h LSDreams - 12 Un trou de mémoire

   
  LSDreams
  12 Un trou de mémoire
 



  Un trou de mémoire


    A l’Ecole des Beaux-arts il y avait un excédent d’argent dans la Caisse des étudiants dont j’ignorais l’existence. On m’apprit que notre représentant avait obtenu de la Direction de l’Ecole la permission d’utiliser ce pécule afin de nous financer une visite en groupe du Châ-teau de Sans-Souci qui était situé à Potsdam, en y incluant le prix du voyage et de la restauration.


   Nous passâmes une partie de la journée à parcourir le Château et son parc, puis nous re-prîmes le chemin du retour et nous arrivâmes à Berlin à la tombée de la nuit. Notre chef de groupe nous proposa de nous offrir une pizza avec le reliquat du pécule et nous acceptâmes tous avec enthousiasme. Nous nous rendîmes donc dans une pizzeria italienne qui avait pour nom Terzo mondo, qui se situait dans la Kant-strasse et non loin de l’Ecole.
    Nous rapprochâmes plusieurs tables de la salle que nous disposâmes en longueur comme pour un banquet et nous commandâmes des pizzas et de la bière. Le repas, tardant à être servi, nous nous plongeâmes tous dans des discussions avec ceux de nos camarades qui étaient à portée de voix. Profitant d’une accalmie, j’extirpai de la ceinture de mon pantalon où je le cachais, un petit sachet en cellophane dans lequel j’avais empaqueté plusieurs cachets de LSD pour m’assurer que je ne les avais pas égarés. Je songeai en prendre vers la fin de cette nuit, lorsque je me retrouverais seul. Mon ami Joseph H. qui était assis à ma droite, avait observé mon investigation et il fut curieux de savoir ce que je tenais dans ma main.
— Des trips, lui répondis-je.
— Ah, laisse-moi voir à quoi ça ressemble, s’il te plaît.
Je les lui montrai et il s’étonna :
— Ils sont si petits que cela ?, s’enquit-il.
— Oui.
— Et tu les prends comment, avec de l’eau ?
— Non, juste comme ceci, lui répondis-je en en posant un sur ma langue.
La petite pilule s’aplatit et se dilua instantanément dans ma bouche.
— Qu’est-ce que cela fait, maintenant que tu l’as pris ?
Comme ce n’était pas ce que j’avais voulu et que je me trouvai maintenant dans une situa-tion qui n’était pas idéale pour ce genre de choses, je le regardai sans rien dire et je haus-sai les épaules, tout en réfléchissant à ce que je devrais faire.
— Son effet ne se produira que dans une heure ou une heure et demie, finis-je par répondre.
Il me regarda en silence, puis, renonçant à me poser d’autres questions, il se détourna pour poursuivre la conversation qu’il avait interrompue avec son voisin de droite. Le chef de groupe était assis en face de moi et il m’obser-vait depuis un petit moment déjà, puis il se mit à converser humblement avec moi en tenant des propos dont je n’ai lus de souvenir au-jourd’hui.
Je fis un effort et je m’efforçai d’être aussi cour-tois que possible, car je sentais que mon atti-tude, que l’effet du LSD commençait à rendre distante, risquait de l’humilier. J’y parvins tant bien que mal et, tandis que je faisais de mon mieux, je remarquai que plusieurs de mes amis, même ceux qui étaient au bout de la table, m’observaient attentivement. Heureuse-ment, les serveurs apportèrent des plateaux chargés de pizzas et cela fit une diversion bien-venue. Un grand plat en bois fut posé devant moi. Heureux comme un enfant, Joseph H. avait poussé un « Ah !» de joie à la vue des victuailles et, en se tournant vers moi, le visage radieux, il s’écria :
— N’est-ce pas qu’elles sont belles !
Assurément, les pizzas étaient grandes et belles, nappées de sauce tomate parsemée de viande hachée, de petits dés de légumes, d’herbes fines et de fromage.
En d’autres circonstances, je les aurais ai-mées et dégustées avec plaisir, mais, ce soir-là, je fus pris de dégoût à leur vue et je m’en détournai vivement en ayant un haut-le-coeur difficilement surmontable.
Le mélange saucé ressemblait à s’y méprendre au résultat d’une horrible diarrhée. J.H. se tourna vers moi et je vis ses cheveux raides battre ses joues :
— Pah, elle a l’air d’être bonne, n’est-ce pas ?
— Euh, fut tout ce que je pus dire en repoussant la pizza loin de moi.
Il m’observa d’un air inquisiteur avec perplexité et il demanda :
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je n’en veux pas.
— Comment ? Tu n’en veux pas ?
Il hésita pendant un bref instant et, les yeux pétillants de joie contenue, il me demanda :
— Est-ce que je peux la prendre ?
— Oui, prend-la si tu veux.
— Il allongea ses deux bras et attira le plat vers lui en me gratifiant d’un large sourire de remercîment. Ce fut plus que je ne pouvais supporter et je me levai pour quitter la table. Cependant, afin de ne pas frustrer mes amis en quittant brusquement l’établissement, car ils me regar-daient tous avec étonnement, je me rendis nonchalamment à l’un des deux flippers élec-triques qui se trouvaient à proximité de la table et j’y glissai une pièce. Mes amis m’observaient toujours et, d’un signe de tête, ils s’enquirent auprès de J.H. au sujet de mon étrange comportement. Il leur fournit quelques explications et ensuite ils me dédièrent un regard songeur cette fois-là. Je me demandais ce que je pour-rais bien faire, après avoir inséré une pièce dans l’appareil. Après un bon moment d’observation, je compris qu’il fallait envoyer la bille d’acier dans le jeu et, quand elle y fut, je poursuivis ses rebondissements du regard jusqu’à ce qu’elle vienne en trombe, disparaître dans une ouverture qui était pratiquée juste sous mes yeux.
Ce lieu me parut tout à coup sordide lorsque je remarquai sur le sol une poussière éparse et excessive, quelques petits bouts de papier et un mégot de cigarette. C’était naturellement dû au LSD, mais je n’y prenais plus garde et, après avoir essayé de jouer distraitement une ou deux parties de flipper, je m’inclinai légèrement vers mes amis attablés et leur souhaitai une bonne soirée.
Enfin, je sortis nonchalamment du local et je m’engageai dans la Kantstrasse qui était peu fréquentée de ce côté de la ville.


    En longeait cette rue, un souvenir me vint à l’esprit et déclencha en moi une analyse des rapports qui existaient entre les gens du pays et les étrangers qui y vivaient. Je ne pus m’em-pêcher de me ranger du côté des premiers.
J’étais dans la peau d’un Allemand, j’avais les mêmes griefs contre les étrangers et je m’entretins calmement et raisonnablement avec un cousin algérien qui était venu me rendre visite à Berlin. Il déambulait avec moi par la Kant-strasse, à mes côtés mais dans ma mémoire seulement. Je l’entretenais de la différence qui existe entre l’amour qu’on éprouve pour quelqu’un et celui qu’on entretient avec lui pour ce qu’il possède.
Puis j’arrivai à hauteur de la Steinplatz qui fait face à l’entrée principale de l’Ecole des Beaux-arts que je fréquentais alors. Après avoir effleuré du regard les maisons et les magasins d’alentour, je m’immobilisai devant le petit monument aux morts qui était érigé sur le bord de cette place.


 
Il était fait de bronze, verdi par le temps et il reposait sur un socle de pierre dont la forme était presque cubique. Je l’observai pendant longtemps et en l’analysant dans ses moindres détails. Je me mis en devoir de le reconcevoir autrement et en y apportant des changements qui étaient autant d’améliorations qui contribueraient à le rendre plus esthétique et plus réussi. Finalement, je m’en détournai pour re-prendre ma marche en direction vers la Place du Jardin zoologique dont je pouvais déjà voir les lumières scintiller chimériquement.


 
   Mon trip s’arrêta là. Je ne saurai jamais si j’avais atteint cette place du Jardin zoologique ou si j’avais emprunté un autre chemin. Nul ne pourra jamais me dire ce qui a bien pu se passer depuis la Steinplatz jusqu’à chez moi, là où je me réveillai le lendemain matin et sans au-cune transition, dans mon lit, sans savoir comment j’y étais parvenu.

 
 
 

 
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