h LSDreams - Itinéraire 6

   
  LSDreams
  Itinéraire 6
 
 

Itinéraire
préalable qui m'a conduit aux drogues hallucinogènes

et qui représente ici une brève autobiographie
pour compléter LSDreams.

 
Itinéraire 6



 
16

A la mort, suite.

Cela fut la cause de la mise en danger
de mon existence et de ma salvation
en même temps.
J'emménageai chez Loretta et devins
un habitué du Little Chicago.
On l'avait nommé ainsi parce qu'il était
fréquenté en majeure partie par des GI's
de couleur de l'Armée américaine.
Ils s'y trouvaient aussi régulièrement
neuf prostituées et quelques étrangers
de différentes nationalités. Nous finîmes tous
par nous connaître et nous lier d'amitié.
Il y venait aussi un drôle de petit personnage
ennuyeux qui était un Algérien d'origine
kabyle que deux balles tirées sur lui, dans
la tête, par la Police de Paris n'avaient pas
réussi à tuer. Lune d'elles avait fracassé ses
dents et atteri mollment dans son larynx,
tandis quel'autre s'était tout simplement
platie dur son crâne.


Un seul jeune Algérien venait de temps à autre s'entretenir avec moi dans le bistrot et nous comprîmes rapidement que le kabyle était un
espion du Front de libération nationale algérien.
Peu de temps après nous être approchés hypocritement, il nous demanda de verser
des cotisations de vingt-cinq deutsche
Mark pour soutenir la révolution algérienne.
Ensuite, ayant remarqué que j'étais le petit
ami attitré de Loretta, il décida qu'elle ausi
devait verser la même cotisation.
Ce fouineur n'était aimé de personnes,
ni des Algériens, ni des Allemands et
ni des Américains.

Me voyant un jour revenir du centre-ville en taxi,
il réclama une troisième cotisation, parce que
voyager en taxi représentait pour lui un signe
de richesse, alors, excédé, je l'empoignai au
collet et lui criai au visage que s'il ne s'en
allait pas immédiatement sans faire d'autre revendication, je lui casserais la figure.

Lassé, je cessai de lui donner de l'argent tous
les mois et j'écrivis une lettre à ma soeur
qui s'était mariée entretemps avec un
combattant du FLN dont elle disait qu'il était
en même temps le chef du Bureau politique
et de la  propagande en Oranie. Je lui
narrai ma scission du FLN et demandai que
son mari, qui en faisait partie, me donne un conseil.
Ce dernier me fit savoir que je ne devais plus
verser de cotisations et de dire à ceux qui
m'en réclamaient que j'allais les verser
directement en Algérie par le truchement de
mon beau-frère. Après que j'eus agi de cette
manière, la situation s'envenima entre ces
gens et moi. Puis, un soir, l'affreux espion vint
au Little Chicago dans lequel j'étais attablé seul.

La plupart des soldats américains étaient
devenus mes amis et plus particulièrement
un géant qui mesurait deux mètres et douze centimètres de hauteur. Ce dernier avait taquiné,
un jour que nous étions assis au bord d'une piscine
en plein air, Loretta et l'une de ses amies en leur lançant des boulettes qui tombaient d'un abre
proche et, m'emportant, je lui dis que s'il ne
cessait pas de nous ennuyer,
je lui casserais la gueule. Alors, il s'était levé
tout doucement de sa place pour mettre
sa haute taille en évidence et, constatant
qu'il était un géant débonnaire, je fus pris
de rire malgré moi. Lui aussi, il avait ri
de bon coeur, et au bistrot, il s'approcha de
moi pour m'offrir son amitié. Un autre militaire
de carrière, débonnaire et sympathique,
m'appréciait tant qu'un jour il me fit l'offre
de m'adopter en tant que fils et de m'envoyer
par avion dans le Bronx, à New-York, chez
sa famille dont il me montra des photographies,
afin que j'y vive en attendant qu'il ait fini son
service militaire. Mais j'avais décliné son
offre en disant que je n'étais pas orphelin et
que, ma mère, que je voulais revoir, vivant
en Algérie, les USA s'avéreraient être
trop éloignés pour que je puisse lui faire
de fréquentes visites.
Le fouineur vint jusqu'à ma table et me
déclara qu'un monsieur du Front souhaitait
me parler.
- Il n'a qu'à venir ici, lui- répondis-je.
- Non, le monsieur ne souhaitait pas entrer dans
cet établissement,  il attendait à l'extérieur.
- Va chier, si il veut me parler, il n'a qu'à venir
ici, m'étais-je emporté.
L'espion sortit et revint quelques minutes
plus tard. - Il te fait dire qu'il préfère s'entretenir
avec toi dehors.
-Va au diable, ici et nulle part ailleurs.
Rouge comme une pivoine, le fouineur quitta
de nouveau l'établissement. Un moment plus tard,
un homme de taille moyenne et à la mine sinistre,
vêtu d'un manteau gris, entra et s'approcha de moi.
Il parla d'une voix posée qui ne cachait pas une certaine contrainte:
- Monsieur Souane, ce que j'ai à vous dire ne
souffre pas l'ambiance enfumée de
cet établissement. Je vous propose de venir
avec nous au bistrot qui se trouve à l'autre
bout du terrain vague qui longe la voie ferrée
pour y converser dans le calme.
Comme il s'était exprimé poliment, je ne pus qu'acquiescer et le suivre au dehors.
Nous nous engageâmes dans la rue adjacente qui
était très sombre et permettait un accès au terrain
vague très mal éclairé et que nous devions
traverser sur toute la longueur pour arriver
jusqu'à l'autre bistrot qu'on pouvait déjà
voir de loin. En dehors du fouineur et de
l'homme en manteau il y avait encore trois
autres personnages silencieux. Nous nous
arrêtâmes en bordure du terrain vague et
je me retournai pour voir  ces derniers
qui marchaient derrière nous, parce qu'ils s'entretenaient entre eux à voix basse.

