déplurent passablement. Je m’en détournai et me dirigeai vers un parterre de fleurs jaunes que je venais d’apercevoir et, là, les mains posées sur une basse clôture de fer forgé, j’en admirai, avec enchantement, la beauté à laquelle le LSD ajoutait une certaine luminosité.

Mais un groupe de promeneurs, devancé par un chien de berger inquiétant, progressa vers moi en parlant d’une voix trop forte pour cette heure de la nuit. Ils m’observaient en marchant, leur chien en faisant de même ainsi que les deux agents en faction. C’étaient trop de regard importuns posés sur moi et, renonçant à en deviner la raison, 

je m’empressai de quitter la place pour m’engouffrer dans la première rue qui se trouvait à droite et qui remontait vers mon domicile. 

Je ne m’en rendais pas bien compte, mais l’effet de la drogue se produisait en augmentant continuellement.

Dès l’abord, les murs de cette nouvelle rue me parurent noirs d’une saleté qu’on eut dite séculaire et pour laquelle j’éprouvai un fort dégoût.

Cette rue était déserte, à l’exception de deux agents de Police qui la surveillaient en déambulant si lentement sur son axe central que je pus les dépasser aisément de mon pas de flâneur. Ils s’entretenaient à voix haute et je ne leur accordais déjà plus d’attention lorsque je parvins devant la vitrine d’une agence de voyage qu’éclairait la lumière des lampadaires. Dans cette vitrine était exposée une énorme maquette d’un grand avion de tourisme, mais elle était disposée toute de guingois, l’aileron gauche de la queue touchant la surface du bois de l’étalage, le nez levé en l’air, l’aile gauche penchée vers le bas et le couvercle que l’on avait pratiqué dans le toit pour montrer l’intérieur du cockpit, penché lui aussi de travers sur la gauche comme s’il était sur le point de tomber.

- Quel laisser-aller !,

ne pus-je m’empêcher de m’écrier !

- Il ne s’est donc trouvé aucun employé de l’agence pour le relever et le remettre en place ! Après la crasse rebutante des murs, cette indifférence pour une maquette ainsi exposée et livrée à son sort…

 

Mais la voix forte des agents de Police qui étaient arrivés à ma hauteur m’interrompit brusquement. Ils employaient un langage venimeux et des mots durs. Me détournant de la vitrine, je les vis s’approcher, les mains derrière le dos, le buste penché et le menton tendu vers moi. Je ne pus m’empêcher de tressaillir d’inquiétude et je m’empressai de m’éloigner en entendant l’un d’eux vociférer, en roulant fortement les r,:

- Mala rassa !

Ce qui signifie « sale race » en Espagnol, un juron étranger qu’ils avaient hérité de l’époque coloniale.

Ils avaient naturellement entendu ma critique, vu mon air dégoûté et donc désapprouvé mon manque de discrétion à l’égard de cette saleté que j’étais sans doute sensé ne pas remarquer.

Pressant un peu le pas, je me promis de les devancer pour les semer au prochain carrefour avant qu’ils ne me prennent à partie sous n’importe quel prétexte. 

Je parvins donc avant eux à l’embranchement  d’une rue qui était parallèle à celle dans laquelle j’habitais et je tournai à gauche afin de la longer sur presque toute sa longueur, car elle menait vers le port maritime de la ville. Une cinquantaine de pas plus loin, je vis un magasin dans lequel on avait laissé la lumière allumée afin de montrer pendant la nuit aussi, les meubles, les bibelots, les tableaux et autres objets hétéroclites qui y étaient exposés. Oubliant les deux agents agressifs, je m’arrêtai devant la vitrine pour admirer et critiquer également toute cette marchandise de bon et de mauvais goût,  aussi honnêtement que je le pus.

Soudain, j’eus froid dans le dos et me retournai brusquement pour voir ce qui m’avait inquiété si soudainement, mais il n’y avait rien ni personne dans la rue. En face de moi, je pouvais voir maintenant, la façade d’un immeuble qu’éclairait la lumière du magasin et je compris qu’elle était la source de mon appréhension. Il émanait de la lueur blafarde de cette façade une mauvaise influence, quelque chose de macabre, car elle me parut avoir la consistance et la couleur de l’os qui est blanchi par le temps.

- Pas étonnant,

pensai-je en faisant allusion à mon inquiétude soudaine et je m’éloignai rapidement de ce lieu néfaste.

