h LSDreams - 04.2: Lévitation horizontale

   
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  04.2: Lévitation horizontale
 
 

Lévitation horizontale

 
   Après un certain temps de pratique, je fus pris d’engouement pour toutes les sortes des drogues. L’époque des fumettes de haschich seul ou de prises de LSD occasionnelles était révolue et le jour vint où je commençai à me ravitailler régulièrement en ces substances.   
   J’achetais mes « pieces », morceaux de haschich et mes « trips », ou cachets, pilules ou feutres de LSD, en choisissant ceux qui ne contenaient pas d’amphétamine et je les gardais dans une jolie petite boite ronde en bois blanc ciselé comme une fleur que je gardais chez moi en attendant l’^opportunité d’en user.
   Avant cela, je ne consommais que sporadiquement la drogue que l’on m’offrait à l’occasion d’une fête ou d’une rencontre inopînée. Ensuite je commençais à prendre une dose de LSD mensuellement et, enfin, vint le jour où mes expérimentations devinrent hebdomadaires. J’avais aussi acheté tout l’attirail nécessaire aux besoins du fumeur de haschich comme des pipes diverses, narghileh miniaturisé, pipe chinoise en cuivre, pipes en verre transparent, sebsis marocain, chilum indien en bois ciselé, pipes en porcelaines qui ressemblaient à des ocarinas, ainsi que des boîtes indiennes, faites dans de la pierre tendre colorée ou en bois de santal ciselé également sculptée, thé vert de Chine au jasmin et service à thé japonais de terre cuite brune qui reposait sur un chauffe-théière en porcelaine blanche dont les trois pieds étaient des chiens assis. Ma façon de m’habiller avait changé elle aussi, j’avais une prédilection pour les pantalons en velours, les chemises indiennes, les vestes de cuir ou de fourrure, les colliers de perles en émail ou encore en bois de rose ou de santal. Dans un bocal de verre transparent, j’avais versé une grande poignée d’imitations de pierres précieuses en verre coloré et, quand j’étais « sur le trip «, c’est-à-dire quand j’avais pris du LSD qui m’avait enseigné à voir des richesses sans en souhaiter la possession, je versais ces pierres sur la moquette pour en admirer les scintillement et je me disais en souriant :
 —  Me voilà devenu l’homme le plus riche du monde.
   Schackie était tous les jours au travail et moi j’allais tous les jours à mes études et ensuite, je vadrouillais dans le centre–ville seul ou en compagnie d’un ou d’une amie de l’école. Notre promenade aboutissait toujours au café Markt qui était fréquenté par des adeptes de la drogue, fumeurs et dealers, dont la plupart était des amis communs. Là, nous nous installions tous pour fumer un « joint », ou cigarette roulée à la main contenant du haschich, en sirotant une tasse de café. Nous connaissions tous la « scene », mot anglais, ou monde de la drogue, qui se réunissait presque tous les soirs dans les discothèques qui étaient en vogue. Tout le monde ou presque se connaissait.
   C’est aussi à cette époque que j’étais passionné pour mon art que je n’exerçais qu’en tant qu’expériences avec la technique des couleurs irisées et je ne me considérais pas comme un artiste mais seulement comme un apprenti.
   Vivant heureux avec Schackie, entre le rêve et la réalité, je considérais la vie avec nonchalance, modestie et scepticisme en me contentant de vivre tout simplement.
Curieusement, ce fut en cette période, en l’an de mille neuf cents soixante-huit que je fus élu en tant que l’un des trois des meilleurs élèves de l’Ecole de Beaux-arts et que me fut décerné le titre d’artiste peintre important du vingtième Siècle. Ce fut mon aimable et regretté enseignant G.K. qui vint me l’annonce tandis que j’étais plongé dans mon travail dans un atelier Absorbé par ce que je faisais, je ne l’écoutai qu’avec une certaine distraction, un rouleau encreur à la main. Comme j’étais « stoned », ou sous l’effet du haschich, pour la plupart du temps et qu’en sus, les effluves de Chloréthylène qui flottaient dans l’espace de l’atelier m’enivraient un peu, je fus plus étonné que surpris d’apprendre cette nouvelle que je ne tardai pas à oublier dès que mon enseignant fut reparti.
   Je ne le redécouvris par hasard, qu’après plusieurs années, en mille neuf cents quatre-vingt, en Algérie par l’intermédiaire de l’Internet, quand je découvris mon nom inscrit dans la liste des artistes importants du vingtième Siècle.
   Un jour, je fis la rencontre de M.L. dans le centre-ville de Berlin et il m’invita à l’accompagner au rendez-vous qu’il avait avec O.S., un ami commun. Comme j’étais « stoned », ou dans les vapeurs du haschich, je ne sus pas pour quelle raison, mais je le suivis, car j’appréciais   O.S. et qu’il nous invitait toujours à fumer un joint avec lui ou de faire un trip ou encore de discuter au sujet d’initiations ésotériques et puis plaisantin et rire. Lorsque nous arrivâmes chez lui, il n’y était pas mais il se trouvait chez son frère qui habitait dans un immeuble voisin. Nous rebroussâmes chemin et nous rendîmes chez son frère qui habitait dans un grand appartement. J’étais calme et un peu distrait et je ne compris donc pas pourquoi ce qu’O.S. nous dit en nous recevant, mais je compris qu’il nous invitait à boire du thé qu’il était en train de préparer dans la cuisine. Il nous pria de rejoindre son frère et quelques amis qui se trouvaient de la salle de séjour dont le coin de gauche s’ouvrait en angle droit sur une assez grande alcôve.    Nous y allâmes, M.L. et moi en traversant la salle de séjour qui était très vaste et dans laquelle se trouvaient, entre autres meubles rangés le long des murs, une grande table entourée de chaises dans une partie de la salle construite en saillie qui possédait une fenêtre latérale donnant sur la rue à chacun de ses côtés.
   Le frère d’O.S. et ses trois amis étaient assis dans l’alcôve sur des coussins posés sur le sol autour d’une petite table basse sur laquelle trônait une bougie allumée, le thé qu'O.S. venait d’apporter et tout un attirail de fumeur. Ils nous regardèrent d’un air un peu embarrassé et répondirent à notre salut, puis ils se détournèrent de nous pour poursuivre d’une vois anormalement basse une discussion qu’ils avaient interrompue à notre arrivée.


 
 
   Ils semblaient être un peu nerveux et préoccupés par quelque chose et ils portaient, tour à tour, une cigarette ou un joint à la bouche pour en tirer une brève bouffée. Ils étaient visiblement sous l’effet d’une drogue et une exacerbation perçait leur discours exprimé avec des voix étouffées et des gestes brusques.
   M.L., O.S. et moi nous assîmes à l’entrée de l’alcôve sur le parquet de bois brun, si bien que je pouvais voir la salle toute entière qu’un proche réverbère extérieur éclairait d’une pâle clarté lunaire. O.S. me demanda si je désirais aussi boire du thé et il m’en tendit dans un petit verre étroit. Tout en le sirotant, j’écoutais vaguement O.S. et M.L. s’entretenir à voix feutrée tout en observant le comportement de deux des hôtes qui s’agitaient davantage. Leur dos appuyé contre le mur de l’alcôve, ils proféraient, mais à voix basse, des phrases brèves comme si quelque chose les importunait en les fatiguant. De temps à autre, ils nous lançaient des regards furtifs, puis l’un deux se pencha soudain en avant et souffla la bougie. Notre présence devait, pour une mystérieuse raison, les déranger. Ils semblaient avoir le hachich mauvais à l’instar de l’alcool et, si ce comportement m’aurait désagréable en temps normal, il n’en fut rien et, tout en souriant, j’observai leur gêne, dans cette semi-obscurité, et le manège de la braise rougeoyante de leur cigarette qui faisait la navette entre leur genou et leur bouche. 
   Ayant mis ce comportement sur le compte de l’effet du haschich ou du LSD sur eux, je m’en désintéressai et reportai mon attention sur la conversation de mes autres amis. C’était la voix subitement chevrotante de M.L. qui avait attiré mon attention et j’entendis O.S. lui demander :
— Tu t’en vas ? Tu ne veux pas rester ?
M.L. répondit d’une voix mal assurée :
— Non, je ne peux pas, j’ai un rendez-vous en ville et il est important pour moi de m’y rendre.
— Bon, eh bien vas-y et nous nous reverrons une autre fois.
M.L. prit congé de nous et s’en alla, la mine un peu renfrognée. 
   Ce brusque départ m’avait intrigué et rendu indécis, car j’étais partagé entre l’envie de rester et de partir moi aussi. O.S. me jeta un regard interrogateur et me demanda :
— Et toi, A.S., tu restes ?
Sentant qu’il désirait me voir rester, je ne voulus pas refuser et aussi parce que je n’avais aucune raison valable pour m’en aller.
     Bon, dit-il alors et en m’indiquant la table, il m’invita à me servir un autre verre de thé.
     Merci, lui répondis-je.
Il était sur le point de se lever, mais il se ravisa et me confia à voix basse qu’il retournait dans la cuisine pour préparer une autre théière. Il avait dit cela comme si c’était important et comme si je comprenais pourquoi. Il fut sur le point de m’adresser un clin d’œil complice mais il se contenta de hocher la tête d’un air entendu et se leva pour se dirigea résolument vers la cuisine. Je pus le voir, cinq minutes plus tard, de l’endroit où j’étais, s’affairer dans la cuisine avec son service à thé, puis saisir le plateau et revenir vers nous avec détermination. Son attitude empressée m’étonna, car il y avait quelque chose d‘insolite dans sa mobilité, dans son calme farouche, le sérieux de son expression faciale et cette impression saugrenue qu’il s’adonnait à une tâche très importante. Beaucoup plus tard, je devais enfin la nature de ce comportement. 
   Quelque chose m’intriguait dans cette curieuse ambiance mais mon esprit était serein et j’étais euphorique lorsque je repris conscience des hôtes qui étaient au fond de l’alcôve. Maintenant ils s’entretenaient à voix si basse que je ne pus discerner le sens de leur parole, mais le sujet de leur conversation entrecoupée de silences répétés, semblait les préoccuper au plus haut point et l’un ou l’autre poussait sporadiquement un fort soupir dramatique de résignation, chaque fois que la question de l’un ne correspondait pas à l’attente de l’autre. Lassé, je me détournai d’eux sans leur accorder davantage d’attention et regardai l’intérieur du salon. Au-delà de la fenêtre latérale de droite, le réverbère qui éclairait la rue en contrebas, à cette hauteur, attira mon attention et, sans que je susse pourquoi ni comment je m’envolai et flottant dans l’air à l’horizontale. J’approchai de la fenêtre qui était grand ouverte et je la franchis en flottant vers l’extérieur et me retrouver si près du réverbère que je pus le voir très nettement dans ses moindres détails. Scrutant l’environnement, je pus voir  cet endroit familier pour l’avoir déjà vu de nombreuses fois auparavant. Avec une netteté extraordinaire je voyais  comment les feuilles des arbres étaient éclairées et en avançant encore un peu, je voyais aussi les pavés du trottoir desquels interstices une herbe courte émergeait. Il me fut loisible aussi d’apercevoir les grains de poussière qui, comme le sable, scintillaient de lumière. Au terme d’un instant qui ne me parut ni bref ni long, je tournai sur moi-même horizontalement et, m’approchant de la fenêtre à travers laquelle je voyais la salle de séjour, puis, soudain et sans transition, j’ouvris les yeux pour  me trouver assis à la même place que je n’avais certainement jamais quittée ce soir-là.
   Ensuite, je ne me souviens plus de comment se termina cette soirée. Naturellement, je dus sans aucun doute aller chez moi, en me rendant un peu tard que, boire un thé chez O.S. n’était pas boire un thé tout court. Il est évident qu’après la solennité de la manière avec laquelle O.S. l’avait servi, ses mimiques de connivence, le départ précipité de M.L., l’agitation des hôtes et mon vol à travers la fenêtre du premier étage, que ce thé avait été l’accompagnement d’une drogue qui ne pouvait être que du LSD.


 
 
 
 
 


 
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