Je demandai à l'un d'entre eux si nous ne
pouvions discuter sur place parce que cela
nous ferait gagner du temps, mais il rétorqua
qu'il préférait aller au bistrot d'abord.
Cet homme était debout en face de moi et
me regardait d'une étrange façon. Je vis briller
dans le noir quelque chose qu'il portait à
la ceinture etne pus dire s'il s'agissait
tout simplment de la boucle de cette
dernière ou si c'était une arme quelconque.
Comme je faisais face à la rue que nous
venions de quitter, j'aperçus tout-à-coup
un homme se relever lentement, comme
s'il s'était penché auparavant pour ne pas
être vu de nous et je reconnus mon ami Américain
qui était un géant. Maintenant, plusieurs ombres
se redressèrent l'une après l'autre dans le noir et
je vis que la plupart des soldats du bistrot nous
avaient suivis discrètement jusqu'à cet endroit.
Le géant éleva son poing droit qui était aussi gros
que la tête d'un enfant et fit mine de l'abaisser
pour frapper quelqu'un tout en me demandant
n inclinant sa tête, s'il devait frapper.
Je secouai lentement la tête ensouriant.
L'homme qui me faisait face m'observa avec
terreur et se retourna lentement pour voir le
danger qui menaçait derrière lui.
Puis, les yeux agrandis par la peur, il passa
à côté de moi pour s'éloigner du géant
qui l'avait effrayé.
Celui-ci, ne se cachant plus, me demanda
à voix haute:
- Do you need help?
Prudent, je répondis de la même manière:
- I do'nt think so, but please, watch us untill we'll get into the bar-room overthere.
- Alright, répondit-il et il resta avec ses amis
au même endroit pour nous surveiller.
Après quoi, rassuré par la présence de mes
amis Américains, je repris le chemin avec le
petit groupe qui m'encadrait.
Me tenant sur mes gardes, je surveillai ces
hommes du coin de l'oeil jusqu'à ce que nous parvînmes à destination.
Nous entrâmes dans le petit bistrot de bord de
route et nous ous assîmes à une table.
- Bon, que voulons-nous boire?, demanda l'homme
au manteau gris et je reconnus à l'attitude de ses acolytes, qu'il en était le meneur.
Ils commandèrent, comme si cela allait de soi,
qui un café, qui une limonade.
N'y tenant plus, j'explosai:
- Oui, c'est ça! Quand nous sommes ensemble,
vous commandez des cafés, mais quand
vous êtes entre vous, vous vous soûlez la gueule!

Je vais vous dire quelque chose: à Stuttgart,
à la terrasse d'un café plein de monde, l'un de
vous m'a menacé avec un revolver pour me
chasser parce que je lui avais demandé de
m'aider à obtenir le statut de réfugié politique
et, comme je respectais les convenances et
que je buvais de la limonade, alors, je suis
devenu furieux et j'ai brandi ma bouteille
qui était encore pleine pour le menacer de
le frapper à la tête. Il jeta un regard penaud
autour de lui et rengaina son arme sans rien dire.

Vous ne vouliez rien entendre quand je vous ai demandé une lettre de recommandation que me réclamient les autorités allemandes et c'est un inspecteur de Police allemand qui vous a obligés
à me la fournir. Vous vouliez me faire payer des cotisations supplémentaires parce que vous
m'aviez cru aisé. Et vous venez me faire chier
par dessus le marché en m'entraînant ici pour commander hypocritement du café et
de la limonade. Moi, je n'ai pas besoin d'être
hypocrite et si je veux boire quelque chose,
je la bois, même devant vous.
Me tournant vers le comptoir, je hélai la
serveuse et commandai:
- Fräulein, ein cognac, bitte schön.
La serveuse s'exécuta aussitôt et posa le verre
de cognac devant moi. Le visage du meneur se congestionna, ses yeux rougirent  comme si
il montait des larmes devexation, puis ilse tourna
vers ses satellites et les regarda tour à tour silencieusement. Ceux-là, perplexes, le regardèrent avec une compréhension complice et, ensuite,
il me foudroyèrent du regard.
Excédé, je me levai promptement, puis je bus
le cognac d'un seul trait et le reposai d'un coup
sec sur la table. Enfin, je m'en allai en disant:
- Voilà et maintenant, allez tous au diable!
Quelques jours plus tard, le fouineur vint rôder
autour de moi au Little Chicago.
Excédé par son manège, je lui lançai à
brûle-pourpoing:
- Qu'as-tu à me dire?
- Ben, voilà, répondit-il avec quelque gêne,
on s'est dit qu'il y a longtemps que tu ne
viens plus à nos réunions du dimanche.
- Et alors?
- Ben, nous avons décidé pour la prochaine
réunion d'aller la tenir en organisant un
pique-nique au bord de la forêt qui se trouve
entre les villages de Dagersheim et de Darmsheim,
à environ un kilomètre de la gare de Böblingen.
On t'y invite. Tu viendras, dimanche à onze heures?
- Bon, ben, d'accord, je viendrai.
- Alors salut, à dimanche.
- Salut.
Mais ce dimanche fut exceptionnel car il débuta
par une radieuse matinée de printemps ensoleillé. Loretta m'avait réveillé d'assez bonne heure pour
que je puisse aller à mon rendez-vous.
Nous habitions au premier étage d'une petite
maison qui avait été construite parmi d'autres emblables dans un quartier qui se trouvait à une extrémité de la petite ville.
De la fenêtre ouverte, on pouvait voir,
à environ deux ou trois cents mètres de la
maison, l'orée d'une forêt voisine et
la petite colline qui s'élevait à sa lisière.  
Par beau temps, nous nous y rendions, Loretta,
sa voisine Margaret et son ami mexicain
Tony pour y faire un petit pique-nique ou
converser un peu en buvant quelques
bouteilles de bière. Loretta avait préparé
mon petit-déjeûner dans la cuisine et,
avant de m'y rendre, je me tournai vers elle
et la vis resté debout au milieu de
la pièce, songeuse et la tête inclinée
sur le côté. J'en fus touché et je
regrettai de ne pas l'emmener nous promener
sur la colline par un temps aussi splendide.
Alors je lui demandai
si elle ne préérerait pas que nous allions
pique-niquer au bord de la forêt et, se
tournant vers moi, elle répondit:
- Mais, tu as un rendez-vous...
- Au diable, le rendez-vous!
- Mais, ce ne serait pas correct vis-à-vis
de tes compatriotes et vous aurez sans doute beaucoup de choses à vous dire.
- Tu parles!, m'écriai-je, nous n'avons
rien à nous dire. J'en ai assez de voir
leur mine contrite, d'entendre leurs voeux
perpétuels pour l'Algérie, leurs soupirs, leur
hochement apparamment triste de leur tête,
de cette amertume feinte. Je m'ennuies à
mourir avec eux.
- Bon, ben, si c'est comme ça, je vais
frire un poulet pané, faire une pickle-salad et
mettre d'autres bonnes choses dans la corbeille.
Ce fut alors un charmant petit pique-nique que
nous fîmes sur la colline fleurie, elle et moi ainsi
que Margaret et Tony qui
s'étaient joints à nous.
C'est à ce pique-nique improvisé
que je dus de n'avoir pas été assassiné ce jour-là.
En fait, je n'appris cela
que deux ans plus tard, lorsque je me rendis
en Algérie en compagnie de la femme que j'allais épouser quelques temps plus tard. C'est en
me rendant à une réunion à laquelle m'avait
invité mon influent beau-frère que je fis la connaissance avec celui qui avait été chargé
de me tuer. Il m'expliqua que c'était parce que
j'avais manqué de respect au groupe de
parlementaires qui m'avaient conduits à
l'autre bistrot,  le soir où ils étaient venus
me chercher au Little Chicago. Il précisa aussi
que le groupe de choc qui avait été chargé
de mon exécution comptait m'abattre dans la
forêt à l'aide d'une mitraillette.
Enfin, l'influence de mon beau-frère et 
le courage que je montrai en bravant
mon détracteur firent que ce dernier battit
en retraite et que cette affaire
fut classée une fois pour toutes.



17

A la vie.

Quelques temps après ce pique-nique avorté
près de Böblingen, je fis la connaissance
d'une belle jeune femme blonde que je
devais épouser près de deux ans plus
tard en Algérie.
Peu après la déclaration d'indépendance
de ce pays, en 1962, nous nous
rendîmes à Paris où nous résidâmes
tant bien que mal pendant une dizaine
de mois. Elle y tomba enceinte et nous
décidâmes d'aller prendre soin d'elle chez
ma mère qui habitait à Oran, en Algérie.  

Le mari de ma soeur était un
personnage politique influent qui
venait de décliner l'offre d'un
porte-feuille de ministre à cause de l'amour
de son métier qui était celui de journaliste
et de commentateur à la radio et à la télévision.
Il replaça l'histoire de ma condamnation
à mort dans son vrai contexte en démontrant
que mon exécution avait été décidée pour
des raisons personnelles et non pas politiques.
Je ne fus donc plus inquiété, mais, ivre de
colère, je provoquai mon accusateur en
duel au pistolet qu'il déclina en feignant
d'être soudain sujet à une crise cardiaque.
Enfin cette affaire étant tombée dans l'oubli,

j'écoulais des jours heureux
avec ma petite amie chez ma mère.
Puis un jour, alors que ma petite amie était
enceinte de plus de huit mois, ma mère
m'enjoignis de l'épouser sans tarder. Indécis,
je lui posai donc la question et elle sauta à
mon coup en criant:"Oui, oui, oui!"
Je la conduisis donc devant le maire
quelques jours seulement avant sa
délivrance, puis je l'installai dans un avion
pour qu'elle retourne chez sa mère afin d'y
mettre l'enfant au monde dans de meilleures
conditions médicales que celles qui régnaient
en Algérie. Un semaine plus tard, elle m'écrivit
qu'elle avait mis un garçon au monde et
qu'elle lui avait donné mon second prénom.
Trois mois plus tard, je pus enfin la rejoindre
en Allemagne, mais en faisant un détour
par le Maroc où habitait mon frère pour
lui rendre visite et le revoir après plusieurs
années d'absence. Je me rendis d'abord
à Oujda pour revoir cette ville de ma
jeunesse puis j'embarquai dans un train de
nuit qui m'emmena jusqu' à Rabat, capitale
administrative du Maroc.
J'y fus reçu par mon frère qui vivait
avec sa femme et ses deux enfants
dans une villa de fonction que son épouse
avait obtenue parce qu'elle
était enseignante dans l'école qui
était située en face de leur demeure.
Nous passâmes des jours agréables
et  mon frère, qui était journaliste et
présentateur des informations du soir
à la télévision marocaine ainsi qu'à la radio