Enfin, je débouchai sur une placette qui rappela à mon souvenir la proximité du port et je m’engageai sans plus attendre dans une ruelle qui y conduisait. Arrivé sur le boulevard de ce front de mer, je m’approchai du parapet et regardai le port. Près de plusieurs quais, avaient accostés des bateaux dont certains étaient vivement éclairées par de la lumière électrique.
De l’un d’eux me parvenait un bruit de vaisselle que l’on lavait et des voix d’hommes qui étaient si fortes que je pouvais les entendre distinctement. Cependant, la langue dans laquelle ils s’exprimaient semblait être étrangère, mais les intonations de leurs voix étaient celles de gens qui s’apprêtent à prendre la mer. Les lumières de différentes couleurs qui émanaient des bateaux et des quais du port se reflétaient puissamment sur l’onde noire et frémissante en me faisant songer à de vivants tableaux de maîtres. - Ils vont appareiller cette nuit-même à ce qu’il me semble et leur bateau les emportera au loin sur la haute mer, pensai-je. Puis, me rappelant de ceux qu’ils allaient laisser derrière eux, je me retournai pour observer les hauts immeubles clairs qui s’élevaient derrière le port et dont la plupart des fenêtres étaient déjà obscures. - Ceux-là, pensai-je au sujet des habitants de la ville, vont rester chez eux tandis que les marins vogueront sur l’eau. Mais, qui sait ? Peut-être sont-ils satisfaits de leur sort, les uns comme les autres.Puis je longeai la promenade et j’aperçus au loin, sur l’un des quais, une vive lumière solitaire qui darda mes yeux si fortement que c’en fut douloureux et cela me fit tressaillir d’une peur soudaine. Ce n’était qu’une simple ampoule électrique, mais, malgré moi, je crus que Dieu me regardait depuis cette source de lumière en manifestant Sa toute-puissance qui inculque à l’homme une crainte respectueuse. Enfin, je repris mon chemin jusqu’au bout de ce long Front de mer où je vis avec ébahissement une assez haute construction isolée que recouvrait, comme pour l’habiller de toute part, une brume blanchâtre. A la base des murs, cet épais brouillard s’allongeait sur le sol en bout de tapis, à la manière d’une trop longue couverture. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent et cette chape vaporeuse habillait sur mesure cette étrange construction. Avant de reprendre ma marche le long d’une large rue bordée de palmiers qui me ramènerait vers le centre de la ville, je me retournai pour regarder une dernière fois le Front de mer qui était éclairé sur toute sa longueur par des lampadaires à lumière orangée, mais chacune de ces lumières rayonnait comme un soleil dont chaque rayon était visible et se distinguait de la multitude des autres rayons qui l’entouraient. Croyant mes yeux devenus larmoyants, je les frottai du bout des doigts et regardai de nouveau, mais les lumières persistaient à être, chacune pour soi, un soleil éclatant de rayons orangés. Je compris alors que le LSD commençait à produire son effet et je me mis en devoir de rentrer chez moi en longeant ce petit bout d’avenue qui était bordé de hauts palmiers. Vers le sommet de l’un d’eux sortait une plante d’entre les moignons de ses spathes coupés et fixait ses branchettes le long de son tronc. De ces moignons desséchés se détachait une sorte de toile épineuse qui me rappela soudain une Sourate du Coran dans laquelle est menacée la veuve d’un certain Abou Lahab de porter une corde tressée de cette matière rugueuse autour de son cou le Jour du Jugement dernier. Songeant aux frottements douloureux qu’une telle corde pouvait produire, j’éprouvai un frisson d’horreur et je m’en éloignai rapidement. Parvenu au coin de la rue centrale qui menait vers mon domicile, je tombai en arrêt devant le spectacle d’une magnifique rose qui dépassait un haut mur d’enceinte et se détachait nettement d’un ciel éclairé par les lumières de la ville. J’eus soudain conscience de ma pauvreté devant cette riche demeure, mais je me réjouis intimement de ce que je pouvais jouir gratuitement d’un tel spectacle sans avoir à débourser un seul sou, au contraire du riche qui la possédait, car ce bienfait de Dieu pouvait être admiré par l’un comme par l’autre.Je repris alors mon chemin en me sentant doué d’une très grande force, mais je tempérai mes ardeurs d’invincibilité car je me doutais bien que je n’étais pas aussi fort que je le croyais. Enfin, j’arrivai chez moi et grande fut ma déception lorsque je pénétrai dans ma chambre silencieuse et vivement éclairée. Elle me parut exigüe et son silence bourdonnait dans mes oreilles. Je m’assis sur mon divan en pensant que mon trip était terminé et je me demandai ce que j’allais bien pouvoir faire quand le trip fondit sur moi à la manière d’un rapace silencieux et m’emporta aussitôt vers ces merveilleuses visions dont il a le secret et dont je n’ai gardé aucun souvenir. A moins que ce ne fût cette nuit-là que, assis sur le divan, mon regard fut attiré par un drap imprimé de couleurs assez fortes que ma mère m’avait offert. Ses dessins représentaient des branches droites et brunes autour desquelles convolaient une nuée de feuilles vertes sur un fond rougeâtre que divisait en carreaux de larges bandes blanches.Je vis alors avec stupéfaction tous les motifs de ce dessin planer à environ cinquante centimètres de hauteur au-dessus du tissu. Dépassé, je fixai mon regard sur le tissu lui-même afin de dissiper ce que je croyais être une illusion d’optique, mais bien que les mêmes motifs y soient présents, les autres, qui flottaient à la hauteur de mes épaules, n’en étaient pas moins visibles. Bien que perplexe, je me complus dans l’admiration de ce phénomène quand je fus de nouveau stupéfait en voyant des petites fleurs qui étaient autant de bulles d’air, monter depuis le tissu jusqu’à la surface que formaient les motifs supérieurs, pour y éclater et puis disparaître, comme si elles s’élevaient dans de l’eau très claire. Comme las de contempler très longuement ce spectacle, je m’en détournai pour regarder dans le vague de la chambre pendant assez longtemps pour l’oublier, mais quelques instants plus tard, je ne pouvais de m’empêcher de le regarder pour voir s’il était encore là. Il était encore là et ne disparut plus de sitôt. Si donc ce fut bien cette nuit-là que je vis des dessins flotter, c’est tout ce que j’en ai gardé en souvenir.


Fin











































 

 




 

 
  Entrées: 79425 visiteurs Merci pour votre visite !  
 
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement