h LSDreams - 04.1: Lévitation verticale

   
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  04.1: Lévitation verticale
 
 
 

Lévitations

Lévitation verticale

   Vers les années mille neuf cents soixante-neuf ou soixante-dix, nous filions le parfait amour, Schackie et moi. Elle ne savait pas faire la cuisine et nous devions dîner dans l’un ou l’autre des restaurants que nous avions choisis selon leur menu. Sinon, mous devions nous contenter de tartines variées. Nous avions une prédilection, entre autres, pour la pizza bolonaise, le tchevaptchichi yougoslave, le mimi grec et encore le steak de requin allemand.
   Nous sortions tous les soirs pour aller dans des bistrots ou dans des discothèques ou encore, assez souvent, fêter chez des amis et, plus rarement, au cinéma ou voir un spectacle quelconque. Souvent, pendant le week-end, nous allions nous prélasser dans quelque parc de la ville ou sur une rive de la Havel et, enfin, nous profitions de chacune des jours fériés et des fêtes populaires pour entreprendre un petit voyage d’agrément, si bref fut-il.
   Durant cette période, je commençai à faire de plus en plus souvent de trips, comme nous nommions les expérimentations faites avec l’une ou l’autre des drogues hallucinogènes, à m’intéresser aussi à la Psilocybine et, occasionnellement, à la morphine, l’opium et l’héroïne.
   Un certain soir, je fis une nouvelle expérimentation avec du LSD ou de la Psilocybine, car je ne faisais pas de distinction entre les deux drogues. Nous les nommions le plus souvent, Purple Haze, Peppermint ou Sunshine explosion ou encore d’autres noms de drogues qui étaient momentanément en vogue, mais il suffisait pour nous que ces pilules soient un trip, (ou voyage).  
   Ce soir-là, chez S.T., se trouvaient aussi M.L., B.L. A.M. et quelques autres amis de S.T. que je ne connaissais pas encore. En les voyant circuler nonchalamment à travers la maisonnette dans laquelle régnait un calme feutré et en entendant leurs chuchotements, je pensai que nous avions tous absorbé de la substance hallucinogène. Je m’installai alors sur le bord de l’estrade en faisant face à certains des amis et tournant le dos aux autres. C’est là que j’absorbai une pilule, sans me soucier de ce qu’elle fut du LSD ou de la Psilocybine et qu’ensuite, je restai là, assis tout droit, à regarder ce qu’il y avait devant moi. Les amis étaient plus ou moins silencieux ou se tenaient coi, autour de moi, dans l’attente typique du commencement de l’effet de la drogue ou ils le ressentaient peut-être déjà.  
   Une faible lumière de cierges éclairait faiblement l’intérieur de la silencieuse maisonnette que mes amis parcouraient de la cuisine à l’étage, pour une raison qu’il ne m’importait pas de connaître, car je mettais ce comportement sur l’effet de la drogue. Lorsque la drogue commença à produire son effet, ils cessèrent, pour ainsi dire, d’exister pour moi,  car j’étais confronté avec le fil de l’intensité de la drogue qui a la particularité d’être déroutante en produisant continuellement des situations psychiques nouvelles et incontrôlables. A cela s’ajoutaient un goût de métal dans la bouche, l’impression de respirer un air plus chaud et l’environnement immédiat qui paraissait changer peu à peu. Ne me sentant pas encore sous l’emprise totale de la substance, je me laissai aller à une confortable contemplation de la salle.
   Les pupilles des yeux, maintenant démesurément agrandies par la drogue, fit gagner à la faible lumière des bougies de l’intensité et les objets éclairés imposaient leur présence comme pour mettre en évidence leur entité réelle en exergue et pour inciter à reconnaître leur utilité indéniable qui leur conférait une place importante dans l’Histoire et dans notre destin. Une fois cette vérité reconnue, le regard est libéré et il a le loisir de se poser ailleurs. C’est ainsi que mon regard fut attiré par une montre de gousset qui pendait à un clou sur le mur de gauche et ses aiguilles marquaient exactement la minuit.
   Reportant mon regard intoxiqué vers l’intérieur de la salle dans laquelle aucune présence n’avait d’intérêt, car  chacune d’elles était commodément établie dans l’aise de son évènement psychique et tout ce qui se passait autour d’elle pouvait aussi tout bien attirer leur attention que les laisser indifférents si leurs yeux étaient clos.  
 Pendant un court instant, il me sembla être de nouveau dans mon état habituel, comme si je n’avais pas pris de drogue et je regardai de nouveau la montre qui indiquait encore la minuit juste. Puis me yeux balayèrent l’espace environnant qui semblait s’être dilaté un peu et qui baignait dans une chaude lumière qui faisait paraître les ombres plus veloutées. L’apparence des objets exerçant une plus grande influence sur l’esprit dans un cas pareil, la montre sur laquelle j’avais reporté mon regard m’apparut plus claire et très évidente sur un mur plus sombre qu’elle. Ses aiguilles étaient au même endroit du cadran et j’en conclus qu’elle ne fonctionnait pas. L’instant d’après, mon esprit en fut détourné par des pensées sublimes qui semblaient provenir d’une sphère supérieure, pleines d’une grave sagesse et profondément ainsi qu’indéniablement justes et édifiantes. Ces pensées ne restent jamais gravées dans la mémoire et c’est ainsi que, mon esprit planant vers ce bas monde, il redirigea mon regard vers la montre de gousset. J’en sursautai de surprise, effaré, car la plus grande de ses deux aiguilles avait avancé d’un cran et indiquait la première minute après douze heures.  


 
 
  J’en fus Tellement ébranlé que je poussai une exclamation de surprise teintée d’effroi au point que j’en fus secoué et abasourdi.
     Elle fonctionne !, m’écriai-je, éberlué.
Ainsi donc, elle fonctionnait, mais ce qui m’avait le plus sidéré, c’est que cette minute écoulée depuis le temps où  je l’avais regardée à deux reprises et le temps que j’avais passé à avoir des idées extraordinaires m’avait semblé durer très longuement.
— Seigneur !, pensai-je, Dieu est capable de faire durer une seconde autant de temps qu’une minute, il ferait paraître une minute aussi longue qu’une heure, une heure aussi longue qu’une journée, une journée aussi longue qu’une semaine, une semaine aussi longue qu’un mois, un mois aussi long qu’une année, une année aussi lingue qu’un siècle et un siècle aussi durable que l’éternité. Il peut également en inverser la durée et faire qu’une éternité soit aussi brève qu’un petit moment.
   Ce raisonnement émanait de la constatation que j’avais faite quelques temps auparavant après avoir pensé, au terme d’une expérimentation qui s’était étendue sur une douzaine d’heures, qu’elle m’avait duré qu’une heure ou deux seulement.
   Je devins inquiet à l’idée de devoir, désormais, percevoir le temps à l’aune de ces différentes durés si indéfinissables. Reprenant conscience de mon entourage, je me sentis quelque peu rassuré par la présence de mes amis qui étaient accoudés ou étendus à proximité, leur regard errant dans le vague. Un peu plus tard et en l’absence de tout évènement, je m’étendis sur le dos sur la vaste estrade. Mes yeux se fermèrent d’eux même et je me trouvai subitement dehors, debout devant la porte de la maisonnette, sur un  trottoir étroit qui ne mesurait qu’à peine un mètre, à regarder une rue déserte qu’éclairaient deux rangées de lampadaires. J’eux une brève pensée pour mes amis qui étaient à l’intérieur, car j’avais l’impression de les avoir quittés sans en avoir pris congé. La nuit était douce, calme et sereine et je me mis à contempler la façade grise de l’immeuble de quatre étages qui se trouvait en face de là. Les vitres de ses fenêtres étaient luisantes de propreté et la plupart d’entre elles avaient éteint leur lumière en cette heure tardive. Du côté gauche de la rue, sur l’étroit trottoir où je me tenais, venait un jeune homme en manteau gris. Il était grand de taille et il avait le regard perdu de celui qui pense en chemin au foyer vers lequel il se dirigeait et où l’attendait un être cher. J’eus soudain l’impression qu’il ne me voyait pas tandis qu’il approchait de moi et je craignis qu’il ne butât contre moi sans soupçonner ma présence. Je m’exclamai :
— Eh !?, comme pour le prévenir, mais il continua d’avancer vers moi sans m’apercevoir. Alors, je fis un grand pas en avant pour poser mon pied droit sur l’asphalte et, tandis que le jeune homme continuait son chemin derrière moi, je fus étonné de voir que mon pied, au lieu de se poser sur le bitume, monta en l’air et m’entraîna dans un flottement qui me fit voler lentement à la verticale, au-dessus de la rue. Je m’élevai ainsi, avec la légèreté d’un duvet, en contemplant tout bonnement la façade de l’immeuble. J’en perçus ses moindres détails, du crépi structuré et grisâtre dont la surface était creusée de milliers de petits creux jusqu’aux fenêtres sombres dont les cadres de bois étaient soigneusement peints en blanc.
   J’étais parvenu lentement jusqu’au-dessus du deuxième étage et là, je remarquai un homme en tricot de peu blanc qui était accoudé à sa fenêtre comme pour contempler la rue déserte. Toujours en flottant légèrement, j’approchai de lui, mais il se redressa comme si une pensée venait de s’imposer à son esprit, puis il passa le plat de sa main sur une de ses joues, fit demi-tour et s’avança dans sa chambre que je pouvais voir dans sa totalité, une fois que je fus à sa hauteur. J’eus l’impression de deviner ce qu’il allait faire bientôt et, en effet, il se dirigea vers un lavabo que surplombait une ampoule électrique nue. Il s’arrêta là et se regarda dans un miroir qui était fixé au mur. Il passa sa main à plusieurs reprises sur se joues, comme s’il évaluait la rugosité de sa barbe naissante. C’est à ce moment même que j’atteignis l’apogée de mon lent vol et, après un bref arrêt, j’amorçais mon retour vers le bitume. Tout en perdant doucement de l’altitude, j’entrepris de scruter la rue dans sa longueur jusqu’à son plus lointain carrefour. Celui-ci était doté d’une passerelle pour les voitures qui croisaient la rue de ce carrefour. Je perçus vaguement les véhicules comme si elles étaient des silhouettes sombres qui roulaient dans les deux sens. Soudain l’une d‘elle s’engagea dans la rue en roulant dans ma direction et je la vis, avec appréhension, m’approcher avant que je n’eusse atteint le sol. Enfin, mon pied droit toucha l’asphalte, maos au lieu de s’y appuyer, il s’y enfonça, tandis que j’observais la voiture venir sur moi à fonde train. Mon corps, curieusement incliné vers la droite, s’enfonça dans le sol jusqu’à la hanche. Le conducteur du véhicule ne semblait pas m’avoir dû, car il continu sa course en menaçant de m’écraser. Je fus sur le point de hurler de frayeur lorsque la voiture arriva sur moi, mais au lieu du terrible choc accidentel auquel je me l’attendais, l’automobile commença à perdre toute consistance en semblant se dissoudre confusément et en floutant en arrivant à ma hauteur, puis elle devint une ombre noire et quasi translucide dont le contour était liséré des couleurs de l’arc-en-ciel disposées en lignes superposées.
   Je levai mes bras devant moi pour me protéger du choc, mais notre rencontre se passa comme si nous étions tous deux inconsistants et je passai au travers d’elle comme elle passa au travers de moi.
   Troublé au plus haut point, j’ouvris mes yeux et je dus me rendre compte, avec perplexité, que j’étais étendu sur cette estrade que  je n’avais nullement quittée pour sortir de la maison.
   La drogue hallucinogène avait eu l’hallucinant pouvoir de me faire prendre un rêve pour la réalité.








 
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