américaine Voice of America, m'emmenait
parfois avec lui pour des interviews
d'hommes politiques tels que le commandant
Dlimi, par exemple, ou des acteurs de cinéma
internationaux qui tournaient un film
à Meknès, ou enfin, aux studios radiophoniques
de la Voice of America. Nous allions aussi souvent 
à la plage et fréquentions des bistrots
ou faisions encore nos emplettes
dans la ville proche de Salé.
Mais des évènements survinrent qui allaient
avoir une répercussion sur
ma vie à Rabat d'abord, puis en France
ensuite et enfin en Allemagne aussi.
En fait, il s'agissait plutôt de brèves
aventures amoureuses que j'eus au Maroc avec
trois superbes femmes qui rivalisaient en beauté.
La première, dont j'avais fait la connaissance
à l'occasion d'un dîner chez un ami de mon frère,
était d'une beauté si fascinante que je ne
pouvais détacher mon regard d'elle durant
toute la soirée. Elle avait les traits
fins et les cheveux lisses d'une Européenne
et de magnifiques yeux d'un vert un peu clair,
mais son teint était d'un brun rouge si
profond qu'on eut pu la croire métissée de noir.
Farouche, elle resista à ma cour
pendant le dîner, mais le moment
vint pour elle de flancher et elle
s'éprit de moi avant la fin de la soirée.
La deuxième était une très belle
parente de ma belle-soeur. Une très
belle brune aux yeux bleus et un
sourire étincelant. Elle aussi resista
à mon appel, pendant plusieurs jours
sur la plage ensoleillée, mais une nuit durant
laquelle nous fûmes contraints
de dormir tous deux dans le salon
ouvert de cette villa, ce fut elle qui
me conquit en me dédiant un sourire
des plus érotiques qui soit, près d'une grande
fenêtre ouverte sur un jardin
qui embaumait la rose et le jasmin.
Mon frère et son épouse me
persuadèrent de venir m'installer
à Rabat avec ma femme et
notre enfant. Ils me prêtèrent donc
leur petite voiture pour que j'aille les
amener d'Allemagne et je me mis en route
le lendemain même. Je me dirigeai à bon train
vers Tanger, escomptant de mêler l'utile à
l'agréable en m'embarquant de là vers l'île de
Gibraltar que je tenais absolument à voir.
Mais à moitié
chemin environ, je fus sollicité par un
auto-stoppeur solitaire qui me faisait le
signe du pouce caractéristique pour que je
l'embarque avec moi. Me disant
qu'un peu de compagnie me ferait
du bien, je m'arrêtai donc et l'autostoppeur
en blue-jeans, blouson
et casquette s'avéra être une belle
dame blonde qui me demanda en un
Français teinté d'accent germanique
si je me dirigeai vers Ceuta.
Je lui répondis en Allemand que non,
que je me dirigeai vers Tanger, mais
elle s'installa dans la voiture en me priant
d'aller plutôt à Ceuta parce que ses amis l'y
attendaient et qu'un Ferry démarrerait de
là vers Algesiras à 18 heures. Succombant à
son charme, j'oubliai Gibraltar et roulai au
seul tombeau ouvert que nous permettait
la petite voiture, entre cent et cent
vingt kilomètres à l'heure, pour arriver
à Ceuta vers 17heure 30. Nous aurions
pu être à l'heure, malheureusement le
contrôle douanier dura quinze précieuses
minutes, puis nous reprîmes la route à toute
vitesse vers le port et ma compagne
m'indiquait le chemin à suivre.
Etonné, je lui demandai comment
il se faisait qu'elle connaissait
l'endroit et elle me répondit que
c'était par ce village qu'elle était
entrée au Maroc. Arrivé au port,
je fis crisser les pneus en freinant
sur le quai, près du flanc du ferry, content
d'y être parvenu in extremis, mais je crus
être sujet à un étourdissement en voyant
le flanc du bateau s'éloigner tout doucement
dans un profond silence. Eberlués, nous
sautâmes tous deux hors de la voiture et,
tandis que le bateau s'était éloigné d'un
mètre environ, je levai les yeux vers le haut
bastingage et fis des signes à un
stewart qui regardait par dessus
bord pour qu'il nous attende,
mais il répondit par signe lui aussi
qu'il était trop tard pour embarquer.
En effet, le ferry était halé par deux
remorqueurs et glissait en chuitant
sur l'eau calme du port et s'éloignait
en silence à vingt, puis à cinquante,
puis à une centaine de mètres du bord,
avant de faire tourner son hélice
tandis que nous le regardions
s'éloigner vers le large.   
Me tournant enfin vers ma compagne,
je lui demandai:
- Sais-tu à quelle heure part le
prochain ferry?
Elle répondit dans un soupir:      
- Demain matin à neuf heures.
C'est ainsi que j'eux droit à une
troisième nuit d'été pleine d'amour,
  de douceur et de parfum de fleurs.
Nous débarquâmes le lendemain
vers midi à Algésiras où je dus prendre congé
d'elle qui voulait y attendre
ses amis, puis je repris seul la route
en me promettant de traverser
l'Espagne aussi rapidement que possible.    



18.

A la mort


Mon voyage à travers fut plus lent que
je ne l'avais prévu. D'abord, lorsque
je vis le nom de Cadix sur un poteau indicateur,
je ne pus m'empêcher de faire undétour par
cette ville-là. Le même soir, je remontai
vers le Nord-Est par de mauvaises petites
voies  secondaires avant de pouvoir enfin
circuler sur la route nationale.
J'avais  presque dû rebrousser chemin
en empruntant ces routes qui étaient dans
un état lamentable et, en passant par
Alméria et Murcia, je décidai de poursuivre
mon chemin en longeant la côte
méditerrannéenne par Marbella
et Malaga pour rejoindre la France.
Mais je changeai d'avis en chemin
et je pris la direction de Madrid.
En cours de route, je n'avais aucune notion
de la valeur de la Pésète.
Il me fallait, pour calculer en Francs français,
passer par le Deutsch Mark allemand, afin
de comparer les prix espagnols avec ceux
que je connaissais déjà. Au début, je ne
pouvais pas m'expliquer pourquoi un jeune
garçon qui avait lavé mon pare-brise à une
station d'essence, avait regardé avec
ahurissement la pièce de 50 Pesetas que
je lui avais donné comme pourboire,
ni pourquoi il était devenu si joyeux en se
confondant en remerciments:
- For migo, senor?
- Si.
-  Oh! Muchas gracias senor, muchas gracias,
muchas gracias.
Tempérant son exhubérence avec un geste
de la main, je lui répondis, quoiqu'étonné
de son enhousisasme:
- De nada, de nada.
Je me promis alors d'aller me
renseigner auprès d'une banque,
car il m'était apparu impérieux de connaître
la valeur de cet argent 
avant que je ne devienne trop
prodigue par ignorance. Après avoir continué
ma route, je dus m'arrêter
pour prendre à bord un jeune garçon
qui me faisait signe de l'emmener
avec moi. Il me fit comprendre, après maints
malentendus et répétitions
plus lentes de son verbe facond,
qu'il voulait que je le dépose à 15 kilomètres
de là, droit devant, où il se rendait chez son
oncle qui y tenait une école de tauromachie
parce qu'il voulait devenir toréador et...
comprende senor?
- Si, monte, lui dis-je.
Nous arrivâmes bientôt à destination
et il insista tant et si bien que je dus
le suivre dans l'hacienda pour qu'il me présente
à son oncle. Celui-ci se tenait dans un enclos
en tenant une sorte de brancard à roulettes
qui était surmonté par une tête de taureau
en osier avec lequel il courait rapidement
vers quatre jeunes garçons auxquels il
était en train d'enseigner les arcanes
de la tauromachie. Après la
présentation, je fus installé à une
table qui se trouvait sur une véranda avec
une limonade fraîche à la main
et sa tante accourut pour poser d'autorité
devant moi une savoureuse tortilla et un
plat de salade verte.
Après le repas, je fus pris de torpeur
et craignant de m'attarder, je
m'ébrouai pour prendre congé de
cette gentille famille et je leur fis mes
dieux en tendant un billet à la tante pour la
remercier de m'avoir restauré,  mais ils s'en
offusquèrent et ne recouvrirent le sourire que
lorsque, confus, je les remerciai
chaleureusement en remettant
le billet dans ma poche.
Oui, cette torpeur, cette chaleur torride,
l'air chaud qui s'échappait du chauffage
déficient qui était impossible à réparer, toutes
les vitres grand'ouvertes qui aspiraient l'air
chaud du dehors, tous ces arrêts que j'étais
obligé de faire tous les vingt kilomètres afin
de laisser un peu d'air s'échapper de la chambre
à air qui se re-gonflait à bloc sous l'effet du
surchauffement de l'asphalte, mes yeux rougis
qui me brûlaient, la mootonie du paysage
uniforme qui défilait en frissonnant devant moi,
plongèrent mon esprit dans un état d'étrange
léthargie. Après plus de cinq heures de conduite
passées à resister à la chaleur ambiante et
à l'ennui causé par tant de monotonie,
je pus enfin saluer la venue du soir qui
coïncidait avec la traversée d'un paysage
devenu soudain de plus en plus vert et fleuri.
Des noms de lieux défilaient dans mon esprit:
Séville, l'Alhambra, Grenade... Puis je vis le
nom de Tolède inscrit sur un panneau indicateur.
"Ah, Tolède!, où furent jadis forgées des lames de
grand renom...",  pensai-je et cette ville me parut,
dans mon imagination, être comme une
fortification dont les crénaux se dresseraient
sur un ciel nocturne étoilé, peuplée de caballeros
et de belles dames en mantille. Je virai donc
et dirigeai ma voiture vers cette ville qui ne
se trouvait, après tout, qu'à une vingtaine de kilomètres
de là. Plongé dans la contemplation de la nature
qui défilait devant moi, ennivré par la
douceur du soir qui s'annonçait, je ne me
rendis pas compte que j'avais ralenti ma
course très sensiblement. Une jeep découverte,
surmontée d'un clignotant bleu et conduite
par deux gendarmes me dépassa à une allure
étrangement lente. Un instant plus tard, une
petite cylindrée blanche me dépassa aussi et
vint se placer entre la jeep des gendarmes
et ma voiture. Une minute plus tard, un
autre petit véhicule de couleur marron me
dépassa aussi et alla, lentement, se placer
derrière la petite voiture blanche.
- Ah, ça alors!, ne pus-je m'empêcher de dire.
Consultant rapidement le compteur de vitesse
du regard, je fus étonné de voir que je ne
roulais plus qu'à 70 Km/Heure. Me resaisissant,
j'accélérai et dépassai les trois voitures
pour aller rouler loin devant elles.
A bout d'un certain temps, mon esprit fut,
de nouveau, accaparé par la beauté du paysage.
Un instant plus tard, je vis les trois véhicules me
dépasser dans le même ordre qu'auparavant
et je compris que j'avais diminué mon allure
sans m'en rendre compte. M'ébrouant de ma
torpeur, je les poursuivis pour les dépasser et
m'éloigner, à grande vitesse, loin devant eux
sur plusieurs kilomètres.
Je roulais à vive allure depuis plusieurs minutes
déjà et je vis le soleil se coucher sur ce paysage
qui me fascinait tant. Le soir tomba rapidement
et, d'un geste mécanique, j'allumai la lumière
de mes phares en roulant avec une étrange
sensation de détachement de tout ce qui
s'offrait à ma vue. Il me sembla que je rêvais
inconsciemment à Dieu sait quoi tout en
perdant la notion de ce moment.
Mes yeux se fermèrent irrésistiblement et je
sentis un doux sommeil m'envahir.
Résistant à la tentation d'y sombrer, j'ouvris
les yeux et relevai ma tête pour revoir la
route qui défilait devant moi. "Il va me falloir
aller bientôt dormir", pensai-je. Mais pas dans
le premier hôtel venu, car j'espérai arriver à
Tolède avant la nuit.
Un moment plus tard je sentis bien mes paupières
se clore, je savais que le sommeil s'emparait de
moi, je savais que je devais rouvrir les yeux,
m'arracher à la torpeur, redresser ma tête et
voir la route pour m'y arrêter le plus tôt possible
et passer la nuit dans la voiture, au bord de
la route, mais je ne pus résister à la suavité de
cet assoupissement contre lequel je ne pouvais
me défendre.
A vive allure, tous phares allumés, je sombrai
dans un bref mais lourd sommeil. J'entendais le
siflement du vent de la course, le ronflement du
moteur et le chuintement des roues sur l'asphalte chaude.
Une intuition soudaine me fit relever la
tête et rouvrir mes yeux, mais je fus long à
comprendre ce que je voyais devant moi.
Je constatai d'abord que je roulais à 90 Km/H
alors que devant moi, sur la route à une
centaine de mètres environ, il y avait deux
sources de lumière très vive qui m'éblouissaient
depuis le côté droit de la voie et deux autres
lumières rouges sur le côté gauche de la même
voie et que je supposai être des feux de
signalisation arrière d'une voiture.
"Comment cele se fait-il?", m'étonnai-je,
en me demandant pourquoi les voitures
roulaient à gauche comme en Angleterre.
Cependant, j'approchai à vive allure des lumières
aveuglantes quui me parurent élevées.
Je n'étais plus qu'à une cinquantaine de
mètres de ces lumières et tout se passa très vite.
J'aperçus deux hommes assis au-dessus
des lumières, dans la cabine de ce que je
reconnus maintenant être un camion.
Les deux hommes me regardaient avec des
yeux agrandis par l'horreur et leur bouche
s'ouvrait de plus en plus, comme pour laisser
échapper un cri d'épouvante. Les pare-chocs
de ce camion étaient situés à la hauteur de
mon pare-brise et les deux phares
projettaient une lumière blanche.
Les deux hommes, leurs yeux exorbités,
avaient levé les mains à hauteur de leur visage
et je pouvais reconnaître qu'ils poussaient 
des cris d'effroi en me voyant arriver vers eux
à grande vitesse. Je ressentis une douleur
dans mes tripes et, regardant à gauche pour
voir si j'éviterais le camion en changeant de voie,
mais je dus me rendre compte que ces lumières
rouges condamnaient cette portion de voie sur
laquelle était amoncelé un long et haut tas
de gravier. Une vingtaine de mètres seulement
me séparaient du camion lorsque, portant mon
regard à droite, je vis un précipice tellement
obscur que son fond n'était pas visible.
Rapidement et, à une dizaine de mètres du camion,
j'aperçus une lacune Qui se trouvait entre la
cabine du camion et le panneau de signalisation.
Je braquai à gauche de toutes mes forces,
frôlai la cabine, m'insérai entre elle et le
panneau de signalisation et m'engageai dans
la pente que formait le tas de gravier.
Ma voiture s'envola littéralement vers le ciel et
la force centrifuge créée par le braquage
intempestif, la fit se pencher vers son côté droit.
Puis elle marqua un bref moment de suspension
en l'air durant lequel je pus voir, encadré par
mon pare-brise, un pan de ciel étoilé,
puis je ne vis plus rien.
Enfin j'ouvris les yeux et constatai avec
ahurissement que j'étais assis à l'intérieur
d'un sombre cagibi. Bourru, je promenai mon
regard à droite et à gauche dans ce que je crus
être une remise à balais, mais je n'apperçus ni
balai, ni seau, ni serpillaire. Devant moi, au centre
de ce qu'il me sembla être une porte, il y avait une
longue vitre placée longitudinalement qui me
permit de voir au-delà de ce sombre réduit.
"Ah, je me trouves dans un ascenseur", pensai-je
confusément. "Mais, qu'est-ce que je fais dans
un ascenseur!", me demandai-je encore. Et ce
couloir-là que je voyais devant moi, était tout
à fait étrange. On eut dit que son sol était fait
de gravier aplani et, là-bas, dans le fond, il y a
avait des tâches d'ombres qui ressembalient
à des arbres. "Ah, j'y suis, je suis assis dans
l'ascenseur du cinquième étage de
l'Ecole des Beaux-arts! Mais, a-t-on idées de
décorer ce mur dejà si sombre avec des
silhouettes d'arbres plus sombres encore?!",
m'offusquai-je encore. A ce moment même,
la lumière intense des phares d'une voiture
qui semblait gravir une pente perçèrent la
nuit noire en flamboyant parmi les arbres et...
je me souvins. J'avais fait un accident et j'étais
assis sur la vitre latérale droite de ma voiture.
Ce que je prenais pour la vitre d'une cage
d'ascenseur était, en fait, celle de mon pare-brise,
car ma voiture était couchée sur son flanc droit. 
J'avais donc perdu connaissance juste après
avoir vu le ciel étoilé et je dus sans doute cogner
quelque chose avec mon front lorsque la voiture
se coucha sur le sol de gravier, car j'y avais
une bosse importante.   
Ensuite, je suis sorti de la voiture comme on
sort d'une cave, en soulevant la portière de gauche.
J'avais atterri sur le sommet de cet immense
tas de gravier qui avait été soigneusement
tassé en forme de longue pyramide tronquée
et qui occupait toute la surfface de la moitié
gauche de la routesur une trentaine de
mètres environ. La voiture qui venait de percer
obliquement l'obscurité avec ses phares
arriva à ma hauteur et emprunta l'autre moitié de
la voie de laquelle le camion avait disparu.
Cette voiture m'ignora ou ne me vit pas et
continua son chemin. Je maugréais encore à
l'intention des camionneurs et de cette
voiture-là lorsque j'aperçus soudain
a jeep des gendarmes que j'avais semée
auparavant, passer à son tour. Joyeux,
je leur fis des grands gestes en les appelant
à la rescousse, mais ils pousuivirent leur
oute comme s'ils ne m'avaient pas vu. Peu après
surgirent, l'une après l'autre, la petite voiture
blanche et le véhicule marron qui la suivait.
Aussitôt, je leur fis des grands signes en les
appelant à l'aide, mais toutes deux suivirent
l'exemple de la jeep des gendarmes en passant
leur chemin s'en prendre garde à moi.  
J'avais entendu dire que les Espagnols craignaient
tellement la Guarde civile qu'ils ne se mêlaient à
aucun accident de la route. Résigné, je retournai
près de ma voiture et, après une courte réflexion,
je creusai le gravier sous les deux roues de droite
assez profondément pour pouvoir faire basculer
la voiture en la poussant légèrement.
Cela fait, je m'installai au volant pour
reprendre la route et, renonçant à voir
Tolède, je me dirigeai vers Madrid.






 




 
  Entrées: 79492 visiteurs Merci pour votre visite !  
 
Ce site web a été créé gratuitement avec Ma-page.fr. Tu veux aussi ton propre site web ?
S'inscrire gratuitement